
les décorations de théâtre, & en a y a n t le p r em ie r
compofé un livre, apprit enluite ce qu’il en iavoit à
jpémocrite & à Anaxagore, qui ont auffi écrit
iur ce fujet.. Ils enfeignent comment en établiffant
un rapport entre le point de vue et le point de distance,
on peut faire correfpondre à l'imitation de la
nature, toutes les lignes vers le point de vue, de manière
qu’avec un procédé artificiel, on parvient à
repréfenter la vérité des choies- fur la icène, à
faire que des objets peints fur une fuperficie plate
& horizontale, paroiffent s’ éloigner ou fe rapprocher.
Ces dernières paroles de Vitruve prouvent bien
que les décorations de théâtre des anciens s’èxécôtoient
en peinture, & différoient des décorations
folides de la Jcène. Mais l’hiftoire du peintre Apa-
turius nous le confirme encore.
Sur un petit théâtre de la ville de Tralles, ce
décorateur Alabandin fit une décoration dans laquelle,
au lieu de colonnes , il imagina d’employer
des ftatues & des centaures pour fupporter les
entablcmens. Au-deffus des toits des-édifices, il
éleva encore de nouvelles ordonnancés grotef-
ques , en un mot il fit une décoration dans le
genre arabefque. Elle plut au peuple à caufe de
la beauté des couleurs, forte dé mérite .ordinaire
à ces compofirions-, il'fallut que le philofophe Li-
cinius en rît fentir aux fpeétateurs le ridicule &
l ’inconvenance. Le peintre, nous dit Vitruve, eut
la docilité de corriger fon ouvrage: On voit donc
encore par ce trait, que la peinture chez les anciens
comme chez nous, faifoit les frais des décorations
de théâtre.
Quant aux changemens de décoration, Servius
nous apprend qu’ils fe faifoîent ou par des feuilles
tournantes verjatiles, qui changeoient en un inf-
t.tnt la face de la fcène , ou par des châffis çon-
duHiiis qui fe tiroient de part & d’autre,
comme- ceux de nos théâtres. Les décorations tournantes
fcrmoient chacune un prifme triangulaire
qui tournoie fur un pivot, & préfentoit à volonté
une des trois faces ornées de peintures.
Entre les principales qualités requifes pour la
décoration de théâtre, la première eft l’habileté
dans le defîin, la fécondé effc la fcience des proportions
, la troifième eft le fenriment du vrai
dans l ’exoteffion des objets par le fecours des
teintes, la quatrième & la plus importante eft le
t$n de la couleur.
On nè fauroit révoquer en doute que les décorateurs
de l’antiquité n’ay.ent poffédé avec une
grande fupériorité, l ’art du defnn, fous le rapport
de la configuration linéaire des corps. La
fcience des proportions ne fauroit leur être con-
teftée à la vue de leurs monumens d’architeilure
& de fculpture. Le talent de l’exprefSon pittoref-
que ou l’art de l’illufion, il faut bien le leur
a c c o r d e r e n c o r e , d ’ a p r è s c e q u e V i t r u v e n o u s
prend. Refie à favoir fi le méri’tq de la couleur
cet art d’introduire le jour, de faire brûler le. foi,1
leil fur une toile, & qui tient aux nuances des
tons, leur fut commun avec toutes les autres
qualités/ Le peu de peintures qui nous eft refié
d’eux, ne peut donner que des conjefiures fur
leur fupëriorité dans cette partie fi importantede
la décoration. Ajoutons à ce doute,, que les théâtres
anciens ne s’éclairant que par J a lumière du
jo u r , peut-être l’effet de leur peinture manquoit-
il 'de ce grand moyen d’illufion , qui ré fui te de
l ’éclairement-artificiel que l’on pratique aujourd’hui.
Ne pourroit-on pas induire aufiï du genre fimple
des tableaux „antiques, qui n’exigeoit pas des peintres
une grande habileté dans l’art de l ’effet., du
clair obfcur &. des lointains , que cette partie oit
brillent les modernes, dont la peinture embraiiè
une multitude d’objets dans un ieul tableau )( ne
dut pas être portée auffi loin chez eux, que les
autres parties; & que leurs décorations de t lUs.tr t
purent le céder fous ce rapport aux nôtres ?
