sur Confucius, Laotze et Bouddha, la révolte des Musulmans a
fait un mal incalculable à la Chine ; pas à toutes les dix-huit
provinces, heureusement : le bas du Hoang-ho à partir de Kal-
foung, le moyen et le bas Yangtze, le bassin du Si-kiang ou
fleuve de Canton, et tout le littoral, autrement dit la grande
moitié orientale du Milieu, siège de ses populations les plus
denses, ont été préservées, tandis que le reste était saccagé,
ravagé, « raclé jusqu’à l’os ».
Etablis en même temps que les Musulmans
vu sur le territoire chinois, les Chrétiens sont beau-
l e coup moins nombreux, et, par comparaison, leur
c h r is t ia n ism e influence peut être considérée comme nulle.
e t s e s Entendons-nous bien : celle des Chrétiens chi-
m is s io n n a ir e s nois — car, que la Chine le veuille ou non, celle
des Chrétiens exotiques est pour l’instant absolument
prépondérante.
Jadis il en était autrement qu’aujourd’hui : les. Nestoriens
de la Mésopotamie et de la Bactriane avaient fondé en Chine
des communautés florissantes. Outre les témoignages épars çà
et là dans les annales chinoises et dans les chroniques du
Moyen âge, il existait encore récemment une inscription racontant
l’entrée des missionnaires chrétiens dans l’Empire du
Milieu. Cette pierre, découverte près de Singan fou en 1628, et
fréquemment visitée par les missionnaires catholiques, fut
probablement brisée pendant la guerre des Taiping, car si
Williamson la vit en 1867, Richthofen ne la trouva plus lors de
son voyage dans le Chensi, en 1872. On ne peut avoir aucun
doute sur l’authenticité de l’inscription, que les sinologues ont
souvent reproduite, à cause de l’importance du texte et de la
beauté des caractères; une belle copie de ce monument est
exposée à la Bibliothèque nationale et tous les mots en ont été
discutés par les commentateurs.
D’après cette pierre, c’est en 636 que le missionnaire syrien
Olopônn pénétra dans la Chine du nord-ouest, par la route
qu’avaient prise les familles des Bak, à l’aurore de l’histoire du
« Milieu > ; trois années après, il obtint la permission de bâtir
une église à Singan. C’était donc un peu plus de cent ans avant
l’arrivée des premiers disciples de Mahomet en ces mêmes cantons
du Glorieux Empire.
La nouvelle religion se propagea rapidement et quoiqu’elle
ait eu à souffrir des persécutions, au milieu du ixe siècle et surtout
en 870, époque à laquelle la foule massacra 120 000 étrangers,
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Arabes et Nestoriens, le christianisme existait encore dans toutes
les provinces de la Chine, et principalement dans les régions
septentrionales, lorsque Marco Polo parcourut la contrée.
C’est assez probablement à l’existence de ces communautés
chrétiennes de l’Orient qu’il faut attribuer l’origine de la
légende du « prêtre Jean » qui hanta tellement les imaginations
des Occidentaux au Moyen âge. Les vagues récits apportés en
Europe faisaient apparaître successivement tel ou tel souverain
d’Asie comme ce prêtre-roi, que l’on croyait être Jean de l’Apocalypse,
jouissant de l’immortalité et de la connaissance de
l’avenir. Le fondateur du royaume de Karakitaï est un de ceux
que la légende désigne le plus nettement. Plus tard, Marco
Polo parle d’Ount khan, l’un des ennemis de Djenghiz khan,
comme du véritable prêtre Jean, puis on se demanda si Djenghiz
Khan lui-même n’était pas le mystérieux potentat. Enfin,
quand on eut vainement cherché en Asie la position du grand
royaume chrétien, la légende se reporta vers d’autres « Indes »,
c’est-à-dire vers les sources du Nil, et l’empereur d’Éthiopie
devint à son tour le prêtre Jean de la légende. On le retrouve,
ce prêtre protéique, jusque dans l’Afrique australe, sur un portulan
espagnol du commencement du xvi6 siècle. Il a erré sur
le vieux continent comme plus tard la Fontaine de Jouvence
et l’Eldorado sur le Nouveau monde.
Les chrétiens ne sont plus représentés en Chine par la
secte nestorienne. Les Oui'gour, les Tartares et les diverses
populations du nord qui professaient la religion occidentale se
convertirent à l’islamisme, probablement à l’époque de Tamer-
lan, et ce sont précisément les descendants des Nestoriens qui,
sous le nom de Dounganes, ont récemment mis en péril l’intégrité
du Grand Empire.
Le renouveau du christianisme en Chine fut l’oeuvre des
missionnaires catholiques, qui succédèrent aux Nestoriens
pour prêcher la religion de l’Occident dans le pays de Confucius.
Dès la fin du xiii® siècle, Montecorvino fondait des églises
parmi les Chinois et il devenait évêque de Peking ; mais, au
xvi8 siècle, les prêtres chrétiens ne furent pas accueillis avec
la même bienveillance. C’est après de nombreuses tentatives
qu’ils réussirent à pénétrer dans le Royaume du Milieu : ils
étaient repoussés par leurs propres compatriotes, les marchands
européens de Macao, qui craignaient d’être expulsés du
pays s’ils favorisaient des essais de conversion. Enfin, le jésuite
italien Ruggiero, déguisé en Chinois, se glissait en 1581 dans
la ville de Canton, et l’année suivante il était suivi par le célèbre
Ricci, homme du monde et fin diplomate, qui sut utiliser ses
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