modernes ont prouvé que cette évaluation était trop forte : les
cimes qui s’élèvent dans les massifs environnants ne sont tachetées
de neige que pendant l’hiver. Du col, on n’aperçoit au nord
que rochers et montagnes dominant un labyrinthe de gorges
et de précipices, tandis qu’au sud on voit s’étendre, au-dessous
des pentes de verdure, d’admirables campagnes parsemées de
villes et de villages : c’est ainsi que, du haut des Alpes françaises,
apparaissent les plaines du Piémont.
Il faut toute l’endurance, toute la bonne humeur des bateliers
chinois, pour amener, des deux côtés de la ligne faîtière,
des barques chargées jusqu’au coeur des « Montagnes du Sud »,
car le plus grand nombre des rivières est interrompu par des
rapides et par des seuils sur lesquels les bateaux n’ont pas une
épaisseur d’eau suffisante. Mais les rameurs comptent leur tra vail
pour peu de chose, le temps pour moins que rien (en Chine,
c’est le défaut courant), et dès qu’un obstacle se présente, ils
mettent pied à terre, déchargent l’embarcation et la traînent
ou la portent jusqu’à un endroit favorable, puis la rechargent
de nouveau : c’est exactement le « portage » des Indiens de
l’Amérique du Nord et des Canadiens-Français. Dans ces
régions, il n’est pas un cours d’eau qui, pendant la saison des
crues, ne serve au transport des marchandises jusque dans le
voisinage des sources. Outre les rivières, il n’existe dans le
pays d’autres voies de communication (comme presque partout
ailleurs en Chine) que des sentiers étroits, çà et là pavés de
dalles de plus en plus disjointes, faute de réparations, même
des plus urgentes ; tous les transports se font à dos d’homme ;
on ne se sert de bêtes de somme que dans le voisinage des
grandes villes.
L’importance extrême du col de Meï ne sera bientôt plus
qu’une chose du passé. Ce n’est pas lui que les ingénieurs ont
choisi pour mener le grand central, ou le grand transversal
chinois, comme on voudra le nommer, du bassin du Yangtze
dans celui du Si kiang. La voie ferrée • magistrale » de Pekîng
à Canton par Hankoou n’empruntera pas la vallée du Kia
kiang, tributaire du lac Poyang, à travers la province de
Kiangsi, mais celle du Siang kiang, affluent du lac Toungting,
à travers la province de Hounan ; elle passera du bassin du
Siang kiang dans celui de la rivière du nord (Pe Kiang), tributaire
du fleuve de Canton, par le Tche ling, col ouvert à quelque
150 kilomètres à l’ouest du Meï ling.
La ligne de séparation entre les populations du nord et du
midi, au point de vue du dialecte et des moeurs, ne suit pas la
chaîne de faîte entre les versants hydrologiques; elle passe
beaucoup plus au nord, en longeant l’axe normal des montagnes
du Nan chah, qui se trouve en entier dans le bassin du
Yangtze.
Ainsi le voyageur remontant la vallée du Kia kiang à tra vers
le Kiangsi, dans la direction du col de Meï, passe de la
région du dialecte mandarin, qui est le parler des Chinois du
Nord et du Centre, dans celle des dialectes méridionaux, dès
qu’il est entré dans les défilés en amont de Kingan.
La ligne axiale du Nan chafl, quoique de faible élévation, a
donc exercé une influence considérable sur la distribution des
habitants dans cette partie de la Chine. En outre, la division
du pays en innombrables vallées a pour conséquence de répartir
les populations en une multitude de clans vivant isolés les uns
des autres et se suffisant à eux-mêmes. Si ce n ’est sur le parcours
des grandes voies de transit, les habitants des vallées en
labyrinthe du Nan chafi ne connaissent rien du monde extérieur.
A l’exception des prêtres et des mendiants, que leur vie
errante mène dans toutes les contrées de la Chine, les indigènes
se figurent qu’en dehors de leurs vallées le reste de la
Terre est habité par des barbares, des bêtes féroces, des animaux
fantastiques.