guerre civile a passé comme un incendie sur les campagnes,
mais aussi pendant les longues périodes de tranquillité. D’après
les statistiques officielles du commencement du xix8 siècle,
l’ensemble du territoire cultivé dans la Chine proprement dite
comprenait 49 932 000 hectares, sans les bois, les pacages, les
propriétés de l’empereur, des pagodes et des communes, et
le Chantoung était la seule province dont plus de la moitié fût
couverte de cultures.
Cinquante millions d’hectares utilisés, sur 400 millions,
ce n’était alors que le huitième du sol, bien peu, trop peu pour
un pays doté de tant de loess et de si vastes plaines qui sont
des « mers de culture ». Il ne semble pas que ce document soit
acceptable.
Mais, quand même on admettrait qu’il était fort au-dessous
de la vérité en 1801, qu’il l’est encore plus en 1901, qu’il y a cent
millions d’hectares en rizières, en mais, en sorgho, en céréales,
en alignements de mûriers, en champs d’arbres à thé, en plantations
de cannes à sucre, en orangeries, en palmeraies de palmiers
à chanvre, en arbres à huile, en arbres à cire — la liste
serait longue des bienfaits de ce sol choisi, — on ne peut guère
consentir aux dix-huit cents milliards de valeur (et même au
delà) qu’Eugène Simon attribue à la terre chinoise : soit en
moyenne 4 500 francs l’hectare.
Sans doute les Chinois incorporent surtout au sol, et presque
uniquement au sol, l’argent qu’ils en retirent; le bénéfice des
champs ne se stérilise pas autant que chez les Européens en
constructions urbaines ; on ne le distrait pas autant en entreprises
industrielles, en équipages, en dépenses somptueuses :
l’épargne des générations se consacre aux champs qui en ont
été l’origine. Mais l’hectare ne saurait valoir 4 500 francs dans
l’ensemble d’une contrée où la déforestation a transformé les
« hauts » en terre inutile, et où il n’y d’ « assujéti » que les
pentes basses, les vallées et la plaine, où, par exemple, le sol
est merveilleux, principalement dans le loess. Et quels soins,
quelle patience et quelle activité de fourmis !
Que le sol Chinois vaille 1 800 milliards de francs ou beaucoup
moins, toujours est-il qu’en moyenne, il produit « fabuleusement
», malgré de dures et nombreuses calamités, la sécheresse,
les inondations, les sauterelles, les invasions de rats.
Aussi la vie est-elle en Chine d’un bon marché inouï ; et la
vie n’étant pas coûteuse, les salaires ne sont pas moins * inouïs »
de modération et conformes à la sobriété bien connue de
l’homme à tresse.
Avant les derniers événements, qui présagent à la Chine,
entre autres « améliorations », un bouleversement complet des
prix, rétributions et loyers, vers 1880, par exemple, on nous
apprend qu’un travailleur des champs gagnait de 15 à 20 centimes
par jour (on le nourrissait, il est vrai, sobrement) ; 5 centimes
de plus en temps de repiquage du riz, 10 centimes en
temps de battage.
Les artisans, ouvriers d’art et gens de professions libérales
ne sont pas beaucoup plus rémunérés : à la campagne l’ouvrier
d’art reçoit ou recevait alors 25 à 30 centimes de sa journée, et
la table ; en ville, il s’entretenait à ses frais et touchait 50 centimes;
le dessinateur, le peintre 50 à 60; le médecin, 20,
25 centimes, rarement 50 par visite. < On voit que l’égalité des
professions n’est ou n’était pas, en Chine, il y a vingt années,
une pure théorie », les lettrés et les mandarins à part, s’entend.
Et les prix? Dignes des salaires. D’après Eugène Simon, un
bol de riz tout préparé, 3 centimes : donc 6 ou 9 centimes pour
les deux à trois bols du repas; 10 à 15 centimes la livre de boeuf
de 604 grammes ; 30 centimes la livre de porc ; 20 centimes la
livre de mouton; 10 à 15 centimes la livre de poisson; 35 à
50 centimes une poule; 40 centimes un canard; 1 centime le
bol de thé ; 10 centimes le bol de vin de riz ou de vin de sorgho ;
4 centimes un coucher à l’auberge ; 2 francs cinquante centimes
à 3 francs une paire de souliers en velours ; 50 centimes à 1 franc
un bonnet de feutre double; 7 à 10 francs une robe d’hiver
ouatée; 2 francs à 2 fr. 50 centimes une robe d’été; 6 à 7 francs
une pèlerine; 2 fr. 50 à 3 francs des jambières; 50 centimes à
1 franc un collet ; 8 à 10 francs un pardessus doublé en peau de
mouton; 5 à 10 centimes un chapeau de paille, 8 à 15 centimes
une paire d’espadrilles de travail en cordes, etc., — tous prix,
nous dit-on, constatés dans les provinces du centre, les plus
riches. Sans doute ils ont pu augmenter depuis que Simon a
écrit sa Cité chinoise, mais s’ils ont haussé, probablement
que c’est de très peu.
Presque toutes les régions montagneuses sont demeurées
à l’état de friches, car les Chinois n’ont pas désarbré leurs
sierras pour les cultiver, mais seulement pour en brûler le
bois. C’est bien à tort que des voyageurs, voyant les escaliers
de verdure pratiqués sur les pentes des montagnes qui dominent
la vallée du Min de Fo’kien, ou celles de quelques contrées du
Yunnan, du Tchekiang ou du Houpé, en ont délibérément
conclu que tout le sol du Grand Empire était soumis à la
bêche ou à la charrue.
Parmi les savants européens, Liebig surtout a signalé
l’heureux contraste que présente l’agriculture chinoise com