sur les terres basses : larges de 20 à 25 mètres dans les plaines
et pavées en dalles de granit, elles sont bordées pour la plupart
de rangées d’arbres comme les avenues d’Europe. De
5 kilomètres en 5 kilomètres, des tours de signaux se succèdent
le long de la chaussée ; des auberges, des abreuvoirs pour les
montures, des relais, des postes de soldats pour la protection
des voyageurs, des lieux de marché se suivent aussi à des intervalles
réguliers. Des ponts monumentaux traversent les rivières.
Tout est prévu sur ces routes modèles, avec lesquelles
contrastent tant de misérables sentiers, d’ailleurs tout aussi
fréquentés. Seulement le service de la poste n ’est point organisé
d’une manière régulière pour le public. Les dépêches sont
expédiées par les soins d’une association de négociants : il est
rare qu’elles se perdent, quelle que soit la longueur du voyage,
d’une extrémité à l’autre de l’Empire. En dehors des villes,
comme Changhaï, la seule poste instituée sur le modèle européen,
avant la guerre récente, était celle des courriers russes
qui se rendent de Peking à Kiakhta par Kalgan, en douze
jours; les départs avaient lieu trois fois par mois.
La Chine du Nord, a dit Richthofen, est le pays des routes,
bonnes ou mauvaises, surtout mauvaises, même au plus haut
degré, et la Chine du Sud le pays des cours d’eau et des sentiers
.A
u nord, on emploie surtout les bêtes de somme pour les
transports, les chevaux et les ânes ou mulets, les chameaux,
tandis qu’au sud des Tsingling, tout le commerce se fait par
les portefaix.
L’intérêt capital qu’ont l’une et l’autre des deux parties
de l’Empire à devenir un pays de chemins de fer ressort de la
comparaison qui suit : Qu’on prenne 5 000 porteurs, avec leur
flexible bambou sur les deux épaules et que ce corps d’armée,
tout au moins cette brigade, marche pendant 20 jours, les
5 000 Chinois auront transporté tout juste d’un point à l’autre
ce qu’un modeste train de 25 wagons de marchandises transporte
en une seule journée, avec infiniment moins d’accidents
possibles, donc avec détérioration moindre, ou sans détérioration
aucune.
La comparaison est également écrasante entre le convoi de
25 wagons et l’âne, qu’on peut charger de 60 kilogrammes, le
mulet auquel on peut en imposer 120, le chameau qui ne fléchit
pas trop sous 180.
Qu’on juge des centaines de milliers de porteurs auxquels
l’établissement des chemins de fer coupera bras et jambes,
ainsi qu’au nombre égal de bateliers et haleurs à la corde, et
l’on comprendra de quelles malédictions unanimes la Chine
c salue » l’établissement d’un réseau de chemins de fer !
Le Grand Empire, en somme très mal pourvu
ii de routes, possède un grand nombre de canaux,
l e s de temps presque immémorial, et les Chinois,
c a n au x i bateliers incomparables >, remontent et descendent
les fleuves sur des jonques; ils se hasardent
sur les rivières, les torrents dangereux, dès
que la saison des pluies a relevé le plan d’eau et que les sampans
ont des chances de n’être pas fendus sur les rochers.
Cette nation patiente s’accommode très bien de ces voies
de communication imparfaites, rivières où l’on a peine à vaincre
le courant, rapides périlleux, torrents sans chemins de halage,
auberges d’horrible saleté, ou sommeil sous les étoiles.
Elle a cette grande qualité de ne plaindre ni sa peine, ni
son temps ; on peut même dire qu’elle ne tient pas assez compte
de la fuite des heures -® e t c’est une des raisons pour lesquelles
elle n’estime que médiocrement les inventions des
« Barbares roux », toutes calculées pour l’économie des
moments. Et cette autre qualité d’avoir assez bien accommodé
ses bateaux et batelets aux conditions très diverses, et souvent
très insuffisantes, de ses torrents et rivières : grande est sa
variété d’embarcations, de la lourde jonque à gros ventre, aux
radeaux qui n’exigent qu’un minimum de profondeur, et des
radeaux à ces bateaux-paniers « dont la coque, à la fois flexible
et résistante, formée de lamelles de bambou entrelacées, est
rendue parfaitement étanche au moyen d’un enduit résineux >.
Cependant la race des Chinois est tellement active qu’on
ne doute pas de la voir adopter les chemins de fer, qui la
délivreront aussitôt de la procrastination indéfinie à laquelle
la condamnent ses mauvaises routes, ses rivières raboteuses,
ses canaux envasés, même son fameux canal Impérial.
On sait quelle résistance tenace le gouverne-
iii ment chinois opposa jusqu’à ces dernières années
l e s aux compagnies, aux spéculateurs, aux ingénieurs
ch em in s qui lui proposaient des chemins de fer entre les
d e f e r grandes villes de l’Empire, entre le nord et le
midi, le littoral et l’intérieur. On se rappelle
surtout la naissance et la résurrection de la petite ligne de