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substantif, adjectif, verbe, adverbe suivant sa position dans la
phrase.
Savoir ces règles de position et ce minimum de syntaxe,
arriver à déterminer quel son, quel caractère de la phrase ou
du membre de phrase représente l’action ou l’état, autrement
dit, quel est le verbe, c’est être maître de la langue du « peuple
aux cheveux noirs », qu’on parle assez aisément au bout d ’un
temps assez court. L’écrire couramment c’est autre chose : toutefois,
malgré tant de difficultés, parfois plus apparentes que
réelles, il suffit, en moyenne, de * quatre ans d’études à raison
de deux à trois heures par jour » pour apprendre à peu près
la somme d’écriture vraiment nécessaire.
Telle se montre à nous cette langue si
curieuse, si manifestement imparfaite, qui est
Iv pourtant l’expression d’une grande littérature
l it t é r a t u r e ayant déjà cinq millénaires de durée, à partir de
c h ino ise trois mille ans avant l’ère chrétienne, et trois
grandes périodes de développement.
L’âge antéclassique va des premiers balbutiements connus
de la langue jusqu’aux deux maîtres de la philosophie chinoise,
Laotze et Confucius, vingt cinq siècles avant les temps actuels,
âge dont il nous reste deux grands témoins littéraires : le
Chou-king ou livre des Annales ; le Si-king ou Recueil de vers,
jadis 3 000 morceaux, réduits par la suite à 311 : tous morceaux
d’une authenticité incontestable, qui, dit Léon de Rosny,
« sont parvenus vierges et immaculés jusqu’à nous, grâce à
leur forme inimitable, à leurs rimes, à leur mesure; c’est le
plus beau monument de l’antiquité chinoise, la plus ancienne
anthologie du monde : la Chine seule sur la terre nous a con--
servé une tradition non interrompue depuis les premiers âges
du monde ». ■— Rimes et mesures : la poésie chinoise a donc
en ceci grande supériorité sur la poésie « soeur » du Japon,
qui ne s’appuie ni sur la quantité, ni sur la rime, et se borne à
l’alternance du vers de sept syllabes et du vers de cinq, avec
préférence pour la strophe de 31 syllabes en cinq vers.
L’âge classique comprend environ les cinq siècles à partir
de l ’époque illustrée par ces deux grands sages ; il est caraco
térisé par des oeuvres de philosophie et d’histoire; la langue
a déjà beaucoup perdu de sa flexibilité première (flexibilité qui
ne ressemble guère à celle du grec, par exemple), mais elle a
gagné en force, en concision.
Divers connaisseurs de la littérature chinoise prolongent
XT
l’âge classique commencé avec ces deux grands sages jusqu’à
l’intronisation de la dynastie mongole (1206).
On pourrait y ajouter l’âge récent| commençant au
xix8 siècle avec la première pression un peu forte du monde
européen sur le monde chinois, qui ne pourra manquer d’influer
très profondément sur l’idiome du Milieu.
Même parmi les plus déterminés sinologues, il n’en est guère
ou il n’en est pas qui fasse grand état de la littérature chinoise.
Wells Williams, l’auteur du Royaume du Milieu (Middle
Kingdomj, qui a donné un Dictionnaire tonique et un Dictionnaire
syllabique de la langue chinoise et longtemps professé
la langue et la littérature chinoise à l’Université de Yale,
s’exprime ainsi sur le Trésor littéraire de l’élégant Empire de
la dynastie du Grand Ching ;
« La littérature dont le chinois est l’organe est très vaste
et très didactique, mais elle manque de précision, de variété,
de verve. Les ouvrages publiés dans cette langue ont d’abord
formé, puis confirmé le goût national, en lui imprimant une
monotonie fatigante. De l’admiration sans bornes pour les
livres classiques et pour l’absolue perfection de leurs auteurs,
admiration maintenue et fortifiée par tout un système
d’examens — est résultée pour ces oeuvres une influence incomparable,
et à son tour cette influence les a rendus plus fameux
encore. Aussi l’étudiant de la civilisation chinoise ne peut-il pas
ne pas fouiller avec le plus grand intérêt cette littérature
« immensément » amoncelée pendant une quarantaine de
siècles. Si le nombre et l’entassement étaient les principaux
mérites d’une littérature, il y aurait lieu d’approfondir celle de
la Chine ; mais elle a tout de même mieux que cela : à la parcourir
avec soin, on peut y trouver aussi, en nous servant des
termes de Rémusat, de l’éloquence, de la poésie, un langage
pittoresque gardant à l’imagination toutes ses couleurs. »
N’empêche qu’il y a du fatras par monceaux, de l’inutile
à l’infini, dans les 78 000 volumes (et au-delà) indiqués par le
i Catalogue de tous les livres des quatre librairies » ët dans
les 93 000 autres volumes (et plus) que mentionnent les catalogues
des bibliothèques impériales. Nos centaines de millions
d’ouvrages, à nous Européens, contiennent sans doute autant
d’inepties et de vanités, mais avec combien plus de variété,
de contradictions, de systèmes, de pensées, de génie primesau-
tier, de puissance.
Ceci pour les belles-lettres. Quant au trésor scientifique de
la Chine, il ne consiste guère qu’en erreurs et en enfantillages.