Nanking, de Changhaï, de Foutcheou, autorisé le service des
douanes chinoises à ouvrir deux collèges : l’un à Changhaï
où des professeurs européens enseignent quatre langues européennes,
anglais, français, russe, allemand, diverses sciences,
et le droit international, précisément violé si souvent par les
« barbares » en Chine; l’autre à Canton, avec un programme
beaucoup plus restreint : la langue anglaise et les mathématiques
élémentaires.
Enfin le gouvernement, suivant l’exemple qu’avait donné
la F'rance par ses écoles de Rome et d’Athènes, avait fondé à
Hartford, dans le Connecticut, un magnifique établissement
scolaire où une centaine de jeunes Chinois, élevés à ses frais,
devaient passer une quinzaine d’années en étudiant les sciences
et les arts industriels. Il a dissous cette école en 1881, sur le
rapport d’un commissaire lettré qui constata avec effroi combien
les jeunes Chinois s’étaient américanisés par les moeurs
et les idées; c’est en Europe que doit s’achever désormais l’instruction
de ces pupilles de l’Empire.
A ces fondations officielles il convient d’ajouter nombre
d’écoles établies par des missionnaires, la plupart anglais ou
américains, avec la langue anglaise et un peu de science pour
principaux arguments ; à Tientsin il y a plus de cinq cents
élèves dans une * université », disons : un collège institué par
des méthodistes américains.
Tout cela compte, et rien de tout cela n’est de trop, car
l’instruction donnée en Chine aux enfants, aux adultes est
courte, fautive, et le tiers des hommes n’y savent pas lire
B- science d’ailleurs très difficile, comme on sait —. C’est le
dernier rapport décennal de l’Administration européenne des
douanes maritimes qui nous donne ces chiffres, pour onze
des dix-huit provinces. 37 pour 100 du sexe fort ne savent
pas lire, encore moins écrire ; et dans le beau sexe, 2 pour 100
seulement déchiffrent tant bien que mal les caractères les plus
indispensables.
Cependant en chinois le mot Kiao s’applique également à
l’instruction et à la religion : l’étude est considérée comme un
culte. Depuis des milliers d’années, c’est un principe reconnu
par tous les habitants du Royaume Central que les parents
doivent s’efforcer d’instruire leurs enfants mâles. Toutes les
villes et tous les villages doivent être pourvus d’une école, dont
les instituteurs sont entretenus aux frais de la commune ou
du quartier et librement choisis par le conseil des pères de
famille. Les Chinois aisés ont un ou plusieurs précepteurs dans
leurs familles ; les autres envoient leurs fils aux écoles de jour,
moyennant des honoraires d’une extrême modicité; dans les
grandes villes, il y a des classes du soir fréquentées par les
garçons qui ont dû s’occuper pendant le jo u r à gagner leur
vie ou celle de leurs parents.
C’est avec une véritable passion que les enfants, naturellement
studieux, patients, disciplinés, apprennent à lire les quelques
centaines de mots qui leur sont nécessaires dans le commerce
habituel de la vie ; le temps leur manque pour arriver à
la connaissance approfondie des dictionnaires, et le trésor des
traditions leur reste fermé ; toutefois le moindre signe qu’ils
reconnaissent réveille nécessairement une idée dans leur
esprit ; ce n’est pas un simple son dépourvu de sens comme la
syllabe épelée par l’enfant européen : une lecture machinale,
comme elle se fait si souvent dans les écoles de l’Occident,
serait tout à fait impossible en Chine; il faut penser le mot
avant de le prononcer, et c’est un très grand avantage de cette
lecture par ailleurs si désavantageuse.
Aussi le respect pour la connaissance des lettres est-il profond
chez les hommes du peuple : ils regardent avec une sorte
de dévotion les inscriptions et les sentences des bons auteurs
qui décorent les appartements, les maisons, les édifices publics,
et qui font de la Chine entière comme une vaste bibliothèque;
ils vénèrent le papier, comme si les mots qui le couvrent
étaient la science elle-même, et vont jusqu’à se constituer en
sociétés pour empêcher la profanation des manuscrits épars et
des livres dépareillés en les brûlant avec respect.
Les lettrés et le gouvernement qu’ils représentent étaient
aussi l’objet de leur révérence superstitieuse; les hommes qui
ont eu le bonheur de pénétrer dans les arcanes de l’écriture
leur paraissaient presque des demi-dieux. Mais les événements
récents n’ont pas pu ne pas diminuer la vénération traditionnelle
pour les lettrés. Il a bien fallu reconnaître que leur
science est creuse ; qu’elle est absolument et irrévocablement
fausse; que, comme dit Maurice Courant, d’elle naissent à la
fois le scepticisme et la crédulité ; enfin que, sans avoir étudié
les « cinq Classiques », les étrangers ont réussi à faire des
inventions bien autrement précieuses que tel ou tel commen-
taire sur des paroles de Confucius. Il y a là les commencements
d’une révolution morale, qui ne manquera point d’avoir
ses conséquences politiques : le 1 prestige » de l’autorité
décroît, et c’est en vain que les mandarins cherchent à le
maintenir.