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rendu à Delorme un grand fervice, en purgeant fôn
architeélure de tous les hors-d’oeuvre qu’il y ayoit
répandus. L’ionique dont on parle eft vraiment efti-
mable , & il ne lui manque qu’un chapiteau plus
pur & plus précieux pour entrer en eomparaifon
avec les ouvrages de l’antiquité.
Au refte, l ’opinion qu’on doit prendre de Delorme
, fera celle d’un des maîtres de Part, quand
on faura que Chambray l ’a mis au nombre de ceux
entre iefquels il établit fan parallèle de l ’architecture.
Dans le jugement général qu’il porte des
auteurs qu’il a choiiis pour termes de eomparaifon,
voici comme il s’explique fur Delorme & fon collègue
Jean Bullant.
« Des deux qui relient on ne peut pas dire qu’ils
foient moindres que tous ceux qui les précèdent ,
ni aufli de même force que les premiers, mais j ’estime
qu’ils peuvent entrer en concurrence avec trois
ou quatre. Ce font deux maîtres de notre nation ,
aflez renommés par leurs ouvrages & leurs écrits ,
Philibert Delorme & Jean Bullant, que je n’entends
point placer ici fur le dernier rang comme inférieurs
, mais feulement pour les féparer des Italiens .
qui font en bien plus grand nombre. »
L ’éloge que reçoit ici Philibert Delorme , fe trouve
un peu démenti par les jugemens partiels que porte
Chambray des trois ordres qu’il rapporte de notre
architeéte : nous allons rapporter ces jugemens.
a C e n’a pas é té , d it-il, fans quelque peine que
j’ai réduit le profil, de l’ordre dorique de Delorme
aux termes qu’il eft ic i, cet architecte l’ayant ef-.
quiffé fi à la légère & fi en petit volume ( quoique
celui de fon livre foit aflez grand ) qu’il n’eût pas
été poflible de donner à aucun de fes membres fa
jufte mefure, fans l ’aide du texte.dont il a fait trois
amples chapitres, où j par le moyen d’un meilleur
defiin , il auroit pu épargner beaucoup de paroles :
ce qui fait juger que le bdn homme n’étoit pas
deffinateur , qui eft un défaut aflez ordinaire à
ceux de fa~condition. Mais cela n’a rien à faite préfet:
» tement à notre fuje t, où il n’èft queftion que
d’examiner fi l’ordre dorique qu’il propofe,a quelque
conformité avec les antiques, ou pour le moins aux
préceptes de Vitrave ».
« Quant à l ’ordre ionique de Delorme , il n’y a
rien qui foit digne d’être imité , n’étant conforme
ni à l’antique , ni à Vitruve , & de plus n’ayant
aucune régularité eu fes parties ; car la corniche eft
camufe , les principaux membres , comme la douane
& le larmier, font petits & pauvre.', la frife plus
grande que la corniche, & la bafe de la colonne
encore altéréé en fa forme & en la mefure de fes
membres, entre Iefquels la groffeur du tore paroît
exceflïve , eu égard aux deux feoties qui fpnKaü-
deflous, outre la répétition inepte des deux aftrà-
ga-tes fur la plinthe. La volute du chapiteau eft aufli
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trop grande, & le fufarole, qui eft le collier de h
colonne avec fon lifteau : en un mot, cette coi*.
pofition eft bien placée fur le dernier rang. »
« Mais après tout je fuis étonné qu’un homme de
la condition de cet auteur , qui étoit laborieux \
comme on peut juger par ce qu’il dit en fon livre
touchant les obfervatioias qu’il avoit faites à Rome
fur les antiques , qui avoit un grand amour naturel
à l’archite&ure , à qui les commodités n’ont point
manqué pour étudier à fon aife, & fe faire inf.
truire, qui étoit allé par le vrai chemin de l'art
& qui a eu d’aflez grandes occafions de pratiquer
& de mettre en oeuvre fes études ; qu’avec tous ces
avantages il foit toujours refté entre les médiocres.
