Beaucoup de sioutsaï grossissent la foule des déclassés, car la
plupart, manquant de fortune, ne peuvent subvenir pendant
plusieurs années aux frais de leur entretien et de leur instruction,
pour se préparer à de futurs examens. C’est parmi eux
que se rencontrent surtout les bas employés, les lecteurs qui
déclament dans les auberges les récits dramatiques de l’histoire
nationale, les marchands de sentences qui rédigent des
maximes sur des bandes de papier peint, les candidats perpétuels
qui, moyennant salaire, se présentent aux examens à la
place et sous le nom de riches ignorants et leur font obtenir le
titre de lettrés. Les bacheliers pauvres ont aussi la ressource
de se faire maîtres d’école ou médecins, et c’est également
dans leur classe qu’il se trouve le plus d’hommes intelligents, à
l’esprit ouvert et studieux, qui se développent avec originalité
et contribuent le plus au travail incessant du renouvellement
national.
Chaque année, le Chancelier délégué par l’Académie des
Hanlin ou « Plumes de Phénix rouge » fait une enquête sur les
bacheliers de l’année précédente et les classe par ordre de
mérite, même avec pouvoir de les dégrader. Mais les examens
au degré supérieur, celui de kiujen ou « homme promu »,
c’est-à-dire licencié, ne se font que tous les trois ans, dans la
capitale de chaque province, sous la présidence de deux
membres de l’Académie des Hanlin.
Derechef on parque les candidats dans les cellules, ces
pauvres « bêtes à concours » de rédiger, le pinceau à la main,
leur thèse sur un sujet quelconque de philosophie, d’histoire,
de politique. On en reçoit relativement très peu — environ
1300 pour toute la Chine. Les heureux Kiu jen sont d’emblée
classés comme hommes importants; ils reçoivent les félicitations
des magistrats, et de grandes réjouissances publiques se
font en leur honneur.
Enfin, trois ans après, les * hommes promus » peuvent se
présenter à l’examen définitif, à Peking, et y subir la thèse qui
leur vaut le titre de tsinsé ou « docteurs arrivés ». A ce concours,
qui consacre lés grands esprits de 1’ « élégant Empire
d e là dynastie de Ching », les candidats se comptent aussi par
milliers : 6896, par exemple, à la session de juin 1894; et là-
dessus 320 admis, soit moins d’un sur vingt et un. Et là aussi,
pendant quinze jours, les malheureux émules s’exténuent « à
commenter une phrase des classiques, à rimer une pièce de
vers; et rien ne les rebute, ni les horreurs du régime cellulaire
en pleine canicule, ni les passe-droits éhontés. A chaque session,
plusieurs, succombant à la peine, expirent le pinceau à la
main devant la dissertation commencée Du petit au grand,
tous sont hypnotisés. Des monarques même ont voulu prendre
part à ces joutes littéraires; la tradition rapporte que l’Empereur
Kienloung ne dédaigna pas de concourir, envoya sa copie,
et fut reçu le premier, comme par hasard » (M. Monnier).
Le tsinsé a droit à des habits particuliers ; à lui la préséance
dans les cérémonies; à lui des honneurs fixés à l’avance par
les rites et l’une des hautes dignités de l’Empire. Degré d’honneur
inouï, la fille du « Fils du Ciel » elle-même ne déroge
pas en unissant son sort à celui du docteur que l’examen a
classé le premier. Si l’Empereur n’a pas de fille, il adopte celle
de l’un de ses ministres et la donne en mariage au triomphateur.
Le plus heureux des candidats 1 reçoit immédiatement rang
de ministre ou de vice-roi, et il en exerce les fonctions après
un voyage de deux ou trois ans dans les différentes provinces.
Partout il est reçu avec les honneurs impériaux. Seul, avec les
ministres, les vice-rois et les grands inspecteurs de l’instruction
publique, il peut habiter les splendides palais des Universités.
Toutefois, son premier désir est de venir saluer ses parents,
auxquels il est chargé d’offrir des marques de distinction de la
part de l’Empereur, et il les remercie des honneurs qu’il doit à
leurs premiers soins » (Eugène Simon).
A vrai dire, le concours du doctorat n’est pas absolument
la fin finale pour tous : comme couronnement de l’édifice il
y a les examens pour entrer dans l’Académie des Hanlin,
épreuves où les candidats sont interrogés dans le palais impérial,
sous les yeux mêmes du souverain, ou du moins des plus
hauts personnages de la cour, parmi lesquels ils briguent
une place.
Cette Académie des Hanlin « couronne » la constitution
chinoise, à côté de l’Empereur, et jusqu’à un certain point au-
dessus de lui, puisqu’elle fournit les Censeurs qui ont le droit
de blâmer le * Fils du Ciel » lui-mêmè et de le rappeler à ses
devoirs.
Elle comprend 232 membres, dont aucun n’est nommé par
le gouvernement. Ils sè recrutent eux-mêmes, comme par
exemple chez nous l’Institut, parmi lés savants et les lettrés,
ce qui veut dire ici, parmi les hommes de l’Écriture, exactement
du Pinceau. « Plusieurs femmes en ont fait partie. » Comme
« jetons de présence », ils touchent un léger subside du gouvernement
et, dit Eugène Simon, l’État assure à chacun d’eux