Ce fut le signal de la * guerre de l’opium ». En 1841, les
Anglais s’emparèrent de l’archipel de Tchousan, puis des forts
de la rivière de Canton. L’année suivante, Ningp'o et Tching-
kiang étaient pris, l’entrée du Yangtze kiang était forcée, et
l’Angleterre dictait un traité à la Chine devant la cité de Nanking.
La convention abolissait le monopole des douze hong,
intermédiaires auxquels les commerçants étrangers avaient dû
s’adresser jusqu’alors, et donnait à la Grande-Bretagne, outre
une forte indemnité de guerre, l’île de Hongkong en toute propriété;
désormais cinq ports devaient être ouverts au commerce
des nations occidentales, Canton, Amoï, Foutcheou,
Ningp'o et Changhaï, mais il restait interdit à tout navire b ritannique
de remonter la côte au nord de l’estuaire du Yangtze
kiang.
Toutefois les dures conditions du traité ne furent point
observées ; la résidence dans le port de Canton finit par être
interdite aux étrangers, et certains monopoles furent rétablis;
de leur côté les Anglais, les Français, les Américains exigeaient
de nouvelles concessions.
Une deuxième guerre éclata en 1857 entre la Chine et les
deux puissances occidentales, l’Angleterre et la France. Canton
fut reprise, et les vaisseaux européens entrèrent dans la rivière
de Peking; mais la paix, rapidement conclue et signée à Tientsin
en 1858, ne fut qu’une paix boiteuse, et déjà l’année suivante
il fallut tenter de nouveau l’entrée du Peï ho, cette fois
sans succès ; c’est en pénétrant pour la troisième fois dans le
fleuve, en 1860, que la supériorité des armes de l’Occident fut
définitivement établie; les troupes anglo-françaises prirent
d’assaut les forts de Takoou, battirent en rase campagne
l ’armée que commandait le Tartare Sangkolinsin et campèrent
devant Peking. Bien plus, les alliés infligèrent la honte au
gouvernement impérial de le protéger contre les rebelles et de
reconquérir pour son compte les cités riveraines du Yangtze
kiang, occupées par les Taïping. En vertu du traité de 1860, de
nouveaux ports furent ouverts au commerce européen, et en
1878, sans qu’il fût nécessaire cette fois de donner la voix au
canon, la cour de Peking dut, en expiation du meurtre de Mar-
gary, accorder aux négociants européens l’autorisation de
choisir d’autres marchés sur le littoral.
Il y eut dès lors dix-neuf ports de mer ou de rivière ouverts
au commerce étranger, avec leurs annexes, et sans compter
les villes d’escale comme Nganking, Tatoung, Hankoou, Chazi,
et des terrains concédés aux « Barbares de l’Occident », d’où
leur nom de « concessions », pour une période de quatre-vingtdix
neuf ans, avec nombreux droits et privilèges, tels que celui
de l’extranéité, bref, on peut le dire, des États gênants dans
l’État gêné.
Depuis lors, d’autres ports, en grand nombre, sont devenus
eux aussi des ports à traité, et nul doute qu’il y en aura de
plus en plus à la suite de la guerre du * tournant du siècle »,
si même ils ne sont pas tous ouverts au trafic de toutes les
nations.
Jusqu’à ces dernières années, ces ouvertures
h de ports profitaient presque exclusivement à la
l 'An g l e t e r r e Grande-Bretagne; son commerce y était tout à
su r m e r , fait prépondérant; son action politique, déci-
l a r u s s ie sive ; son prestige, immense, et les autres nations
su r t e r r e de l’Europe, la France notamment, n’y étaient
aux yeux des Chinois que ses pâles satellites.
Mais les choses ont bien changé récemment : il est vrai
que les Anglais se sont substitués aux Japonais dans le port
fortifié de Weï-Haï Weï, non loin de la commerçante Tchefou;
mais la Russie occupe Port-Arthur, l’Allemagne s’est installée
à Kiaotcheou, les Japonais à Formose, la France et l’Allemagne
tiennent garnison à Changhaï, à côté des Anglais qui ne
cachaient pas leur ferme volonté de dominer exclusivement ce
port et tout le fleuve Yangtze kiang, et tout le bassin de ce
fleuve, « coeur » et « fleur » de la Chine.
Les nations maritimes de l’Europe autres que l’Angleterre
n’étaient donc, comme on n’a pas craint de s’exprimer plus
haut, que les pâles satellites de la Grande-Bretagne, mais les
Chinois n’avaient garde de considérer leurs voisins les Russes
comme des subordonnés et valets des Anglais; ils ne « révéraient
» et n’appréhendaient pas moins la « silencieuse » Russie
que la « perfide » Albion.
Et la Russie suivait ses voies continentales avec autant de
persévérance que l’Angleterre ses voies maritimes.
Si jusqu’à maintenant sur la frontière de terre, au sud et
au sud-ouest de l’empire Jaune, le manque de voies de communications
faciles ont empêché l’établissement d’un marché
international, la Russie a depuis nombre d’années des consulats
et des entrepôts dans les villes dzoungares et mongoles, à
Tchougoutehak, à Kobdo, à Ouliasoutaï, surtout à Ourga; elle
dispose librement de la route postale de Kiakhta à Tientsin
par Kalgan et Siouan hoa ; elle a le droit d’installer ses agents
aux deux extrémités de la route qui traverse les solitudes du