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tetture. Un (te plus célèbres fut Tibaldi, le
Midi 1-Ange de Bologne , quoiqu’il fe dalle ordi-
l'.airement parmi les peintres d’hiftoire.
Mais les trois grands maîtres de cette partie , au
jugement d’Aîgarotti , font Dentone ( autrement
Girolamo Curti ) , Mitelli & Colonna.
Ces grands décorateurs ne furent pas cependant
exempts de quelques-uns des reproches, qu’on n’a
eu depuis eux, que trop lieu de faire à ceux qui ont
quitté en ce genre , la route du {impie & du vrai.
Dentone, quoique févère dans fon ftyle , dit Al-
garotti, & pouvant offrir des modèles aux architectes
eux-mêmes, a fait fouvent des entre-coîonne-
mens trop larges , & qui feroient inexécutables. On
voit chez lui des colonnes pofées fur des confoles
en plac; de flylobate, comme dans la grande falle
du palais Vizzani, à Bologne. On peut lui reprocher
d’avoir donné à l’ordre ionique des proportions
trop lourdes ;$c prdfque tofcanes, comme à
la fameufe décoration dci Servi , oh l’illufion delà
perfpeéfive eft telle , qu’un chien , à ce qu’on raconte
, fe calfii la tête contre le mur, voulant monter
les efcaliers & les degrés qui y font peints.
Colonna , fi grandiofe dans fes inventions pleines
de rondeur & de relief, & qu’on pourroit appeler
l ’Annibal Carrache de la décoration , a fouvent
eu le défaut d’une furabondance de compofîtion.
L a grande falle du palaisLocatelli, ’peinte par lui,
eft la preuve de cet excès. Il y a de quoi faire la
décoration de trois grandes faites. On lui doit reprocher
encore des licences, qui pu fient les bornes de
- l ’indulgence qu’on peut avoir pour les peintres décorateurs,
Comment pouvoir le juftifier d’avoir rompu
les.principaux membres de l'architecture , & découpé
de tant de manières les parties conftitutives & l’of-
fature de. fes édifices , comme il fe l’eft permis en-
tr’autres à la voûte de Saint-Barthelemi. Ces abus
n’ont été que trop fidèlement fuivis & imités par
Pizzoli fon élève dans le plafond , d’ailleurs très-
cltimable , de l’églife délia Madonna del Soccorfo*
Mitelli , le compagnon & le rival de Colonna ,
eft fi aimable dans la manière de peindre, fi pur
& fi fin' dans fes teintes, & fi noble dans fon ca-
ra&ère, qu’on peut le regarder comme le Guide
de la décoration. Encore ne laiffe-t-il pas d’avoir
fes taches.. JL’on ’ reneontre fouvent dans fes ouvrages
des colonnes trop maigres , des bafes
lourdes & de mauvais igoûf, des chapitaux doriques
d’une langueur démefurée & hors de toute
bonne proportion. Dans t e décoratioiis perfpec-
tives de l ’égl fe de San Michel in Bofco , qui font
de fa main, on voit une corniche qui va fe terminer
contre une arcade. Il ne s’eft point fait de
fcrupule d’afiocier à un ordre dorique un couronnement
ionique. Dans une de fes pêrfpe&ives &
la plus fameufe de l’églife di San Salvatore, eft un
efcaiier qui. joue* le principal rôle,. & dont le plan
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eft tellement en contradiélion avec le plan général
du refte de la décoration , qu’il faut, pour n’en
erre pas choqué , toute la magie que le peintre à
fu y mettre.
Chiarini eft encore nommé par Algarotti corr.iTiç
un des excellens imitateurs des grands maîtres
qu’on vient de citer. I! fut même, en égalant leurs
qualités, s’éloigner de leurs défauts. Sévère dans
le deflin, élégant dans les proportions & les formes
de les- édifices, fimple comme l’antique, naïf
dans fa manière de peindre, peut erre remporte-
t-il fur tous fes rivaux , peut - ê re fa chapelle de
l’Annunftata eft -e lle le chef-d’oeuvre des décorateurs
Boiognois.
On v o it, aux remarques févères & judideufes
d’Algarotti fur les meilleurs ouvrages des gr nds
décorateurs, que l ’art de la décoration d’architecture,
ne doit être que l’art de la meilleure imitation
des plus beaux édifices; que dès-lors aucune ratfon
ne porte à tolérer, & à excufer dans une imitation
les vices & les abus qu’on profcriroit dans le modèle
imité..
Le préjugé a cependant régné long-temps &
domine encore parmi les décorateurs, qu’il y a des
vices néceffaires à ce genre d’imitation.
