
 
		Le  Kiangsou,  l’une de  six provinces  littorales  de la Chine,  
 longe à l’orient la mer chinoise; du nord il  confronte au  Chan-  
 toung,  de l’ouest  au Nganhoeï,  du  sud au Tchekiang. 
 Long de 600 kilomètres environ de nord-nord-ouest en sud-  
 sud-est,  mais  n’en  ayant  que  170  à  250  dans  le  sens  opposé,  
 ses  100000  kilomètres  carrés  seulement  le  mettent  en  état  dé  
 grande infériorité  comme  étendue de territoire :  l’unique Tchekiang  
 est  au-dessous  de lui, de par ses 95 000 kilomètres carrés  
 pas plus. 
 Mais  il n’y  aurait pas  moins  de  21  millions de  Chinois  sur  
 ces 10 millions d’hectares  210  individus au kilomètre carré, ce  
 qui en  fait  ou  en  ferait  le  plus  densément peuplé  des dix-huit  
 territoires du  * Milieu  ». 
 Même,  cette  surpopulation  aurait  été  bien  supérieure  
 encore  : le  dénombrement  de  1842  fournit,  à  tort  sans  doute  
 le nombre  «  fantastique »  de 39 646 925 personnes,  soit  près  dé  
 400  par  kilomètre  carré.  Les  assassinats  de  la  guerre  des  
 Taïping,  puis  les  maladies  et famines  vidèrent plus qu’à  demi  
 la province,  qui  s’est à nouveau  colonisée,  comme  le Nganhoeï  
 et  autres  territoires  également  «  raréfiés  »  de population,  par  
 une  immigration  arrivée  d’un  peu  partout en  Chine  :  c’est de  
 là que vient la  fort grande  diversité de types des  résidents  du  
 Kiangsou. 
 Que ce pays ait  tant de villes  et de bourgs, tant de paysans  
 et d’urbains,  son  heureuse  situation,  sa prodigieuse  fertilité le  
 comportent,  encore que sa  surface utile  soit très inférieure à ce  
 qu on  attendrait de ses dix millions d’hectares :  aucun pays  du  
 monde  ne  pourrait  probablement  montrer  autant  d’eau  courante  
 ou  stagnante,  coulées  du  grand  fleuve,  rivières,  lacs,  
 étangs,  canaux en  tous sens.  C’est une Hollande aussi tirée  que  
 possible  du  marécage  primitif,  mais  encore  très  imprégnée  
 d eau,  et  pourtant  salubre,  malgré  le  soleil  de  ses  latitudes  
 qui,  dans  le sud,  approchent du  30e degré. 
 La  capitale du Kiangsou,  en même  temps  que la  résidence  
 du  vice-roi  du  Kiangnan,  c’est-à-dire de  l’ensemble  des  deux  
 provinces de Kiangsou et de Nganhoeï, Nanking(ou Kiangning)  
 fut jadis  la  métropole  de  la  Chine  entière,  de 317 à 582,  et de  
 nouveau  de  1368  à  1403 ;  longtemps  aussi  ce  fut  la  plus  populeuse  
 cité  du  monde.  Même,  lorsque  la  résidence  impériale  
 eut  été  transférée à Peking,  la cité des bords  du Yangtze resta  
 sa  rivale  par  le  nombre  des  habitants  et  sa  supérieure  en  
 industrie et en  commerce. 
 En  ,4853,  Nanking  reprit  son  rang  comme  résidence  
 d un  chef d’Etat,  le  *  roi  Céleste  »  ou  souverain des Taïping ; 
 mais le nouvel Empire  ne  devait pas  avoir  une  longue durée,  
 et Nanking,  après  un  siège  meurtrier qui  ne  dura pas  moins  
 de  deux  ans,  fut  prise  en  1864  par  l’armée  impériale  :  ce  qui  
 restait  des  défenseurs  fut  passé  au  fil  de  l’épée  et  la  ville  
 changée en  un  amas de  ruines.  Après  le passage des  exterminateurs, 
  quelques milliers de mendiants faméliques errant parmi  
 les décombres,  gîtant dans  les fossés sous  des  huttes de  branchages, 
  étaient toute la population  de  la  *  Résidence du  Sud ». 
 La  paix  a  permis  à Nanking  de  renaître  de  ses  cendres,  
 mais  l’espace  enfermé  par  l’énorme  enceinte  de  30,  on  dit  
 même 35 kilomètres,  comprend  encore bien des champs et des  
 décombres,  où l’on chasse la bécassine,  le faisan, même le  gros  
 gibier. 
 C’est  pourquoi l’on a pu  comparer  la  Nanking  des  Empereurs  
 i  jaunes  »  à  la  Rome  des  Césars  pour  les  vastes  solitudes, 
  les  ruines et les débris, la gloire envolée ; mais son fleuve  
 est  autre  que  le  Tibre  et  elle  ne  couvre  pas  sept  collines  et  
 leurs  intervalles de vallée. 
 Elle  est  à  la  rive  droite  du Yangtze,  à 900 kilomètres sud-  
 sud-est de  Peking à vol d’oiseàu,  à 1075  par les  routes; à  1150  
 nord-est  de Canton  par  la  ligne droite,  1220  par  les  chemins  
 ordinaires. 
 Si  à  la  revenue  de  nombreux  fugitifs  et  à  l’arrivée  de  
 familles des diverses  provinces  elle  a récupéré  de cent à  deux  
 cent  mille  habitants, au  lieu  des  huit  cent  mille  d’avant  1853,  
 elle a  perdu  tous  les  édifices  qui  faisaient  sa  gloire,  sauf  son  
 enceinte flanquée de  tours.  La pagode  dite  «  de  porcelaine  »,  
 ou  plutôt  la  tour  «  en  pierres  précieuses  vitrifiées  »,  jadis  si  
 fameuse,  fut réduite  en débris  pendant  la  guerre  des  Taïping,  
 et  les  tuiles  vertes  de  ses  toits,  les  porcelaines  coloriées de  
 ses  murs  sont  déjà  devenues  rares  dans  les  monceaux  où  
 vont  fouiller  les  visiteurs  anglais  pour  emporter  des  «  souvenirs  
 » ;  les  débris  de  la  tour  ont  servi  à  construire  les  ateliers  
 d’une  fabrique  d’armes.  Cette  pa.onga.ri  tah,  construite  
 de  1411  à  1430,  devait avoir  treize  étages  et  100  mètres  à  peu  
 près,  mais  on  l’arrêta  à  80  mètres  en  neuf  étages ;  à  ses toits  
 pendaient des  cloches,  au  nombre de  150  en  tout.  Elle  dépassait  
 donc singulièrement les  cent pieds environ de hauteur au-  
 dessus  desquels  un  édifice  incommode  le  feng-choui.  Mais  
 aussi c’est justement une question de  feng-choui qui a causé  sa  
 perte  :  quand  les  Taïping  la  détruisirent  en  1856,  c’est  parce  
 qu’ils craignaient  l’influence  *  géomantique  »  de  la  tour pour  
 le  succès  de  leur  cause. Donc  faite  de  briques, et  revêtue  de  
 porcelaines  vertes,  rouges,  jaunes,  blanches  (et  d’autres  couleurs  
 encore), mais  avec prédominance du vert, « elle était  sur