Marco Polo avait atteint et parcouru la Chine par la voie
de l’Occident, en suivant d’abord les routes battues qui partent
des bords de la Méditerranée. Colomb, plus hardi, voulut
toucher les rivages de Cathay, aborder aux mines d’or de
Zipango, en cinglant sur la rondeur du globe, en sens inverse
du chemin suivi par le Vénitien; mais, arrêté dans sa route
par les côtes du Nouveau Monde, il n’atteignit ni le Japon, ni
la Chine, quoique jusqu’à sa mort il voulût croire et faire croire
au succès de son voyage vers l’Asie orientale. Puis d’autres
continuèrent l’entreprise de circumnavigation commencée :
del Cano, le compagnon de Magellan, revint à son point de
départ, à Sanlücar de Barrameda, en laissant après lui le
sillage de son navire sur la circonférence du globe. Toutes les
mers étaient conquises, et, du cap Hoorn aussi bien que du
cap de Bonne-Espérance, les navigateurs pouvaient se donner
rendez-vous dans les ports de la Chine.
Dès lors, et quels que pussent être les efforts de résistance
du gouvernement de Peking contre l’intrusion des
étrangers, la Chine était virtuellement ouverte aux entreprises,
disons plutôt aux « excès, sévices et injures graves » des Occidentaux.
La première tentative, celle que les Hollandais, alors dominateurs
des ports de Formose, se permirent, en 1622, sur la
côte du Fo’kien peut être considérée comme non avenue : le
petit peuple audacieux n’était pas encore en mesure de faire
grand mal au vaste empire de l’Extrême-Orient. Mais au milieu
du xixe siècle, moins de deux cent cinquante ans après la conquête
définitive de l’Océan par la grande navigation, à voiles
d’abord, puis à vapeur, la Chine et le Japon, qui d’ailleurs
n’ont cessé d’être régulièrement visités par des marchands
d’Europe, sont obligés d’ouvrir largement leurs ports de commerce,
de concéder même sur leurs rivages des lambeaux de
terrain où les nations d’Europe plantent leurs pavillons et
bâtissent des cités d’architecture occidentale. On peut dire
que les concessions — c’est le nom de ces établissements des
Européens sur le littoral — ont commencé la conquête du
« Grand et Pur Empire ».
Déjà la puissance des Européens sur le territoire de la
Chine s’est clairement manifestée à tous les yeux : une première
fois par une expédition anglo-française, l’occupation
temporaire de la capitale, et le pillage des palais impériaux
que les Chinois révèrent, comme des lieux sacrés, presque
divins; puis, et plus visiblement encore, par l’appui que les
deux gouvernements confédérés, surtout les aventuriers d’Europe
et d ’Amérique, fournirent à la dynastie «jaune » contre la
formidable ébullition des Taïping.
Tandis que les Européens renversaient les forts du Peï ho,
occupaient Tientsin, obligeaient l’empereur de Chine à s’enfuir
de Peking, d’autres Européens repoussaient les rebelles Taïping
des portes de Changhaï et leur fermaient toute issue vers
la mer. En même temps les Russes mettaient garnison dans
Ourga pour contenir les Dounganes. C’est peut-être grâce à
l’appui des puissances de l’Occident que fut sauvée la dynastie
des Tsing, qui d’ailleurs n’est point nationale, en tant que
dynastie, non de Chinois, mais de Mandchoux.
L’unité de l’Empire a donc été maintenue, mais parce que
les Européens y trouvaient leur intérêt : ils n’avaient qu’à se
croiser les bras pour que la Chine se brisât en deux, peut-
être en trois ou quatre fragments, Chine du midi, du centre,
du nord et de l’ouest.
Depuis lors, des événements se sont passés qui ont singulièrement
accru l’antagonisme entre l’Europe et l’Orient, et les
Chinois, de plus en plus conscients d’eux-mêmes, disent et
surtout pensent plus que jamais : « l’Européen, c’est l’ennemi!»
Enfin, et non moins clairement, la coalition
vi des Blancs contre les Jaunes, en l’année 1900, a
l a Ru s s ie prouvé que la Chine, en eût-elle encore plus le
e t désir et la volonté, ne peut plus « s’abstenir » de
l a c h in e l’Europe.
Car maintenant, avec le siècle finissant et le
siècle commençant, l’Europe affirme une troisième fois, et plus
violemment encore, la force, juste ou injuste, de sa prépondérance.
Une coalition, bien plus puissante que celle des Français
et des Anglais, dicte ses lois à la Chine, de Péking même,
conquise de nouveau; elle comprend, on peut dire, toute la
race blanche, moins les nations faibles et les latins de l’Amérique
du Sud; quoique poursuivant en secret sa politique
propre, le Russe prend part à cette coalition avec l’Anglais, le
Yankee avec l’Italien, l’Allemand avec le Japonais. En effet, le
Japon, qui récemment encore ébranlait la Chine à la faire
crouler, s’est uni à l’Europe pour dépouiller « Jean le Chinois » ;
mais il ne le dépouillera pas autant que les Blancs, et sans
doute il regrette amèrement ses victoires passées, car il n’en
a tiré d’autre profit que l’île de Formose et il a certainement
hâté l’avènement de la suzeraineté des Russes.
Quoi que prétendent les diplomates des nations qui visent à