occupe une surface d’environ 34 kilomètres carrés, non compris
les faubourgs; c’est une métropole déchue, presque vidée,
comme Nanking, par les Taïping en la « grande révolte ». Hankoou
prolonge au loin ses quartiers sur les bords des deux
fleuves; mais au long du Han bien plus que du Yangtze; elle
s’unit à Hanyang par la multitude des jonques formant un pont
mobile d’une rive à l’autre. Même le Yangtze, quoique large
de plus d’un kilomètre, est couvert d’embarcations, parmi lesquelles
les bateaux à vapeur européens, chinois, japonais sont
déjà nombreux : il y a là de deux à trois mille jonques, et il
faudrait plusieurs heures de « nage » au canot qui prétendrait
* enfiler » toutes ces avenues de barques alignées. Le mouvement
des jonques a l’entrée du port a été de 23 500 en 1898.
Le tonnage total des jonques et des vapeurs s’est élevé à
3 504 000 tonnes, et la valeur du commerce extérieur atteignit
280 millions de francs.
Hankoou est un des meilleurs exemples de ces singulières
superstitions du feng-choui, qui encombrent et souvent paralysent
la vie chinoise. Les Chinois, très experts en géomancie,
attribuent, dit M. Monnier, « la prospérité de Hankoou non pas
précisément à sa situation exceptionnelle au centre d ’une des
plus vastes et des plus fertiles vallées du monde, sur les bords
d’un fleuve accessible aux plus grands navires, mais surtout
à la configuration de son sol dont les rares reliefs, paraît-il,
reproduiraient à miracle les trois emblèmes dont la conjonction
est considérée comme indispensable pour un feng-choui
de première qualité, autrement dit pour présager un heureux
sort : le dragon personnifiant la force; le serpent, emblème de
la longévité ; et la tortue qui symbolise la stabilité dans la puissance.
Le coteau de Hanyang forme la carapace de la tortue ;
la tète serait représentée par une petite roche à fleur d’eau,
au point de réunion de la rivière et du Yangtze. Sur ce rocher
a été bâtie une mignonne pagode, aujourd’hui fort dégradée,
qui devait avoir pour effet d’immobiliser le précieux animal.
Sur l’autre rive, la ligne sinueuse des collines, que couronnent
les remparts crénelés de Outchang, ne serait autre que le
dragon couché. Quant au serpent, sa tête apparaît, parfaitement
reconnaissable pour les initiés, à l’extrémité d’un promontoire
escarpé sur lequel, au temps des Ming, il fut jugé à
propos de construire une grande pagode à quatre étages dont
le poids s’opposerait à la fuite du reptile. Hélas! la pagode
fut, il y a dix ans, complètement détruite par un incendie.
Mais, par bonheur, rien n'a été troublé dans le feng-choui, le
serpent est demeuré à son poste. »
Tout feng-choui à part, Hankoou a de très grands, d’extraordinaires
avantages comme ville de commerce.
Elle se trouve vers le milieu du cours facilement navigable
du Yangtze, au confluent du Han kiang, la voie commerciale
qui mène aux bords du Hoang ho, et dans le Chensi; on peut
dire aussi que Hankoou, la « Bouche du Han », commande
géographiquement le cours de la rivière Siang et tout le bassin
du Toungting. C’est dans cette ville que se fait la croisée des
grandes routes de navigation de l’est à l’ouest et du nord au
sud de l’Empire.
Hankoou est donc le centre du commerce de la Chine, et
Ton ne saurait s’étonner qu’il ait pris une telle importance
parmi les marchés du monde.
Le seul désavantage de cette ville si favorisée, c’est d’être
beaucoup trop à la merci du Yangtze : quand les digues cèdent
à la pression des eaux, les rues sont inondées, et les habitants
s’enfuient sur les collines des alentours et sur des buttes
d’origine artificielle, éparses comme des îles au milieu de la
mer.
Même lorsque les rivières sont basses, on voit à ses pieds,
du haut du * coteau de la Pagode », presque autant d’eau
que de terre ferme; les fleuves qui serpentent dans la plaine,
les coulées qu’a laissées çà et là le cours changeant du flot,
les lacs épars dans les bas-fonds donnent à la contrée l’aspect
d’une région émergeant à peine d’un déluge. Au lieu de suivre
le cours du Yangtze, qui fait un grand détour vers le sud,
les embarcations qui se dirigent à l’ouest vers Chasi passent
directement par la chaîne des lacs, qu’unissent les uns aux
autres des canaux bordés de levées : on abrège ainsi le trajet
de plus des deux tiers.
De toutes les cités de l’intérieur, Hankoou possède la
colonie étrangère la plus considérable. Un beau quartier de
maisons européennes à deux étages, séparé du fleuve par un
vaste espace libre planté d’arbres, domine de sa masse régulière
les constructions chinoises et contraste avec les baraques
sur pilotis de Hanyang fou : on a fait des travaux énormes
pour exhausser le sol de la concession européenne au-dessus
du niveau des inondations et pour construire du grès rouge
la levée de défense, haute de 15 mètres et longue de 4 kilomètres,
à laquelle les Anglais ont donné le nom de bund, mot
persan importé de leur empire hindou. Quant à la ville chinoise,
elle n’a d’intéressant que son animation, son peuple
grouillant, l’entrain de son commerce et de ses petites industries,
dans des ruelles malpropres, des culs-de- sac et des rues
très mal entretenues dont aucune de plus de 5 mètres de large.