On a vu à l’article DÉCORATEUR ( yoye\ cc
mot), qu’à la renaiffance des arcs chez les ir.c-
dérhes, ce fut Bâlthazar Péruzzi, qui retrouva
l ’art des décorations de théâtre. On a rapporté
les éloges que donne Valari aux premiers eifais
de ce maître, qui,-fous certains rapports, durent
être des chefs-d’ceuvres. Mais il paroît qu.e ce
fut fur-tout dans la compofition & l’invention,
que'ces ouvrages acquirent une fi grande réputation.
Au mérite du deffm & de k proportion,
on peut douter-que celui de l ’exprefiion & delà
couleur fut parfaitement réuni. . La • nouveauté de
ces fortes ;de peintures a- peut-être excité dans les
hiftoriens qui les ont décrites, une admiration un
peu outrée.
L’ on eft tenté de fuppofer cet effet, quand on
lit la defeription. que fait Serlio des fçènes de
payfage peintes par le Genga, pour le Duc d’Ur-
bin. O Dio immortale ( ce font lés paroles de
Serlio ) che magnifietn^a era quitta di veder tarai
albori frutti, tante erbt e fieri divèrfi, tut te cof<
fatte di fmijjima fêta di variati colpri, le ripe d
fejfi ce pi o f di diverfe conche marine di lu ma dit ci
altri animaient, di tronchi di coralli, di moire-
perle edi grànchi mariné inferli néfajji, cop tanta
divtrfîta di cofe belle, cite a voler le fcrivtrt tutu,
io farci troppo longo in quefia parte. L ’homme de
goût peut douter que tous ces détails, peut-être
admirablement finis-, ayent dû produire'ce grand
effet, d’un tout enfemble bien harmonieux, comme
on l ’exige aujourd’hui du peintre de décoration.
IL- femble même que les premiers modernes
qui ont renouveilé l’art de la décoration du théâtre,
manquoient des moyens que donne la couleur
pour faire fuir ou arrondir les objets. On hù
.„e pouf donner du relief à leu» decantions ,
i . B-Ilthazar Orfmi, dans fon traite fur le theatre
j péroufe, ces anciens décorateurs imaginèrent de
difpofer leurs châssis en deux furfaces, l’une qui
■ ncourciflbit, & l’autre qui refloit en face, parallèlement
à la fcène, de la manière que le fçroit un ouvrage
de bas relief. Puis on les peignoit & 1 on aidoit
encore à l’effet, félon Serlio, par des ouvrages de
bois en relief, & par des tranfparens, ligne certain
que l’art de ces temps - là manquoir des
moyens naturels d’effet, que donne la fcience du
; coloris.
On regarde ordinairement Bibiena, comme le
grand maître de cet art, du côté de l’effet de la
grande harmonie & de l’efpèce de goût large^ôt
. grandiofe que demande la peinture fcénique. C ’eft
■. lui qui a ouvert la route aux grandes compofi-
tions. Peut-être de fon art il eût remporté le prix,
fi le ftyle de fon architecture eût été plus cor-,
reft, & s’il eût moins afteilc de bizarrerie dans
: fes détails. Il exifte un recueil gravé de ies deçà-
f rations, dans .lequel un décorateur fagè & intel-
! lisent pourra trouver de grandes leçons pour
l’invention, la difpôfition des lignes'propres à
infpirer de grands effets, & la .grande entente
des pians & des oppofitiens.
De nos jours en France Servandoni a porté au
• plus haut degré le fuccès des inventions ék. dé—
| corations théâtrales. Ayant obtenu la jouiffance de
la faite des machines aux Thuileries, il imagina
d’y faire un fpeâacle uniquement de décorations ,
■ pour former des élèves en ee genre. Sa première
| xepréfentation fut celle de Saint-Pierre de Rome ,
où l’on admira la jufteftè des proportions, l ’iieu-
reul’e diftribution des jours £l des ombres, & le
parfait accord de l’enfemble, qui préfentoit un
véritable tableau de cette fuperbe bafilique. La dé-
I coration de Pandore lui acquit la plus haute réputation
fous le rapport de peintre & poète tout
' eniemble. Il prit fon fujet dans ces vers d’Horace,
; hv. i , ode 3.