Cela montre bien que notre génie nous peut tromper
quelquefois, & qu’il nous porte à des chofes pour
lefquelles nous n'avons aucun talent».
l’ égard du corinthien de Delorme , voici encor:
les paroles de Chambray.
• « J’aurois fouhaité, pour la conclufion de notre
ordre Corinthien , que Delorme nous eût donné un
defîin plus régulier & d’un meilleur goût : mais ce
bonhomme , quoique ftudieux & amateur de l’architecture
antique , avoit néanmoins un génie moderne,
qui lui a fait voir les plus belles chofes de
Rome comme avec des yeux gothiques : ce qui
paroît bien au profil de fon corinthien , lequel il
prétend être conforme à ceux des chapelles de la
rotonde...... Enfin le talent de cet architeéle, qui
ne biffe pas d’avoir acquis beaucoup de réputation,
confiftoit prineipalêmén^en la conduite d’un bâtiment
, & de,vrai il étoit plus .confommé en la con-
noiflance de la taille & coupe des pierres , que dans
la compofition des ordres; aufli en a-t-il écrit plu*
utilement & bien plus au long. »
Philibert Delorme eft en effet auteur de deux
ouvrages fur I’architedlure & la conftru&ion, qui
a Curent à fon nom une gloire peut-être plus réelle,
mais à coup-furplus durable, que celle qu’il doit à
fes édifices en partie détruits ou dénaturés.
” Le premier de ces ouvrages eft un traité complet
d’architeélure, en neuf livres;.le fécond , qui fait
fuite à ce traité-dans quelques éditions, mais qui
fut imprimé & publié féparément , a pour titre !
Nouvelles inventions pour bien bâtir & à petits
frais.
Dans fon traité d’architeélure , Philibert Dt-
lorme embrafîe toutes les notions théoriques &'pra-
tiques dont fe compofe la fcience de l’architeéhire.
Le premier livre traite des confidérations préliminaires
à l’afliette d’un bâtiment, du choix de l'architecte
, des qualités que doit avoir celui-ei, de
l’expofition des édifices , des devis, deffins & modèles,
des pierres marbres & matériaux , de la
chaUx , & de la manière de la faire & de Fein-
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«loyer, <3es divers arts qui entrent dans la com-
peution d’ un édifice.
Le fecqnd livre embrafie les notions géométriques,
appliquâmes à l’art de bâtir , & fur-tout aux
fondations des bâtimens, la manière de raffermir
les terreins fur iefquels on veut fonder, foit fur
terre, foit dans l ’eau.
Le troifième livre a pour objet la difpofition
des étages ïouterrains , la coupe des pierres &. Part
du trait.
Le quatrième livre eft une fuite du troifième ,
le comprend l’art des voûtes':, des trompes, des
efcaliers à vis fimple & double. Dans ce livre ,
Philibert Delorme rapporte en exemple quelques-
uns «le fes propres ouvrages', & c ’eft-là qù’ bn voit
la trompe du château d’A ner, fur laquelle étoit
bâti le cabinet du r o i, dont on a parlé plus haut.
Le cinquième livre fe cdïnpofe des notions relatives
aux ordres & aux colonnes tofeanes, doriques,
ioniques, des mefores & proportions de ces ordres ,
& des autorités ou exemples pris dans l’antiquité. '
Le fixième livre ne traite que de l’ordre Co-_
rinthien, de fon origine y de fes proportions & de
fes mefures.
Le fepùème livre eft afleété à l ’ordre appelle
comporte. A ce fuje t, Philibert Delorme propofe
diverles inventions de colonnes & d’ordres , dont
il 11e paroît pas que l’archite&ure ait fait grand
profit.Selon lui, l’on peut inventer & faire de noür-
velles colonnes, & il cite en exemple les colonnes
à bandes du palais des Tuileries dont <on a parlé
plus haut, &. qu’jl appelle colonnes françaifes.
Le huitième, livre renferme les détails relatifs à
la décoration des arcs , portes ouvertures des
bâtimens , ainfi qu’aux.mefures des portes dorique,
ionique & corinthienne, à la difpofition des croifées
dans les bâtimens , & à la forme des lucarnes ou
petites fenêtres qu’on met aux étages fupérieurs.
