L’eau, qui descend rapidement dans les innombrables vides
laissés par les racines, désagrège peu à peu la terre et la
divise en pans verticaux. Les plus exposés à l’action des intempéries
s’écroulent en bloc et c’est ainsi que se forment des
falaises découpées dans tous les sens, suivant les inégalités
de la surface : il en résulte un labyrinthe de défilés ouverts
dans les profondeurs du sol entre les hautes falaises terreuses
à parois perpendiculaires.
Les plateaux du nord sont entamés de plus en plus par
l’érosion ; les ravins déjà formés prolongent chaque année leur
fissure d’origine et s’élargissent à leur issue vers la plaine :
de l’ancienne couche horizontale, il ne reste en maints endroits
que de simples terrasses, des sommets de promontoires et de
bastions.
Parfois l’érosion se fait dans les profondeurs mêmes
du sol, par l’effet de la percolation graduelle; des galeries
souterraines se forment par effondrement, et tout à coup les
couches supérieures s’écroulent en laissant des ouvertures
semblables à des puits. Ailleurs les pans de terre tombent de
chaque côté d’un plateau, de manière à ne laisser que des
murs se dressant entre deux abîmes ; ces murs même cèdent
çà et là, et bientôt il n’en restera plus que des fragments isolés,
ruines plus que cyclopéennes, pareilles de loin aux forteresses
féodales de l’Occident.
Il se pourrait bien que nulle part au monde l’érosion n’ait
taillé des sites aussi fantastiques que dans les régions où la
terre jaune a pris la forme de monuments superposés comme
les tours d’une gigantesque Babel. A première vue, on pourrait
croire que toutes ces terrasses en retrait sont autant de
plans de stratification, semblables à ceux que forment les
eaux dans les roches qu’elles déposent; mais, en ces endroits,
la terre jaune a gardé sa texture ordinaire, et les plans de
séparation sont marqués, soit par des concrétions calcaires,
soit par des coquillages terrestres ou de légères couches
de débris qui ont recouvert la plaine poudreuse à diverses
époques.
L’épaisseur totale du hoang tou, révélée par l’érosion
des bords, atteint au moins 600 mètres en quelques parties de
la Chine; on voit combien peu l’argile manque au Fleuve Jaune
pour en former les terres nouvelles qu’il va déposer dans les
plaines basses et dans la mer.
En maint district du pays de la Terre Jaune, tous les habitants
de la contrée vivent dans l’intérieur du sol. La masse
argileuse, assez solide pour ne pas s’effondrer sur la tête de
ceux qui s’y abritent, est évidée en d’innombrables galeries;
même les édifices publics et les auberges des villages souterrains
sont creusés dans le hoang tou. Presque partout des
ouvertures pratiquées dans la paroi jaunâtre indiquent l’existence
de colonies d’hommes et d’animaux domestiques dans
les cavernes de l’argile. De riches troglodytes prennent soin
d’orner les façades de leurs demeures : colonnades, toitures
avancées, balcons, kiosques, se succèdent de degré en degré
sur l’escalier naturel. Çà et là un bloc complètement isolé se
dresse comme une tour entre des ravins d’érosion : c’est au
sommet de ces prismes que les indigènes ont bâti les temples
fortifiés, dans lesquels ils se réfugient en temps de guerre
civile, au moyen d’escaliers pratiqués à l’intérieur du massif.
En creusant la terre pour leurs passages et leurs demeures,
les indigènes rencontrent souvent des os de mammouths ou
d’autres grands animaux, qu’ils disent avoir appartenu au
Dragon terrestre, et qu’ils se hâtent de réduire en poudre,
en panacée, peut-on dire, puisqu’ils en usent comme de médicament
contre toutes les maladies.
Que de fins atomes de poussière flottant dans l’air, puis se
posant sur le sol aient couvert en Chine un espace supérieur
à toute la France, il y a là de quoi confondre l’imagination,
mais en y réfléchissant bien il suffit de la durée pour expliquer
la masse.
En supposant au loess, comme le fait Obrutchef, une puissance
moyenne de 400 mètres, et en admettant qu’il se dépose
chaque année, d’un bout à l’autre de la terre jaune, une couche
d’un millimètre seulement d’épaisseur, quatre cent mille ans ont
suffi pour plaquer le hoang tou sur la Chine ; et si l’on suppose
1 centimètre à la couche annuelle de poudre impalpable, il n’en
a fallu que quarante mille. Mais il vaut mieux se borner à un
millimètre dans les douze mois, « quand on considère combien
l’air de ces pays est pur, transparent, même par les grands
vents, donc avec peu de poussière en suspension *. D’où,
comme conclusion ceci, que puisque l’application du loess sur
le territoire n’a pu commencer qu’avec des conditions climatiques
pareilles ou analogues à celles du temps présent, l’Asie
centrale est depuis bien des millénaires soumise au climat
actuel, avec aggravation graduelle de la sécheresse, et que par
conséquent c’est depuis un temps très ancien qu’elle est entrée
dans la période de la Steppe et du Désert.
Quelques-unes de ses régions offrent dans leur aspect un
singulier contraste suivant le point de vue auquel se place le
spectateur. D’en bas, on ne voit que les parois jaunâtres; mais