T ° fi îgQeni euhircâ domo,
S Subduclum, maries & nova fe b r ium ,
Terris incubait cohors.
L’ouverture de la fcène repréfentoit le cahos &
fa deftru&îon, félon l’idée du poète. L’image de
I k nature telle qu’elle eft décrite fous l ’âge d’or ,
jj fuccéda à cette confufion, & eps différens chan-
1 gemens fervirerit de prologue à l ’hiftoire de Pan-
| Son enlèvement au ciel par Mercure, fon
I lejour dans l’olympe pour y recevoir les prélens
I des dieux, le don de la fàmeule boîte, fon re-
I tour fur la terre, formoient une fuite de fçènes
f auffi neuves que brûlantes. Plus de deux mille
I. figures de relief, parmi lefquelj.es il y en avoit I beaucoup de réelles, repréléntoient les dieux &
le s d é e f f e s a v e c l e u r f u i t e , & p a r o i f f o îe i i t fe m o u *
voir continuellement. Cette grande repréfentation
qui duroit une heure au moins-, finiffoit par
l ’ouverture d.e la boîte fatale, & l ’image des
maux qu’elle répandit fur la terre.
La defeente d’Enéé aux enfers, les diverfes
aventures d’Ulyffe, l ’hiftoire d’Héro -& de Léan-
dre, celle d’Alcefte, & une foule d’autres occupèrent
fucceilivement pendant dix-huit années le
génie décoratif de Servandoni.
Aucun peintre depuis lui n’a laiffé un grand
nom dans1 l’art de là décoration. Livré à la rou**
tine des écoles, cet art n’a confervé pendant longtemps
que les défauts que rachetoit le talent extraordinaire
des grands maîtres qu’on a cités.
Aujourd’hui l’art d elà décoration, revenu à uft
goût plus fage dans toute l’Europe, n’auroit peut-
être befoin pour acquérir toute fa perfeéhon, que
des- grandes sOcçafions fans le! quel Les les plus heureux
taiens ne fauroient produire que de foibles
ouvrages.
Il y a dans la décoration de théâtre1 comme
dans les autres arts, deux parties que doit réunir
Parti fie qui a l’ambition d’y exceller -, I’ inventioa
ê i l ’exécution.
L ’invention dans ce genre xonfifie à produire
aux yeux du fp«r<ftateur, les plus belles combi-
naifons de monumens , de fîtes, de payiages, & à
faire que tous ces lieux portent le caractère propre
aut fu je tq u i doit s’y repréfenter. Compoli-
tiôn & caraétère forment donc fpécialement le
mérité de l’invention.
En général on pardonne au peintre de décoration
de théâtre, plus difficilement qu’à tout autre,
la ftériiité dans la compofition. C ’eft en ce genre
fur-tout que l ’on permet d’enchérir un peu fur la
nature. Une forte d’exubérance d’objets ne mésied
point ; tout, dans l ’art du théâtre, défit fe monter
de quelques tons au-deffus de l’imitation naturelle.
Si l’on reftoit au niveau , l’on fe trouveroit au-
deffbus de l ’effet qu’on doit produire. Ainfi une
prifon aura quelque chofe de plus repouffant dans
fes formes, de plus ténébreux dans lès effets, que ■
la réalité n’a coutume d’en offrir. Une galerie
aura plus de luxe & de richeffe, un falon plus
d’élégance, une place publique plus de ftatues &
de monumens, un payfage plus de variétés & de
contraftes, que l’architeélure ou la peinture n’en
mettent ordinairement dans leurs produirions ÔC
leurs tableaux.
Prenez garde cependant que la manie de mettre
, trop de chofes dans votre toile, ne nulle au large
1 de la p e in t u r e n e rapetiflè l ’effet, au lieu de
Ragg’ andr.. Souvent trop dé abondance appauvrit la
matière. Tel eft l’excès dans lequel tombe la
plupart des décorateurs. Ils vous entaffbnt pyra