Le neuvième livre eft une théorie aflez complette
fur les cheminées ,Teur forme , leur conftruétion ,
leur -décoration , & les procédés par Iefquels on
remédié aux incOnvéniens de la fumée.
En général, l’ouvrage de Delorme , quoiquè utile
aux artiftes, lleût été bien davantage,s’il l’eût accompagne
de meilleurs deflins. Mais il paroît qu’il n’étoit
pas grand deffinateur, ainfi que l’obferve Chambray.
Il régné beaucoup d’obfcurité dans les planches. Les
mefures y font ou inexaéles ou trop rares , & c’eft
* laide d’un texte diffus qu’il faut expliquer les
deflins qui auraient dû naturellement expliquer le
.texte.
- L autre ouvrage de Philibert Delorme contient
une découverte infiniment précieute , & que nous
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: avons vu reflùfciter de nos jours par les architectes
Legrand & Molinos, dans i’imménfe couverture de
la halle aux bleds de Paris.
Voici ce qui donna Heu à cette belle invention,
de l ’art de bâtir. C ’eft Delorme lui-même qui va
parler.
« Comme je confidcroîs la néceflité &.-peine qi4|
» e'ft aujourd’hui & fera déformais pour trouver
» fi grands arbres qu’il faut , . pour faire poutres
» fabiiers, pannes, chevrons & autres „telles pièces
» requiles pour les logis des’ princes &. feigneurs '
» davantage que je p» évoyois grande défaillance ,
» non-feuiement defdits grarcls arbres , mais suffi
» des moyens tels qu’il faudrait pour faire les cou-
» vertures de fi grands logis : qui m’a fait penfer
v »de longue main comme l’on y pourrait remédier,
» & s’il ferait poflible , en telle néceflité, trouver
.» quelque invention de fe pouvoir aider de toute**
» fortes de bois & encore de toutes petites pièces ,
» & fe p a fier de fi grands arbres que l’on a cou-
» tume de mettre en oeuvre. ,
» Sur quoi il m’advint un jour d’en toÛGher
quelques mots au feu roi Henri II> étant à table..
» Mais quoi ? Les auditeurs 8c afliftans, pour n’avoir
» oui parler de fi nouvelles chofes & fi grande
y> invention, tout à un coup me reculèrent de mon
» dire , comme fi . j’euffe w u lu Lire entendre à ce
» bon roi quelques menteries.. Voyant donc faire
» un jugement ii foudain de ce qui n’étoit encore
» entendu , & que le roi pour lors ne difoit met,
» je délibérai, ne plus rien mettre en avant de rais
»propos, commandant de procéder aux hâtiméfls
x> comme l’on avoit accoutumé.
y> Quelque temps apres la reine-mère délibéra
»faire couvrir un jeu de pat/laie à fon château de
y> Monceaux, pour donnqr pUifir & contentement
» au feu roi Henri. Et voyant qu’on lui en dernan-
» doit fi grande fomme d’argent, cela me fit re»
»parler de cette invention: &-fut ladite dame feu lis
» caui'e que je la voulu éprouver.
- » Donc j’en fis l’épreuve au château de îa
»Muette, ainfi que plufieurs ont vu , & en autres
»divers lieux , félon la façon décrite en ce préfent
» livre. Laquelle épreuve fe trouva fi belle & de fe
» grande utilité, que lors chacun délibéra en faire
» fon profit & s’en aider, voire ceux qui l’avoient
» contredite , moquée & débattue. Laquelle chofe
» étant venue jufqu’aux oreilies du roi , qui avoit
»•vu & grandement iou-é ladite épreuve , il me
»commanda en faire un livre pour être imprimé p
» afin que la façon fut intelligible à tous ».
La méthode de charpente de Philibert Delorme
confifte à fubftituer aux fermes de charpente« ordinaires
& aux chevrons qui les déparent, des courbes
compofées de deux planches de-bois q uelconque