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sectateurs du Prophète, et, pour en finir, les mandarins, désespérant
de vaincre, fomentèrent un plan d’extermination générale.
Un jour de mai 1856 fut choisi pour le massacre, mais les
mesures d’exécution avaient été mal combinées et les Musulmans
se tenaient sur leurs gardes. Dans les endroits où ils
étaient le moins nombreux, la plupart furent égorgés; mais
ailleurs ils résistèrent avec succès, et même ils réussirent à
s’emparer de la riche cité de Tali fou, place militaire de premier
ordre, qu’ils s’empressèrent de mettre en rapports de
commerce avec la Barmanie pour se procurer des armes et des
munitions. En 1860, après quatre années de luttes, ils occupaient
même Yunnan fou, la capitale de la province; mais les
chefs, devenus des personnages importants, se laissèrent
acheter par le gouvernement chinois et se retournèrent contre
leurs coreligionnaires. La guerre civile dura pendant treize
années encore et se termina par le massacre de trente mille
Musulmans dans les rues de Tali fou : à peine quelques centaines
de Pan thé purent-ils trouver un refuge dans la Barmanie,
contiguë à leur Yunnan.
Dans la Chine septentrionale, l’insurrection n’éclata qu’en
Tannée 1860, par le massacre des Chinois de Hoatcheou, à l’est
de Singan fou; cette capitale résista, grâce à ses murailles,
aux attaques des Hoï-hoï. Mais ailleurs, partout où les rebelles
se présentaient, Chinois et Mongols, saisis de terreur, fuyaient
dans les montagnes ou dans le désert, ou même se laissaient
égorger comme des moutons sans essayer de résistance. Dans
les provinces de Chensi et de Kansou, l’oeuvre de destruction
fut poursuivie par les Mahométans avec une impitoyable
fureur ; on vit des chefs de famille tuer leurs femmes et leurs
enfants pour se donner tout entiers à la guerre sainte. Dans le
bassin du Weï, il ne resta plus un village, tout fut démoli;
même les demeures souterraines des grottes furent changées
en ruines par des abatis de rochers. A l’exception des Chrétiens,
tous les habitants de la campagne qui n’eurent pas le
temps de s’enfuir furent massacrés; les prisonniers étaient
brûlés; on égorgea même les vieillards et les enfants en bas
âge : c’est à des millions qu’il faut évaluer le nombre des
morts. En certains districts, on s’étonne de voir çà et là une
habitation qui n’ait pas été renversée; si quelques grandes
cités n’avaient eu leurs fortes murailles, imprenables sans
l’aide du canon, les provinces du nord et du nord-ouest eussent
été complètement dépeuplées de leurs habitants chinois, et
les Musulmans auraient pu célébrer cette extermination radicale
comme la plus belle de toutes les « djehad » ou guerres
saintes de l’Islam.
La partie semblait définitivement perdue pour l'Empire,
mais le manque de plan et de cohésion chez les insurgés doun-
ganes leur devint fatal. Après quinze années de luttes, la victoire
appartint à ceux qui disposaient des forces les plus disciplinées.
. ’
Les généraux chinois reconquirent d’abord le Chensi, puis le
Kansou, et, reprenant les postes militaires du Thian chañ,
purent disperser les derniers rebelles dans les solitudes de la
Dzoungarie. Ainsi la longue insurrection des Mahométans
s’était terminée de la même manière aux deux extrémités de la
Chine ; force était restée aux armées impériales, dont pourtant
on ne peut guère dire qu’elles furent bien menées par des chefs
à stratégie consciente.
Cette guerre fut conduite à la chinoise, par des capitaines
imbus de la doctrine militaire du « Milieu » qui préfère la
temporisation à l’action de vive force, le bon hasard à la combinaison
savante, le long temps à la rapidité, la corruption des
généraux à la bataille rangée et à l’assaut des places. De l’argent,
des titres, des faveurs, des boutons vissés à des chapeaux
i mandarinaux », valurent souvent plus qu’une victoire au
généralissime des troupes anti-musulmanes. Presque toujours
les morts innombrables que coûtent les guerres civiles de la
Chine ne viennent pas du choc des armées, mais de la barbarie
des « poliorcètes » qui mettent à feu et à sang les cités
surprises ou conquises, et de celle des partisans qui ravagent
la campagne.
En 1896, nouvelle et moindre rébellion des Musulmans du
Kansou, avec les cruautés obligées, l’incohésion des révoltés
agissant par bandes, le décousu des opérations de l’armée
impériale, et derechef les trahisons de chefs, les achats de
conscience, les égorgements de prisonniers, l’incendie, les
ruines. Cette fois-ci le soulèvement ne dura pas longtemps, la
saignée ne fut pas à blanc, et le malheureux Kansou recouvra
la paix, alors que l’Empire allait pâtir de la grande guerre
contre les huit coalisés.
D’ailleurs, quand même ils eussent été plus vaincus, les
adorateurs d’Allah constituent encore une grande puissance
dans le Royaume du Milieu, et des écrivains prédisent, un peu
hâtivement si Ton en juge par l’absence de ferveur religieuse
chez les Chinois, que les Mahométans deviendront un jour,
grâce à leur esprit de solidarité, à leur forte organisation
communale, à leur énergie supérieure, les arbitres des peuples
dans l’Extrême Orient.
En attendant ce triomphe assez improbable de Mahomet