les Chinois n’oublient pas d’opposer le courant du midi à celui
du nord, le fleuve bienfaisant par excellence au torrent dévastateur
qui a reçu le nom de « Fléau des Enfants de Han ». Le
Yangtze ne causa jamais de désastres pareils à ceux qui suivent
les changements de cours du Hoang ho, et nul fleuve n’est plus
utile pour la navigation. S’il ne porte pas encore un aussi
grand nombre de bateaux à vapeur que le Mississippi, ni même
que la Volga, il est couvert de flottilles de chalands et de
barques, et c’est par centaines de mille que l’on pourrait
compter les bateliers qui vivent à sa surface, soit de la pêche,
soit du commerce.
Marco Polo n’exagérait certainement point en disant que
sur les eaux du < Kian » flottaient plus de navires, portant
plus de richesses et de marchandises, qu’on n’en eût trouvé sur
les rivières et les mers réunies de toute la chrétienté. Un
incendie, allumé par la foudre dans le port d’Outchang fou
en 1850, dévora sept cents grosses jonques et des milliers de
barques; plus de cinquante mille matelots (?) trouvèrent la
mort dans les eaux ou dans les flammes; un seul négociant de
la ville commanda dix mille cercueils à ses frais. En frappant
un seul port, qui s’étend, il est vrai, sur 15 kilomètres de longueur,
le désastre avait fait disparaître plus de bateliers que
n’en a la France entière.
La guerre des Taïping, qui sévit principalement sur les
bords du Yangtze kiang et de ses grands affluents, a dépeuplé
pour un temps les eaux du fleuve; mais, dès le rétablissement
de la paix, le commerce local a repris, et de nouveau se montrent
les paisibles barques, glissant en longs convois; seulement,
de temps en temps les vagues soulevées par les bateaux
à vapeur viennent balancer ces flottilles, comme pour les
avertir du changement qui s’accomplit dans l’industrie des
transports.
Le Yangtze kiang, auquel les Mongols ont donné le nom
de Dalaï ou * Mer », a rempli en effet dans l’histoire de la
Chine le même rôle que l’Océan, en remplaçant pour la navigation
les golfes qui s’avancent au loin dans l’intérieur des
terres. Les voyages, les expéditions de denrées, et en même
temps le rapprochement des civilisations diverses, se faisaient
même sur ces eaux intérieures plus facilement que su r une mer
extérieure.
Et dans 1’* ère nouvelle », celle où la Chine obéit de force
aux poussées brutales de l’Occident, c’est aussi par le Yangtze
que l’influence européenne pénètre le plus avant dans le centre
du * Milieu » ; les deux bords du fleuve, en s’ajoutant au littoral
marin, le prolongent en réalité de 4 000 kilomètres ; grâce
au Hoaï ho, au Hafi, au Kou kiang, au Hé kiang, au Yuan ho,
au Hou kiang, au Kialing kiang, au Min, à leurs tributaires et
aux affluents de leurs affluents, la longueur des eaux navigables
du bassin — navigables pour les bateaux à vapeur ou pour
les simples barques — égale à peu près la moitié de la circonférence
terrestre.
On sait que les branches supérieures du
11 Yangtze naissent en dehors de la Chine propre-
l e ment dite, sur les plateaux du Tibet, tristement
haut froids et monotones.
yangtze Pas plus que celles du fleuve Jaune, les
sources du fleuve Bleu n ’ont encore été^ formellement
reconnues par des voyageurs européens, mais on
peut indiquer d’une manière assez précise le lieu de leur ongm
Le champ des hypothèses s’est extrêmement rétréci dans
ces dernières années à la suite de périlleux voyages sur 1 horrible
plate-forme du Tibet, horrible par le froid, la nudité, les
vents. Prjevalskiy, Bonvalot et Henri d’Orléans, Bower,
Rockhill, Dutreuil de Rhins, qui y trouva la mort; et son compagnon
Grenard, Littledale, Sven Hedin, Wellby, Malcolm,
Bonin, de Vaulserre, d’autres encore, nous ont amenés enfin
tout près de la vérité par de multiples entre-croisements d itinéraires.
A peu près à un quart de tour de Globe à l’est-sud-est de
Paris, donc vers le 90e degré de longitude, au sud du 36= parallèle,
au nord du 32“, courent des Oulan mouren ou * Rivières
Rouges », c’est ce que signifie ce nom mongol; courent n e s t
pas absolument le mot propre, car on est ici sur un plateau
avec un grand nombre de lacs, d’étangs, salés ou non, ou
s’attardent parfois lés cours d’eau. . 1
C’est ici, à plus de 5 000 mètres d’altitude, la terre de la
désolation par le froid et la bise, avec herbes rares tondues
par des yaks et autres animaux à longs poils.
Là, près du mont Dupleix, non loin du lac Montcalm
(noms français auxquels on reconnaît le passage de Bonvalot),
naît le Teitomaï, qui est probablement la source la plus occidentale
du fleuve Bleu; une autre branche mère, moins à
l’ouest, plus au nord, s’appelle Kaptchik; une autre, plus sep