maux sans une permission expresse. Mais, à part les sectes de
végétariens, assez nombreuses dans le pays, et qui s’abstiennent
aussi de boire du vin et de manger les « viandes végétales »,
telles que l’ail et l’oignon, les Chinois ajoutent un peu de
chair à leur nourriture. Ils mangent surtout le porc, et ils ne
mangent guère que lui en fait de « grosse viande » ; ils en possèdent
de nombreuses variétés qu’ils nourrissent à très peu
de frais. Sur les étangs et les fleuves, on rencontre des canards
domestiques par troupeaux de trois ou quatre milliers, que
gardent, soit des enfants montés sur des barques, soit même
des coqs qui les surveillent de la rive et, par leurs cris et à
grand bruit d’ailes, les empêchent de s’écarter. Le canard est
l’objet d’un commerce considérable ; on le sèche entre deux
planches, comme une fleur dans un herbier, et sous cette forme
on l’envoie jusqu’aux provinces les plus éloignées. On prépare
aussi de la même façon, dans les provinces méridionales et
surtout dans le Hounan, des chiens d’une race particulière, et
jusqu’à des rats et des souris. Les sauterelles, les vers à soie,
les serpents entrent dans l’alimentation du pauvre, et les ailerons
de requins, les holothuries et les nids d’hirondelles sont
servis sur la table du riche.
D’ailleurs les cuisiniers chinois sont réputés pour leur prodigieuse
adresse à masquer et à transformer les goûts, comme
en témoigne l’historiette bien connue.
Des mandarins dînaient avec un diplomate étranger : le
diplomate ignorait le chinois, les mandarins ne connaissaient
pas une syllabe d’ « européen », pas même un mot de l’anglais,
familier à beaucoup de personnages officiels de la Chine.
Tout en se délectant d’un mets exquis ayant le goût du
canard, le diplomate s’incline interrogativement vers son
voisin : couin! couin? demande-t-il. Et le voisin, branlant négativement
le chef, répond avec déférence : ouaou, ouaou!
Les Chinois sont d’une extrême ingéniosité pour accroître
la quantité de nourriture animale que la nature a mise à leur
disposition. Ils connaissent les moyens d'augmenter la fécondité
des volatiles de basse-cour, et par conséquent la production
des oeufs est beaucoup plus considérable qu’en Europe;
ils savent empêcher la poule de couver en lui faisant prendre
des bains, et longtemps avant les Occidentaux ils se servaient
de procédés d’incubation artificielle pour soustraire les poussins
aux hasards d’une mauvaise couvée. Ils protègent les
pigeons contre les oiseaux de proie en leur adaptant entre les
ailes un sifflet en écorce de bambou, aussi mince qu’une feuille
de papier, et quand une volée de ces pigeons fend l’air, un son
mélodieux sort de leur petite flûte, un « lamento singulier qui
depuis Peking jusqu’au Tibet chante au-dessus des villes et
des villages et fait songer à des accords plaqués sur des
orgues lointaines ». On raconte même que les Chinois ont l’art
de dresser, les volatiles à marquer les heures en chantant
autant de fois que la cloche a tinté de coups.
Les pêcheurs s’entendent aussi d’une manière étonnante à
la capture des poissons, qu’ils vont saisir au fond de l’eau, sans
filets et sans engins ; ils savent les attirer et les forcer à sauter
dans les filets au moyen de planchettes vernissées qui scintillent
à la lune; ils réussissent merveilleusement l’élève des
espèces d’eau douce et d’eau salée. Sur les plages de Fo’ kien,
ils ramassent de petits coquillages et les « sèment » dans
les vasières, où ces mollusques grossissent rapidement et
deviennent plus savoureux. Une espèce d’alose, le samli, est
produite presque exclusivement par des moyens artificiels ; on
l’expédie au loin à tous les états de croissance, dans de grands
vases en faïence grossière. Il est des poissons qui produisent
jusqu’à deux pontes en un mois, et que l’on cultive non seulement
dans les viviers, mais encore dans les rizières, et même,
si elles tardent à se dessécher, dans les flaques d’eau formées
par les orages. -
A ces agriculteurs-nés il faut une poésie agricole. Les
n aèdes » chinois célèbrent surtout les champs, les ruisseaux,
la pluie, le vent, les nuages, toutes les forces qui concourent à
la germination et à la croissance des grains. Dans leurs strophes
on trouve cette teinte de mélancolie, d’indéfinissable langueur
qui fait le fond du caractère des gens du Royaume Fleuri,
et le charme des vers de Litaïpe, le plus populaire de leurs
vieux poètes :
Chaque beau jour qui s’écoule s’en va pour ne plus revenir ;
Le printemps suit son cours rapide et déjà touche à son déclin;
Perdu dans une rêverie sans fond, je ne sais où vont s’engloutir mes
[pensées] ;
Jé suis couché sous les grands arbres et je contemple l’oeuvre éternelle.
Hélas! toute fleur qui s’épanouit doit mourir à son heure :
Le chant plaintif du kikouey en avertit mon oreille attristée.
Que d’êtres anéantis depuis l’âge antique des grands vols d’oies sauvages !
Si revenait aujourd’hui l’homme le plus populaire des siècles passés,
[qui donc le reconnaîtrait?
Mais si les Chinois sont mélancoliques, le travail acharné
les sauve de la maladie des oisifs, l’abominable pessimisme.
Si l’on considère que la Chine des dix-huit provinces
comprend 400 millions d’hectares, qu’en dehors des cimetières