Considérée d’une manière générale et sans tenir compte
de certains contrastes que présentent les diverses parties de
l’Empire dans la forme et la construction de leurs villes, la cité
chinoise — dont l’antique Singan, qui résista si bien aux
mahométans lors de la récente insurrection, peut être prise
comme type — n’appartient pas à la même période d’évolution
que les cités européennes.
Par son enceinte quadrangulaire de hautes murailles
crénelées, elle témoigne encore de la fréquence des guerres
intestines, et la ville intérieure ou ville du palais, entourée
d’une deuxième enceinte, rappelle la conquête du pays par les
Mandchoux. A la moindre alerte, on ferme les quatre ou les huit
portes de la cité, et des compagnies de soldats en garnissent
les tours ; de même le quartier tartare est pourvu de tous les
moyens de défense et peut en un clin d’oeil s’isoler du reste de
l’agglomération et se préparer à conquérir le quartier chinois
ou à se défendre contre lui.
L’espace limité par la deuxième enceinte renferme le yamoun
(yamen), c’est-à-dire le siège de l’administration, avec ses
bureaux et ses cours : c’est la partie la plus silencieuse de la
cité, celle autour de laquelle et dans laquelle s’étendent les
jardins et les parcs.
Le mouvement, le bruit, quelquefois la cohue, le vacarme,
sont bien plus considérables dans les rues de la ville chinoise,
d’autant que ces rues, à peine aussi larges que nos ruelles les
plus étroites, ne sauraient suffire au rapide croisement des
passants, des badauds, des brouettes, des chaises à porteurs;
la voie publique, à certaines heures, ne se désencombre pas et
si bien élevés que soient les Chinois, si soigneusement qu’ils
évitent de se gêner, de s’injurier, de se cogner, c’est une foule
étourdissante.
Cela pour la ville « essentielle », qui est la place murée;
mais c’est en dehors des portes, dans les faubourgs, où l’on
peut entrer à toute heure de nuit, sans souci des gens de
guet, et où les règlements policiers et militaires sont peu
gênants et facilement éludés, que la population industrielle et
commerçante aime à s’établir.
Ces faubourgs extérieurs se prolongent à des kilomètres
de distance au bord des chemins, des canaux, et deviennent
peu à peu les véritables villes : c’est un phénomène analogue
à celui qui s’est passé en Europe, lorsque les populations
urbaines, descendant des acropoles, se sont graduellement
répandues sur les pentes, puis à la base des collines, dans les
plaines ouvertes.