sont magnifiques, « leur poignée ciselée avec une finesse sans
pareille, leur fourreau recouvert du laqué le plus précieux
leur lame, signée par tel ou tel maître célèbre, une merveille
de trempe ».
Étant données cette conception philosophique des choses
de la paix et de la guerre, cette aversion innée du métier des
armes, et en même temps la prépondérance absolue des lettrés
sur les militaires, le^ gouvernement chinois ne militarise qu’à
regret la Chine, et il l a trop peu militarisée jusqu’à ce jour
pour pouvoir lutter utilement contre l’Europe.
L armée chinoise fait bonne figure : sur le papier, comme
on dit.
Elle comprend d 233 469 hommes, dont pas un dixième,
peut-être pas un centième vraiment capable d’affronter en
champ clos une troupe européenne égale en nombre.
En tète s avancent les Pa K i, les « Huit Bannières »,
troupe spécialement entretenue par la gloire et la grandeur du
Milieu, celle qui « mange le riz de l’Empereur ». L’armée des
Huit Bannières, qui fut jadis la principale force de la dynastie,
est maintenue avec son ancienne organisation; elle se compose
presque uniquement de Mandchoux et de Mongols mariés,
possédant chacun son.champ ou son jardin et soldés chacun
à raison de 5 taëls par mois, soit 10 à 12 francs. Ce sont des
colons militaires plus que des soldats. Malgré leur nombre,
évalué à 230 000 hommes, ils ne seraient que d’une faible ressource
à l’Etat contre une invasion étrangère. Ils sont peut-
être même plus dangereux qu’utiles à la sécurité de l’Empire.
Par leur résidence dans les « villes tartares » qui dressent
leurs remparts au milieu des villes chinoises, ils rappellent
constamment à la nation vaincue la mémoire de sa défaite, et
entretiennent ainsi le sentiment de révolte contre le pouvoir
mandchou.
Le seul corps tartare qui puisse prétendre à former une
véritable armée est le Hiaokiying, occupant la capitale et les
environs : son effectif comprend 36 000 hommes et 26 000 élèves.;
mais il est très difficile d’avoir des renseignements exacts sur
ces troupes, qui manoeuvrent à l’intérieur des parcs impériaux,
interdits soigneusement aux étrangers. Le plus haut grade militaire,
celui de siangkiun, synonyme du titre de siogoun en
langue japonaise, ne peut être occupé que par un Mandchou :
un général chinois ne saurait dépasser le rang de titaï.
La troupe qui garde le palais de l’Empereur, celle qui surveille
les nécropoles impériales, celle qui tient garnison dans
Peking, la * Compagnie des tigres », la police, etc les Tchou
fan, qui occupent la Mandchourie la dix-neuvième province,
à vrai dire extra-chinoise, le Kansou Sintsian et le Petchili
et treize autres des dix-huit provinces « fondamentales » et
les Huit Bannières, tout cela monte « nominalement à
230 000 hommes, a-t-on dit : exactement 229 414, recrutés chez
les Mandchoux, les Mongols et les Chinois de la Mandchourie
et du Petchili septentrional. C’est une troupe archaïque, naïvement
armée de la lance, de la hallebarde, de l’arc, et comme
arme offensive la plus moderne, du fusil à mèche; armée destinée
à tourner casaque, lorsque les temps seront accomplis, le
jour venu d’accepter le protectorat moscovite. Déjà les Mongols
englobent tous les Européens dans le nom commun d’Ourus,
Russe; et ils font bon visage aux Cosaques de passage, prêts à
acclamer en eux les annonciateurs du maître qui va venir, le
tcha en pair ou « tsar blanc » ; ils ont tout l’air de préférer les
Ourous aux Chinois.
On a caractérisé les soldats chinois par deux jeux de mots
assez cruels.
Par allusion aux fusées détonantes qu’ils lancent pour
effrayer les ennemis, on a dit : « Ils ne tirent pas des coups de
feu, mais des feux d’artifice. »
Et par allusion à leur extraordinaire fidélité aux exigences
du décorum, tel qu^ilsd’entendent : « Dès qu’ils ont envoyé une
volée de coups de fusil pour « sauver la face », ils fuient à tire-
d’aile pour sauver la vie. »
Viennent en deuxième ligne, les 1 048 988 hommes nominatifs
du L u ty in g , de l’Armée du « Drapeau vert », divisée en
dix-huit corps : un par province. Ces miliciens sont employés
principalement aux fonctions de police, au transport des
céréales, à l’entretien des digues, des levées et des écluses, à
la réparation des routes; ils ne servent que dans les limites de
leurs provinces respectives, et c’est à grand’peine que le gouverneur
peut obtenir, dans les circonstances exceptionnelles,
de les employer en dehors du territoire qu’ils ont charge de
défendre. Drapeau vert ou Bannière verte, cette vaste gendarmerie
et police se recrute par engagements volontaires, chacun
des dix-huit corps dans sa province propre; et chacun a pour
général commandant le foutaï ou « gouverneur », qui est toujours
un civil, d’après le principe, absolu en Chine, que les
armes doivent le céder à la toge.
Ce n’est pas tout encore : il y a les « Braves », depuis
l’année 1860. On nomme ainsi des corps d’engagés volontaires
formés a l o r s p o u r résister à la grande insurrection des Taïping,