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 presque  partout  transformé  en  magie;  enfin,  l’origine  étrangère  
 du  bouddhisme  ou  fou  kiao  ne  l ’empêche  pas  de  s’être  
 complètement pénétré des idées nationales et d’en avoir accepté  
 les rites. 
 Aux  commencements  de  l’histoire,  il  y  a  plus  de  quatre  
 mille  ans,  la  religion  des  Chinois  consistait  dans  l’adoration  
 des objets de  la nature  :  ce en quoi  ils ont  débuté comme tous  
 les peuples  possibles  et  imaginables,  de  n ’importe  quel pays,  
 quel  climat,  quelle  couleur de  peau,  quel  développement ultérieur  
 de philosophie  et de  science. 
 On n’a pas pu  ne pas remarquer, avant  toute autre ressemblance, 
   celle de l’antique Rome  et de la Chine dans leurs  idées  
 religieuses et sociales : vénération éblouie des forces naturelles,  
 culte des génies topiques,  des  dieux domestiques, des pénates;  
 autorité  absolue du  père  de  famille ;  prédominance  « définitive  
 et sans  remise »  de  l’agriculture  sur  toute  autre  forme  de l’activité. 
   D’un  côté  le  «  feng  choui  »,  qui  n’est  au  fond  que  le  
 Génie  du  lieu,  qu’il faut apaiser ou flatter; de l’autre  les superstitions, 
  aruspices, augures  et présages ;  et dans les  deux civilisations  
 un  même  «  large  courant  laïque  ».  Seulement—  et  la  
 différence  est grande-'-  les Romains, au  centre  d’un remous  de  
 peuples et de  langues,  dans  un  monde où  il  fallait  vaincre ou  
 mourir,  dévorer  ou  être  dévoré,  tournèrent  au  militaire,  au  
 conquérant,  à  l’impérial;  la  Chine,  tranquille  en  son  large  
 bout  des  terres,  et  n’ayant  autour  d’elle  que  des  ennemis  
 impuissants,  demeura  purement  agricole,  civile,  pacifique,  et  
 persuasive en  Extrême  Orient  par  la  supériorité  de  sa  civilisation. 
 Tous  les phénomènes  de  la  vie  ambiante paraissaient aux  
 hommes  les  actes  de  génies,  les  uns  bienveillants,  les  autres  
 mauvais,  dont  il  fallait  s’assurer  les  bonnes  grâces  par  des  
 prières  et  des  sacrifices.  Arbres,  rochers,  cours  d’eau,  tout  
 avait  son  esprit  caché;  la  montagne,  la  contrée  tout  entière,  
 l’Océan,  la  Terre,  étaient  également  animés  par  quelque divinité  
 spéciale,  et  par-dessus  cette  nature  d’en  bas,  peuplée  
 d’êtres  s’agitant en secret,  s’arrondissaient en sphère  immense  
 les  espaces  du  ciel,  non  moins  remplis  de  génies  bienfaisants  
 ou  redoutables. 
 L’homme,  produit  de  toutes  les  forces  naturelles  qui  le  
 sollicitent, était aussi  un dieu, mais l’un des  plus  faibles  et des  
 plus menacés;  c’est  par  les  évocations,  les  conjurations,  qu’il 
 parvenait à sauvegarder  sa vie  au  milieu  de tant  d’autres  existences  
 liguées  contre lui. 
 Peu à  peu une  certaine  hiérarchie  s’établit  dans  la multitude  
 des  génies : Tien ou le « Ciel  », celui qui  entoure la Terre,  
 qui  embrasse  l’ensemble  de  la  nature,  qui  l’éclaire  et  le  
 réchauffe  de  ses  rayons,  devint  le  Changti  ou  le  «  Seigneur  
 suprême  »,  le  principe  agissant  de  la  création  universelle,  
 tandis  que Ti  ou  «  la Terre  »  se  chargeait de recevoir et d’éla-  
 borer les germes. 
 Depuis  trois  siècles,  les  sinologues  européens  ont discuté  
 à perte  de vue  sur le  véritable sens qu’il faut donner à  ce nom  
 de  Seigneur  suprême,  attribué  au  Ciel,  et  demandent  s’ils  
 peuvent  le  traduire  par  »  Dieu  »,  terme  qui  d’ailleurs  est  
 encore moins  abstrait,  puisque  le sens  primitif en  est celui  de  
 i Jour  ». 
 Des  missionnaires chrétiens,  entraînés par  le  zèle de  leur  
 foi,  ont  voulu  reconnaître  dans  le  Changti  le  dieu  personnel  
 des Sémites; en  interprétant des textes obscurs dont les termes  
 s’expliquent surtout par l’imagination, ils  ont retrouvé  tous les  
 dogmes  de  leur culte,  catholique ou protestant. Abel Rémusat  
 pensait même  avoir  découvert le nom de Jéhovah dans le Taote'  
 king  ou  «  Livre de la Voie et de  la Vertu  »;  les  trois  syllabes,  
 I, Hi, Wei,  prises chacune dans un membre de phrase différent,  
 représenteraient le nom  sacré du Dieu  des  Juifs. Ce  serait  une  
 nouvelle  preuve  des  communications  qui  existaient  entre  la  
 Chine  et  le  monde  occidental,  non  seulement  il y  a  quatre ou  
 cinq  mille  ans, mais  aussi  vingt-cinq  siècles  avant que  l’accès  
 du  territoire  chinois  fût  ouvert par les  canons  des Européens. 
 Mais,  somme  toute,  la  plupart  des  critiques  modernes  qui  
 ont  scruté  à  fond  cette  matière  difficile  ne  reconnaissent  pas  
 de  rapports  de parenté  entre  les!  religions de  l’Orient  et celles  
 de l’Occident. Avant  l’introduction  du bouddhisme,  l’évolution  
 des  idées religieuses  en Chine  paraît  avoir  été  spontanée;  leur  
 origine  première  se  retrouve  dans  le  culte  des  esprits  et  des  
 éléments,  ce qui devint  le  feng-choui. 
 Se  croyant entouré de tous  côtés par les génies, le Chinois  
 n’avait qu’à  s’assurer  leur  faveur  comme  il se  fût  assuré  celles  
 d’hommes  plus  puissants  que  lui;  pour  ses  prières,  point  
 n’était besoin ni de prêtres ni de liturgie régulière.  D’ordinaire,  
 c’était  le  chef  de  la  famille  patriarcale  qui  offrait  aux  êtres  
 redoutés des  aliments  et des parfums  au nom de tous les siens;  
 de même,  le chef de la commune ou du clan officiait en qualité  
 d’intercesseur pour  ceux qui  se groupaient autour de lui.  Mais  
 dans tous  ces  rites  il n’y a point de place pour une caste sacer