d’une émeute. Un des emplois les plus désagréables de cet
instrument de troubles, quand les Chinois, comme cela arrive
quelquefois, veulent absolument provoquer une affaire, consiste
à vous lancer littéralement les enfants dans les jambes.
Mais presque partout, et surtout dans le Nord, où les gens,
depuis plus longtemps policés, ont moins de sauvagerie que
dans le Midi, ce qui arrive de pis au voyageur c’est d’être ironiquement
traité de » Koueïdzou », autrement dit de « Diable ».
C’est bien rarement qu’on rencontre un ivrogne parmi des
foules énormes qui se pressent dans les rues étroites des
grandes villes du Grand Empire; pour en trouver un il faut
aller dans les « concessions » européennes, et c’est là aussi qu’on
assiste, dans les ports ouverts par traité au commerce avec
l’étranger, à des scènes de violence, et là encore, ce n’est pas
le Chinois qui est en cause, ou tout au moins presque jamais.
Bref, ce peuple est naturellement très doux, en dehors des
troubles, guerres civiles, mouvements d’exaspération locale ou
nationale. On raconte qu’il ne s’est commis qu’un meurtre en
trente-quatre ans dans la grande ville d’Hankoou, qui nombre
ses habitants par centaines de milliers.
Le Chinois s’est admirablement adapté à son milieu, et
cette adaptation lui assure une vitalité « bien faite pour effrayer
l’inconstant Européen » (Ular). Insensible d’une manière stupéfiante
pour toutes les douleurs, le Chinois éprouve en revanche
une sensibilité extraordinaire pour toutes les voluptés : il est
d’une résignation inlassable dans la soumission aux choses
qu’il ne peut changer, d’une persévérance sans bornes dans les
entreprises dont le résultat dépend de son intelligence et de
son labeur. Qu’il n’ait pour dormir qu’une marche d’escalier ou
un tas de pierres, cela lui suffit, mais il saura prendre une joie
extrême à voir de belles lignes et des couleurs vives; il goûtera
délicieusement des allusions ingénieuses, des associations
d’idées imprévues; il saura jouir de la vie sans redouter la
mort.D
ans les écoles surtout, le caractère chinois se montre
à son grand avantage. Jamais, pour ainsi dire, les élèves ne se
permettent de troubler l’ordre quasi religieux des classes ou
de négliger le travail qui leur a été demandé. Ils se montrent
tels qu’ils seront pendant toute leur vie, dociles, avisés, laborieux,
infatigables; d’une gravité au-dessus de leur âge, ils
n’en sont pas moins gais et dispos. Ils ne rient pas aux éclats
comme l’enfant mongol; comme lui, ils ne se laissent pas
emporter par la colère : ils ont déjà pleine conscience de leur
dignité d’hommes civilisés.
Un des traits charmants de leur caractère, un de ceux qui
montrent le mieux leur douceur, leur tranquillité, leur gaîté
naturelle, l’amour des fleurs est devenu chez eux une passion
profonde. Ils ont pour elles, dit à peu près Hervey de Saint-
Denis, un véritable culte, une sorte d’amour mystique, avec
extases poétiques, effusions et contemplations. Ce qui ne les
empêche pas de préférer dans leurs jardins l’art à la nature.
Voilà de bien grandes qualités. Il en est une autre extraordinairement
développée chez eux, celle qui fait leur force
indestructible : l’amour, plus que cela, la passion du travail.
Le Chinois est un laborieux et un infatigable.
Laborieux comme pas un, avec une persévérance infinie.
On l’a fort justement comparé à la fourmi qui traîne un fétu
trois fois plus gros qu’elle, et ce fétu, rien ne force la fourmi
à l’abandonner, ni les inégalités du sol, les ressauts, les ornières,
qui sont pour elle des monts et des précipices ; ni le filet d’eau
qui est un Rhin ou un Rhône pour le moins ; ni la mare, Léman
ou Caspienne, qu’elle contourne; la fatigue, l’énervement, le
désespoir n’ont sur elle aucune prise. Ainsi du Chinois : quoi
qu’il ait entrepris, il y travaille jusqu’à la fin.
Suivant une remarque fort exacte, l’Européen ne porte
qu’à ses mains * les saintes cicatrices du travail », le Chinois
les porte à l’épaule aussi. Pas tous les Chinois, parce que tous
ne tiennent pas de fardeaux en équilibre aux deux extrémités
du bambou qui se balance sur leurs omoplates, mais un très
grand nombre, on dit même les sept dixièmes d’entre eux! —
Et ces marques, à jamais ineffaçables, sont « deux protubérances
énormes sur les deux épaules et, entre ces bourrelets,
deux larges sillons rouges creusés dans la chair par le bâton
transversal ».
Or, quel est donc l’homme qui porte deux lourds fardeaux
en équilibre aux pointes de ce bambou? Presque toujours un
maigrelet, un gringalet, qui ne paie pas de mine : on ne le
croirait pas capable de porter quarante kilos en plaine pendant
une heure et il en charge quatre-vingts, voire cent, par
monts et par vaux, au soleil cuisant, ou sous la pluie, toute la
journée et, s’il le faut, pendant des semaines et des mois, sans
manger autre chose que du riz. « Les gens à gages, même au
milieu des travaux les plus pénibles, comme de haler les
barques ou labourer les rizières, ne mangent de la viande et
ne boivent du vin qu’une fois par mois; et la ration par homme,
tant pour la viande que pour le vin, n’est que d’une demi-livre. »
Donc aussi, gens infatigables comme pas un ; et sobres
plus que personne; et les moins exigeants des hommes, cou