L a Chine.
Toutefois un culte aussi bien réglé que celui
n des cérémonies officielles ne pouvait comprendre
le l’ensemble des superstitions populaires, conjurer
f e n g - tous les génies qui, tourbillonnant autour des
c h o ü i hommes, mettent leur bien-être et leur existence
en danger. Il s’est donc formé en dehors des rites
officiels un résidu considérable de pratiques non réglementées :
c’est le feng-choui, qui, pour n’être pas un culte régulier, n’en a
pas moins une très grande importance dans la vie de la nation
chinoise.
Le feng-choui, c’est-à-dire « vent et eau », est, d ’après un
jeu de mots des indigènes, * invisible comme le vent, insaisissable
comme l’eau » ; mais on peut cependant le définir comme
l’ensemble des cérémonies par lesquelles l’homme se rend
favorables les esprits des airs et des eaux, c’est-à-dire la nature
tout entière, depuis les astres qui cheminent dans les espaces
jusqu’aux âmes errantes des morts.
Suivant les grands docteurs chinois deux principes gouvernent
le monde.
Le yang, ou principe mâle, correspond au soleil et préside
à l’année pendant la période des chaleurs : c’est le principe
des présages heureux, celui qui fait croître les plantes, les
animaux et les hommes.
Le y in , ou principe femelle, est celui que la lune représente
dans les cieux, et qui règne sur la terre pendant la saison des
froids : c’est le principe des mauvais présages, il annonce la mort.
Séparés, mais non pas ennemis, ce yang et ce yin : rien ne
pourrait exister sans ce mélange du principe de la mort avec
celui de la vie ; c’est par leur union que tout naît et grandit, et
celui qui les comprendrait parfaitement deviendrait par cela
même immortel.
Dans la maison de tout Chinois on voit l’image d’un tigre
portant le taïki ou tableau qui représente le yang et le yin
s’unissant et se pénétrant l’un l’autre dans un cercle magique,
entourés de traits de diverses grandeurs qui figurent les points
cardinaux et la nature entière. Ces traits sont les fameux diagrammes
qui ont servi à écrire le Yiking ou « Livre des Transformations
», oeuvre qu’on attribue à Fohi et dont tant d’éru-
dits chinois et européens ont vainement cherché le sens. La
bibliothèque de Peking comprenait des milliers de commentaires
de cet ouvrage, non moins incompréhensible que les
« Fanfreluches antidotes de maître Alcofribas Nasier, l’abstrac-
teur de quintessence ». Nous ne savons pas ce qu’en ont fait
les envahisseurs.
Dans le cours de leur existence, les fidèles observateurs du
feng-choui doivent se diriger en toutes choses par des pratiques
de conjuration, d’ailleurs semblables, du moins en principe,
sinon par les détails, à celles que l’on observe encore
dans tous les autres pays du monde.
Les mânes des ancêtres sont parmi ces êtres qui remplissent
la Terre et les espaces aériens autour de la demeure du
Chinois, et qui peuvent influer soit en bien, soit en mal, sur
la destinée des vivants. Ainsi que d’autres peuples, les enfants
de Han reconnaissent dans l’individu l’existence de trois âmes
distinctes : l’âme rationnelle, qui réside dans la tête; l’âme
passionnelle, qui a son siège dans la poitrine; l’âme matérielle,
qui vit dans le bas-ventre. De ces trois âmes ou houen, les
deux premières peuvent être fixées après la mort, l’une dans
les tablettes commémoratives, l’autre dans le tombeau, mais
la troisième s’enfuit dans l’espace, cherchant à pénétrer dans
un autre corps, et son influence peut devenir redoutable si les
parents négligent d’accomplir leurs devoirs de piété. Les houen
des enfants sont les plus à craindre, parce qu’ils étaient encore
imparfaits au moment de la mort, et qu’on n’a pu les apaiser
par un culte régulier. Les bâtons d’odeur qui brûlent à l’entrée
des maisons et des boutiques ont pour fonction d’empêcher
l’entrée de ces mânes redoutables et des esprits malfaisants de
toute nature.
C’est principalement pour le choix d’un tombeau qu’il
importe de se conformer aux règles du feng-choui. Si l’âme du
défunt, malgré la piété des siens, se trouve exposée aux
influences néfastes, elle cherchera certainement à se venger,
et son courroux se manifestera par des calamités sans nombre,
qui viendront frapper la famille imprudente.
Les esprits, bons ou mauvais, qui < viennent en nuages et
s’en vont en brouillards », voyagent incessamment en rasant le
sol, et l’art essentiel de tous ceux qui remanient la surface terrestre
est de savoir élever les tombeaux, bâtir les maisons,
tracer les chemins et les canaux, entamer les carrières, creuser
les puits, de manière à gêner le vol des génies malfaisants et
à favoriser celui des bons.
La connaissance de tous les procédés à suivre pour la
bonne direction de ce monde infini des génies est d’une acquisition
difficile, et dès qu’il arrive un désastre, on ne manque
pas de l’attribuer à l’incurie ou à l’ignorance des professeurs
de feng-choui. Par toute la Chine, on remarque des mines et
des carrières que les autorités locales ont fait combler, parce
que le peuple les accusait véhémentement d’avoir porté tort
aux récoltes en laissant passer les influences mauvaises, et
souvent des procès surgissent entre des voisins qui s’accusent