En aval du lac Poyang, le Grand Fleuve se
v i i i dirige au nord-est, à travers l’une des régions
l a f in les plus gracieuses de la Chine. L’eau glisse dans
d o son large lit d’un mouvement toujours égal et
t a n g t z e régulier; des îles verdoyantes rompent çà et là
l’uniformité de l’eau grise; des touffes de bambous,
des groupes d’arbres entourent les maisonnettes du bord ;
quelque pagode, sur un promontoire, annonce le voisinage
d’une ville; des coteaux peu élevés, striés de verdure, dominent
les campagnes cultivées des deux rives et, contournant un
lointain méandre, vont se perdre dans les vapeurs de l’horizon.
La plaine alluviale ne commence sur les deux bords qu’en
aval de Nanking, là où le fleuve, prenant la direction de l’est,
s’ouvre graduellement en estuaire ; la marée pénètre dans toute
cette partie du Yangtze, jusqu'à 360 kilomètres de l’Océan.
La profondeur du chenal dépasse 100 mètres en quelques
endroits, et les sondeurs promènent le plomb sur de grandes
distances sans trouver le fond à moins de 40 mètres ; mais le
lit se relève peu à peu en se rapprochant de la mer, et des seuils
de vase séparent l’estuaire des eaux du large. A l’embouchure,
la distance d’une pointe à l’autre est d’une centaine de kilomètres,
mais cet espace est en grande partie occupé par des
îles et des bancs de sable.
Les passes les plus profondes de la barre du Yangtze ont
en moyenne 4 mètres de profondeur et, grâce à la marée qui
s’élève de 3 mètres à 4 mètres et demi, suivant les variations
du fleuve, les navires calant plus de 5 mètres pénètrent facilement
dans le chenal. Le principal danger de l’entrée provient
des épais brouillards qui parfois, s’amassant au-dessus des
bancs, cachent les bouées et les balises : ainsi que dans toute
la mer Jaune et dans les autres parages de bas-fonds, ces
brouillards proviennent des rapides écarts de température qui
se produisent dans les mêmes couches liquides entourées
d’eaux plus profondes.
Le fleuve Bleu, qui n’est pas plus bleu que ix « le beau Danube bleu », porte dans ses eaux beautb
a n sfo r - coup moins de particules terreuses que le fleuve
m a t io n s Jaune; mais il en porte beaucoup tout de même
d u d e l t a du continent à la mer.
En s’en tenant aux observations de Guppy,
la proportion des troubles contenue dans le bas Yangtze est
d’un 2 188e en poids, d’un 4 157e en volume ; les alluvions portées
à l’embouchure représentent une masse solide de près
de 6 mètres cubes par seconde.
Donc, chaque année, les dépôts de vase s’accroissent de
180 millions de mètres cubes : assez pour recouvrir de boue
une étendue de 100 kilomètres carrés sur 2 mètres de hauteur,
et assez pour érafler moyennement la conque entière du
fleuve d ’un dixième de millimètre par chaque période de douze
mois, soit d’un mètre tous les dix mille ans.
En vertu de quoi la position des passes change incessamment
; de nouveaux bancs font leur apparition et les îles s’accroissent
en étendue; l’ex-île de Tsoungming en est l’exemple
le plus notable.
On dit que cette terre de Tsoungming ou Kianche, c’est-
à-dire la « Langue du Fleuve », qui s’allonge dans l’estuaire, du
nord-ouest au sud-est, immédiatement au nord de la rade de
Wousoung, effleurait à peine la surface, à l’époque de la domination
des Mongols. Érodée à l’amont, elle s’est prolongée
graduellement à l’aval en voyageant ainsi de l’ouest à l’est et
en s’éloignant de la rive méridionale, en même temps qu’un
banc de sable en croissance continue la rapprochait constamment
de la rive septentrionale ; enfin la soudure s’est faite
et maintenant Tsoungming n’est plus une terre insulaire séparant
en deux passes très larges l’embouchure du Yangtze,
mais bien une presqu’île alluvionnaire du continent, au nord
de l’estuaire du Grand Fleuve.
Les premiers habitants de Tsoungming, envoyés sur le sol
affermi, furent des bannis du continent, mais l’île, ne cessant
de s’accroître et de se consolider, fut bientôt après visitée par
les colons libres, qui en changèrent l’aspect avec leurs canaux,
leurs levées, leurs villages, leurs cultures; des pirates japonais
s’établirent aussi sur le littoral océanique, et leurs descendants,
devenus de pacifiques agriculteurs, se mêlèrent
aux immigrants d’origine continentale. Tsoungming, où sur
une surface d’environ 720 kilomètres carrés se presse un million
d’habitants (î), est une des régions les plus populeuses de
la Chine, même de la terre entière.
Durant la première moitié du xix9 siècle, les colons de
Tsoungming eurent l’avantage de vivre indépendants, sans
mandarins qui vinssent leur faire payer des impôts et les
vexer par des règlements : aussi la population, s’administrant
elle-même, était-elle à la fois beaucoup plus heureuse et plus
policée que celle de la terre ferme. « C’est là, disait Lindsay,
qu’il faut aller pour comprendre l’honnêteté et la bienveillance
naturelles des Chinois. » Foyer d’émigration par suite de la