Il était tout à fait impossible qu’à la longue, la facilité toujours
plus grande des voyages, la prospérité, l’importance
croissante des colonies chinoises ne dussent finir par attirer les
c filles de Han » hors du pays chinois — ce dont il y a déjà
de petits commencements. Peu à peu les pays de colonisation
les plus rapprochés cessent d’être tenus pour une terre étrangère;
les émigrants peuvent y fonder une famille et y laisser
leurs cendres, certains qu’elles seront honorées par des rites
funéraires comme le furent celles de leurs ancêtres. Mais ce
serait un crime de laisser le corps d’un compatriote sur une
terre lointaine où des enfants ne pourraient lui rendre les derniers
honneurs. Les Chinois de Californie, du Pérou, des colonies
australiennes, se constituent en sociétés mutuelles pour le
renvoi de leurs corps dans la mère-patrie, et des vaisseaux
partent, chargés de cercueils pour les ports de la Chine bienheureuse.
Quoique des familles complètement chinoises ne puissent
se constituer à l’étranger que d’une manière exceptionnelle,
les colons du Royaume Central n’en forment pas moins, dans
les pays où ils s’établissent, un des éléments importants de la
population, grâce à leur incessant labeur. D’une extrême
sobriété, s’accommodant à tous les milieux, exerçant les
métiers les plus divers, tenaces dans leurs entreprises, habiles
à exploiter les passions, se rattachant les uns aux autres en
sociétés publiques ou secrètes, sachant pénétrer partout avec
une étonnante souplesse, ils réussissent là où succomberaient
des colons d’autres races, et ils fondent des communautés prospères.
Dans la lutte pour l’existence, ils ont l’avantage d’apprendre
facilement à parler ou à jargonner les langues des
divers pays qu’ils visitent, tandis que les étrangers ne se donnent
que bien rarement la peine d’étudier le chinois.
La famille que constitue « l’Enfant de Han » dans sa nouvelle
patrie devient toujours chinoise, quelle que soit la nationalité
de la mère, siamoise, tagale ou javanaise. Comme représentants
d’une civilisation supérieure, ayant en général de
meilleures manières que les indigènes, les Chinois voient
presque toujours, si ce n’est au Japon, leurs propositions de
mariage favorablement accueillies. Le sang chinois passe partout
pour un « sang fort » ; les enfants issus du croisement
entre Chinois et étrangère ou même entre Chinoise et étranger
ont presque toujours le type sinique; le mélange se fait au
profit de la race la plus vigoureuse.
C’est ainsi que les expatriés fondent des communautés
durables à l’étranger, autant de petites Chines, indestructibles,
si ce n’est par le massacre. Les régions où ils se sont le plus
solidement établis sont les bassins fluviaux qui descendent du
Yunnan et du Setchouen dans l’Indo-Chine : de ce côté comme
à l’autre extrémité de l’Empire, en Mandchourie et dans la Mongolie
intérieure, ils conquièrent le pays de proche en proche,
par la culture, le commerce, la civilisation des tribus indigènes.
En descendant le cours des fleuves, les colons venus par terre
ne peuvent manquer de rejoindre dans le pays de Siam leurs
compatriotes arrivés par la voie de mer, et les plus nombreux
jusqu’à ce jour de ceux que la Chine a essaimés hors de ses
frontières.
Dans les contrées étrangères où les émigrants chinois n’entrent
pas en concurrence avec la race dominante, ils deviennent
bientôt indispensables. C’est ainsi qu’ils font la prospérité de
la colonie anglaise de Singapour ; sans eux, tout le mouvement
industriel et commercial s’arrêterait aussitôt dans cet énorme
emporium.
Mais il est d’autres pays où ils trouvent des rivaux pour le
travail et des concurrents qui les maudissent. Ainsi en est-il
dans les pays dits « saxons », aux États-Unis, au Canada, en
Australie.
Aux États-Unis, ils menaçaient d’envahir à bref délai la
Californie et d’y monopoliser une foule de petits métiers au
détriment des blancs; ils se montraient jardiniers incomparables
et trouvaient à s’enrichir dans les mines d’or abandonnées
par les Européens comme trop pauvres ou comme
épuisées déjà.
Au Canada, spécialement dans la Colombie Britannique,
même réussite des Chinois, mêmes plaintes et mêmes rancunes
des aventuriers et des colons de race blanche attirés par la
renommée des champs aurifères.
En Australie, un seul des États aujourd’hui confédérés
leur a fait quelque temps * risette ». L’Australie Occidentale,
très faiblement peuplée et n’ayant pour toute richesse que ses
terrains de pâture, demandait des colons chinois pour surveiller
ses troupeaux, aménager ses jardins, la doter dè quelques
industries ; mais depuis qu’on y a découvert, en plein désert,
les mines d’or « plantureuses » de Coolgardie et autres lieux,
on ne s’y soucie plus du tout des i Jaunes » ; on les y exécrerait
plutôt.
Dans les autres États australiens, Queensland, Nouvelle-
Galles du Sud, Victoria, Australie méridionale, on ne les a
jamais aimés; on les y a toujours redoutés comme étant trop