gens du pays « de la Grande Foi » ont quintuplé; ceux du
, Pays Vertueux », l’Allemagne, ont triplé, toute déduction
faite de Kiaotcheou; les gens du Ji kouo ou » pays du Soleil
levant » sont quarante fois plus nombreux, et les Russes vingt
fois, et encore toute abstraction faite de Port-Arthur et de la
Mandchourie.
Très peu nombreux donc, mais augmentant notablement
en nombre, sont les « Barbares de l’Occident » et, plus vite
augmentés que tous, les cousins haïs de l’archipel du Soleil
levant, les Wo, ce qui signifie, paraît-il, et après la guerre
sino-japonaise, l’ironie est « énorme » : les Soumis, « ceux qui
se tordent dans la poussière ».
Certes, en comparaison des multitudes de la
n € Nation Centrale », ces 15 000 nouveaux venus
l e (Japonais à part), ces Occidentaux ne sont qu’une
p id g eo n menue poignée d’hommes, mais leur présence
e n g l ish n’en indique pas moins une révolution dans
l’histoire de l’Asie et du monde. Commerce,
industrie, moeurs et idées, ils ont tout modifié, beaucoup plus
que les Chinois eux-mêmes ne s’en rendent compte. Dans les
ports du littoral, ils ont été jusqu’à faire naître une sorte de
langue franque, le pidgeon english, ou l'anglais d’affaires, qui
a déjà quelques prétentions à devenir un idiome littéraire et
qui est usité même entre des Chinois de dialectes différents,
auxquels il fournit beaucoup de termes pour nombre d’idées
nouvelles.
En revanche, bien des mots de la langue usuelle sont
entrés dans ce jargon, mais la plupart des expressions sont
tellement changées, que ni les Chinois ni les étrangers ne les
reconnaissent sous leur forme nouvelle. Exemple suffisant, le
nom même de ce parler hybride : comment reconnaître dans
pidgeon le mot anglais business, i affaire », qui n ’est lui-même
que notre mot français besogne?
Le fond de ce patois est plutôt portugais que britannique,
et c’est dans l’Inde, à Goa, qu’il faut en chercher la première
origine : c’est ainsi que le nom de joss, donné sur le littoral
aux statues de Bouddha, des dieux et des saints, provient du
portugais Dios. Dans les * concessions » françaises, on parle
aussi un jargon de commerce à fond portugais où se rencontrent
quelques mots français, plus ou moins reconnaissables
parfois.
La diffusion de ce pidgeon english et aussi la place tout
à fait prépondérante occupée par le véritable anglais dans le
commerce, les relations entre Européens et Chinois, la télégraphie,
le journalisme, ont inspiré aux Anglais de véritables
dithyrambes et suscité des prophètes qui nous semblent légèrement
optimistes. Tel un écrivain bien connu, un voyageur
et un politique, G. Curzon. Il s’exprimait ainsi, en 1896, dans
ses Problème o fth e Far East :
c Avant tout, l’avenir de prépondérance dévolu à la Grande-
Bretagne dans l’Extrême Orient sera facilité par la propagation
de la langue anglaise. Déjà parlée dans tous les magasins,
de Rangoun à Yokohama, enseignée déjà dans les institutions
militaires et navales de la Chine, dans les écoles de Siam et
du Japon ; employée déjà par le télégraphe en Chine, en Japon,
en Corée, gravée sur les pièces d’argent qui sortent des
Monnaies de Canton et d’Osaka, usitée déjà chez les Chinois
eux-mêmes comme moyen de compréhension entre les habitants
des diverses provinces de l’Empire Jaune, elle a pour destinée
infaillible de devenir le langage de l’Extrême Orient. Ses
sons résonneront dans tous les pays, et ses mots jusqu’à la fin
du monde. »
« Que ce splendide avenir ne soit pas un vain rêve de l’imagination,
qu’il doive se réaliser avant un temps indéfini, nul
n’en doute parmi ceux qui ont voyagé en long et en large dans
l’Asie orientale.
Seule, une déchéance morale de la race anglaise pourrait
jeter une ombre de doute sur l’avenir de cette régénération de
la Chine.
We sailed wherever ship could sail,
' We founded many a mighty State ;
Pray God our greatness may not fail
Through craven fear of being great!
Nos vaisseaux ont sillonné tout flot navigable,
Nous avons fondé plus d’un État puissant;
Dieu .veuille que nous ne perdions pas notre grandeur
Par un lâche effroi d’être trop grands ! »
Prédiction semblable aux prophéties du siècle dernier sur
l’universalité future de la langue française, encore que bien
mieux appuyée sur des faits et des présomptions.
Mais ce cri de victoire détonne à propos d’une Chine qui
de plus en plus échappe à la mainmise anglaise et sur laquelle
s’étend toujours davantage l’ombre de la Russie; sans rien
dire de l’Allemagne dans le Chantoung et sur le Yangtze kiang,