CH A P IT R E D EUX IÈME
AGRICUL TUR E CHINOI SE
I. CULTURE INTENSIVE OU PLUTÔT JARDINAGE. 11 II. PRINCIPALES CULTURES,
PAS DE FORÊTS, PAS DE PRAIRIES; DIÈTE SURTOUT VÉGÉTALE DES
« FILS DE HAN » ; LE RIZ, LE THÉ, L’OPIUM. Il III. TENURE DU SOL.
I AUTANT qu’on peut diviser les Chinois par
cu l tu r e manque toute statistique exacte, en admet que
in t e n s iv e près des deux tiers de la population de l’Empire
ou p lu t ô t appartiennent à la population agricole; près
ja r d in a g e d’un tiers à l’industrie, aux métiers, aux professions
libérales, au commerce; un dixième à la
pêche en mer, rivières, lacs, étangs.
La prépondérance de la paysannerie est donc très considérable
dans le beau Royaume Fleuri, surtout dans les régions
du Nord, du Centre et dans la Terre Jaune : là le rustique est
supérieur à celui du midi chinois, mais l’ouvrier du midi l’emporte
en activité, en habileté sur les autres.
Voici des milliers et encore des milliers d ’années que les
Chinois cultivent les plaines et bas-fonds de leur Chine; et
jamais, si ce n’est dans leurs guerres civiles, la terre féconde
n ’a cessé de produire avec abondance. Elle est même plus
libérale que jamais et elle suffit à entretenir des centaines de
millions d’hommes en même temps qu’à pourvoir de denrées
précieuses l’industrie du reste du monde.
Le paysan chinois n’a certes point analysé chimiquement
ses terrains, ses semences et ses engrais comme l’agronome
européen, il ne possède pas les instruments perfectionnés des
fermes anglaises; mais une longue tradition lui a fait connaître
les qualités des sols et les besoins des plantes ; il sait
que les cultures diverses doivent se succéder dans un certain
ordre sur le même sol; il dose avec prudence les amendements
ou les engrais qu’il mêle aux terrains, marnes, chaux ou
phosphates, herbes de bruyère, herbes pourries, cendres, os
broyés, résidus huileux, engrais animaux ou engrais humains ;
il supplée par sa dextérité manuelle à l’imperfection des outils;
il brise, égalise la terre avec ses mains et même avec ses pieds,
dont les orteils sont restés beaucoup plus mobiles que les
nôtres, ainsi que nous l’apprend D’Escayrac de Lauture, dans
ses Mémoire s sur la Chine; il arrache soigneusement les
mauvaises herbes et réserve ainsi tout le suc de la terre pour
la moisson future.
Et s’il connaît les capacités de la terre, il n ’ignore pas la
puissance des eaux : il irrigue et irrigue encore, avec des
pompes de toute espèce, des norias mues par des hommes, des
animaux ou le vent; mais c’est par l’arrosement direct, à la
main, que le Chinois abreuve surtout ses plantes : sa culture
ressemblant plus au jardinage qu’à l’agriculture extensive des
Européens, ses procédés se rapprochent de ceux qu’emploient
les jardiniers occidentaux; et, bien exactement, le * fils de
Han » n ’est pas un cultivateur, c’est un horticulteur, et si
parfait que, dans les plaines fertiles, notamment dans les
riches terres de Changhaï, vingt hommes vivent à leur aise
des produits d’un seul hectare.
« L’agriculture des Chinois — ainsi s’exprime admirablement
Eugène Simon — est un culte; on pourrait presque dire
que c’est une caresse. »
Avant que la Chine entrât en relations actives de commerce
avec les pays étrangers, elle produisait tout ce qui était nécessaire
à sa consommation : elle se suffisait à elle-même, et l’équilibre
commercial était parfait entre les pays du nord, du centre
et du midi.
Il semblait alors presque criminel aux Chinois de supposer
que le pays pût avoir besoin des importations de
l’étranger, et l’orgueil du patriotisme se mêlait à l’influence
de la tradition pour encourager le gouvernement à la résistance
contre les armées européennes qui voulaient le forcer à
ouvrir ses ports au commerce du monde extérieur.
On peut qualifier de merveilleux le fait que le « Milieu »
sustente 400 millions d’hommes, parfois assez pauvrement et
chichement, on peut l’avouer, alors qu’une grande, une très
grande, une énorme portion de son sol reste toujours inutilisée,
non seulement après les époques de troubles, quand la.