rend encore, d’un bout à l’autre de l’Empire, des honneurs
qu’on peut qualifier de surhumains.
La précision des documents historiques laissés par ses
disciples et son genre de vie lui-même n’ont pas permis qu’on
entourât son existence de mythes et de miracles : on n’en a
point fait un dieu; mais d’âge en âge son autorité morale s’est
accrue.
Quatre cents ans après sa mort, il n’avait encore reçu
que le nom de koung ou » duc » ; huit siècles plus tard, sous les
Tang, il est nommé le « premier saint », puis sa statue est
revêtue d’une robe royale et couronnée du diadème. Sous les
Ming, la dernière dynastie nationale, en tant que d’origine chinoise,
Confucius est déclaré « le plus saint, le plus sage, le
plus vertueux des instituteurs des hommes ». Après la mort du
philosophe, une colonie de disciples s’établit autour de son
tombeau et se déclare vassale de la famille ; d’autres fidèles, ne
pouvant faire le pèlerinage lointain jusqu’au lieu sacré, élèvent
dans leurs villes des tombeaux symboliques ; seize cents temples
se bâtissent en son honneur, et Confucius est enfin solennellement
reconnu pour * maître de la nation ».
Jamais homme, parmi ceux qui ne sont pas montés au rang
des dieux, n’a été l’objet d’un pareil respect : lorsque l’empereur
Hoangti, jaloux de la gloire des souverains d’autrefois,
ordonna la destruction des anciens livres et surtout du fameux
Chouking ou « livre des Annales » compilé p a r Confucius,:
quatre cent soixante lettrés suivirent dans les flammes les
ouvrages vénérés du maître ; d’autres furent enterrés vivants,
beaucoup envoyés aux confins mongols, à la Grande Muraille,
comme terrassiers, gâcheurs et maçons.
Celui qui » protégea les Jésuites comme astronomes et les
toléra d’abord comme chrétiens » et qui régnait en Chine à peu
près à la même époque que Louis XIV en France, Kanghi, expose
comme suit la quintessence de la morale sociale, politique et
gouvernementale du Sage entre les sages, en seize préceptes,
qu’à l’imitation des commandements de Dieu et des commandements
de l’Église, on pourrait nommer les commandements
de Confucius, « revus, corrigés, estampillés » par l’empereur :
1° Estimez surtout la piété filiale e t le support fraternel :
ce que faisant, vous donnerez aux relations sociales l’importance
qui convient ;
2° Soyez généreux envers toutes les ramifications de votre
famille, et vous mettrez en plein jour l’harmonie et la bonté ;
3° Soyez en paix et concorde avec vos voisins, et vous préviendrez
querelles et procès;
4« Reconnaissez l’importance de l’agriculture et des soins à
donner au mûrier, et il y aura de quoi se nourrir et de quoi se
vêtir;
5° Appréciez la tempérance et l’économie : ainsi ne gaspillerez
vous pas vos ressources ;
6° Faites le plus grand cas des collèges, des écoles : alors
les travaux des lettrés seront ce qu’ils doivent être;
7° Découragez, proscrivez les doctrines étrangères : ainsi
l’emportera la doctrine correcte ;
8° Exposez, expliquez les lois : ainsi seront avertis les
ignorants et les obstinés ;
9° Soyez convenables, courtois, prévenants : ainsi vous
perfectionnerez les manières et les moeurs ;
10° Travaillez avec diligence, chacun dans votre profession
: ainsi le peuple sera satisfait;
11? Instruisez vos fils, vos frères plus jeunes : ainsi les
détournerez-vous du mal ;
12° Opposez-vous aux calomnies : ainsi vous protégerez les
gens honnêtes, les hommes bons;
13° Prévenez du danger de cacher les déserteurs : ainsi ne
partagerez-vous pas leur châtiment;
14° Payez vos impôts intégralement et de suite : et vous
échapperez aux réquisitions et poursuites :
; 15° ;Unissez-vous par troupes de 100, de 101; ainsi vous
arrêterez vol et brigandage ;
16° Bridez vos ressentiments, votre colère, et l’on-verra que
vous reconnaissez l’importance due aux hommes et à leur vie.
Ce 1 catéchisme » nous semble un peu vulgaire et terre
à terre, parfois même entaché d’immoralité, comme lorsqu’il
recommande la délation et la trahison, dans le cas des déserteurs.
Suivant l’expression de Ch. Letourneau, la morale des
Chinois est une morale en grisaille, tout aussi décolorée que
leur littérature proprement dite. Mais en somme elle recommande
la politesse, les bonnes relations, les bonnes moeurs, la
correction, l’exactitude envers le fisc, le dévouement à la puissance
établie : en quoi c’est un rudiment nettement gouvernemental.
On ne peut nier que la doctrine de Confucius, dont il se
doit dire sans l’outrager qu’elle manque d’ c envolée » sublime,
a grandement contribué et contribue encore à la durée de la
civilisation chinoise.