de colonisation est immense, et c’est par des paysans slaves
et des allophyles russifiés, Turkmènes, Kalmouks, Bouriates,
autant que par des escadrons de Cosaques, de Turcomans, de
Kirghiz qu’elle confrontera quelque jour avec les masses profondes
de la Chine rurale.
Bien que la Russie ne soit pas riche, que la foule des
Russes vive dans une misère profonde et que certaines provinces
subissent périodiquement la disette ou la famine, cependant
les ressources de l’État sont employées de manière à lui
donner une grande force offensive. Sa puissance militaire,
même à 8 000 kilomètres de la capitale, est bien supérieure à
celle de la Chine dans ses propres mers et sur son propre territoire.
Peking n’est pas moins à la merci future des Russes qu elle
ne le fut, dans le passé, à celle des Anglo-Français, surtout,
s’il est vrai, comme il est probable, que les ingénieurs militaires
de la Russie aient déjà fortifié au profit de leur empire
les défilés de Kalgan, à la descente du plateau mongol dans la
Chine proprement dite.
La position de Peking est des plus exposées : tan t que
cette capitale avait à craindre seulement les incursions des
Mongols ou les soulèvements de la population chinoise, elle
occupait une excellente situation stratégique, dans le voisinage
des montagnes fortifiées qui la protègent au nord-ouest, près
du Grand Canal, qui lui apportait ses approvisionnements, et
non loin des tribus mandchoues qu’un signal faisait accourir
au secours de leurs compatriotes menacés.
Mais aujourd’hui, les Mandchoux, les Mongols, les Taïping,
les Musulmans révoltés, qu’est-ce que tout cela en comparaison
du danger « slave » et, pour employer un mot plus compréhensif,
du danger européen ? .
• Peut-être avant qu’il soit bien longtemps, le nom de Chine
deviendra-t-il une simple expression géographique, comme
récemment encore le nom d’Italie, et présentement le nom de
l’Inde.
Ce qui préservera peut-être l’Empire pendant de longues
années, ce sera, comme dans le cas du Maroc, par exemple,
les jalousies et les ambitions des gouvernements européens,
jusqu’au jour où les forces russes seront devenues insurmon-
t&blôs.
Quant à dénationaliser l’Empire aux trois ou quatre cents
millions d’hommes, il n’y faut pas songer. Pour longtemps
encore ou pour toujours la Chine est incompressible; ou plutôt
elle le serait sans l’immutabilité relative de sa langue et de son
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écriture qu’elle sacrifiera peut-être un jour, à tort ou à raison,
sur l’autel des intérêts matériels.
Quelles que soient les destinées politiques et militaires de
la Chine et du Japon dans leurs rapports avec les puissances
européennes, une chose est certaine, c’est que les nations de
l’Orient et de l’Occident sont désormais solidaires, et qu’elles
le seront de plus en plus, avec une intensité croissante, comme
la boule de neige, qui, de simple flocon, devient avalanche.
Par les échanges des denrées et des marchandises, par les
voyages des blancs civilisés dans l’Asie mongole, des Chinois
et des Japonais en Europe et en Amérique, par les émigrations
et les immigrations permanentes, les civilisations se pénètrent
mutuellement. Ce que le canon n’a pas fait, la liberté des
échanges commence à le faire d’une manière plus efficace.
Si des quartiers européens se construisent dans les cités
de la Chine et du Japon, des villages chinois s’élèvent en Amérique,
au Pérou, en Australie, et des comptoirs chinois
s’ouvrent à New-York et à Londres. A ces changements extérieurs
correspondent des modifications profondes : les idées
s’échangent aussi bien que les marchandises; Orientaux et
Occidentaux arrivent à se comprendre, et par conséquent à
savoir ce qu’ils ont de commun. Le monde est devenu trop
étroit pour que les civilisations puissent se développer isolément,
en des bassins géographiques distincts, sans se mêler
en une civilisation supérieure.
Les peuples de l’Europe et de l’Asie orientale vivaient
autrefois comme des mondes séparés. Maintenant les États-
Unis d’Amérique se sont peuplés d’émigrants qui en ont fait
une autre Europe, et c’est entre deux Europes, celle de l’ancien
continent et celle du nouveau, que se trouve enserrée la nation
chinoise; un courant continu se meut, de peuple à peuple, sur
toute la rondeur de la planète, à travers tous les continents et
toutes les mers.
La période historique dans laquelle vient
vu d’entrer l’humanité, période définitive, — s’il y
a n t a g o n ism e a du définitif au monde — nous menace d’événede
ments formidables.
l ’o r ie n t De même que la surface de l’eau, par l’effet
e t de de la pesanteur, cherche à se niveler, de même
l 'o c c id en t les conditions tendent à s’égaliser en toutes les
contrées possibles.
En réalité, l’homme considéré comme simple possesseur