Difons-le , c’eft à l’ignorance du beau, à la
routine ou l’incapacité des décorateurs , quhm. doit
attribuer une femblable opinion. Il eft bien vrai
que toutes ces formes rompues , mixtiligr.es &
contournées , toutes ces fantaifies dont on a vu la
décoration le faire un domaine en propre, peuvent
bien aider, dans l’art de l’effet, de l’ éloignement
des objets , ôc dans le fuccès de la perlpec-
tivé , les hommes de peu de talent. Les parties
fimples & grandes , les termes régulières , les ordonnances
lages &. fymétriques exigent une plus
grande, feience , plus d’habileté pour produire lé
mê/ne effet./Mais il réfulte de-là qu’il n’appartient
en ce genre qu’à l’ignorance de plaider la
caufe du mauvais goût. ( Voye{ décoration ).
Les décorateurs de théâtre peuvent avoir quelques
raifons de plus pour reclamer itn-peu d’indulgence
dans leurs compofitions. Gênés fouvent
par les données étroites de la fcène, par la multiplicité
des châflis ou couliffes , & par la manière
dont s’éclairent artifi.deftem.ent leurs peinturés, il'
r.’eft pas étonnant qu’ils ayent eu quelquefois recours
ou à des formes découpées & rompues,
ou à des aggrouppemens de c lonnes. Cependant
l ’expérience même qu’en ont donné quelques habiles
décorateurs ÿ prouve que l’effet & .l’illufion-
des décorations théâtrales peuvent s’accorder
avec les meilleures formes, les plans les plus fi triples
& les compofitions les plus régulières de l’ar-
chiteéiure.
On voit un exemple de ce que j ’avance dans
quelques deffins de décoration de théâtre inventés^
exécutés par Balthazar Peruzzi. Ce grand homme
oeintre & architede, peut fe confiderer comme le
rénovateur de l ’art de la décoration théâtrale. Si
l’on juge par fes édifices & fon goût dans 1 archi-
te&ure , de celui qu’il dut-appliquer aux imitations
théâtrales, on conviendra que rien ne devoit mieux
rappelé* les belles inventions des peintres de l antiquité.
Il paroît aufii que la beauté des formes & la
pureté des détails n’ayoient porté chez lui aubun
préjudice aux charmes de l’illufion. Quzllo, dit
Vafari, chefece Jlupire ognuno fu la profpettiva °vtr°
fcéne d’una comedia , tanto bellache non epojfibue
immagindrfi plu. Ptrcioche la varieta e bella maniera
dé cafamtnti, le diverft loggie, la bi{arria delle porte
e finejlre, eialtre cofechevi fi. vidtro d'architettura ,
furono tanto' ben’ inttfe , e di cofi jlraordinaria invtn-
ftont che non f i puo dirne-la millcfima parte. « Ce qui
excita l’étonnement, fut la déepration-que fit Balthazar
Peruzzi pour une pièce de théâtre; on ne
peut rien imaginer de plus beau. La variété, le
beau ftyle des édifices , les ornemens des croifées &
des portes, & tous les autres objets d’archite&ure ;
la belle entente de toutes les parties, & l’invention
générale font au dessus de toutes les descriptions. »
Il paraît cependant, au dire de Vafari que Balthazar
Peruzzi fe furpaffa encore lui-meme dans
les décorations qu’;l fit pour une pièce du cardinal
Bibbiena , qui fut repréfentée devant Léon X.
« Dans cette forte d’ouvrage, dit l’hiftorien ,Bal-
9 thazar s’acquit d’autant plus d’honneur, que le
» genre de la décoration n’exiftoit pas encore , vu
» la défuétude dans laquelle étoit tombé l ’art de la
» poéfie &. des repréfentatior.s dramatiques. Mais
» les décorations en queftiori, pour avoir été les
» premières , n’en furent pasjnoins la réglé & le
» modèle de celles que l’on fi.t depuis. On a peine à
» concevoir avec quelle habileté notre décorateur,
■ » dans un efpace û étroit, fut repréfenter un fi
» grand nombre d’édifices ^ de palais, de loges , de
» détails, d’entablemens, & avec une telle vérité,
» qu’on croyoit voir de la réalité, & que le fpec-
I » tateur , devant une toile peinte, fe croyoit tranf-
[ » porté au milieu d’une place véritable & maté-
» rielle , tant l’illufion avoit été portée loin. Bal-
[ » thazar fu t aussi difpcfer, pour fon effet, avec une
[ » admirable intelligence, les lumières & l’éclairage
» de fes châffis, ainfi que toutes les machines qui
Y » put rapport au jeu de la fcène. »
On ne peut que regretter la perte des deflïns
[ defèmbiables décorations ; mais, comme je l’ai dit,
- le peu qui en refte, & qu’on trouve gravé, confirme
» ce que j’ai avancé fur 1* facilité de réunir en ce
! genre, le pittorefque au v r a i, l ’effet à la cor-
! refticn des formes.
Il eft un> malheur attaché aux inventions pitto-
. tefques du théâtre , c’ eft leur peu de durée. La
r manière même dont elles font exécutées , pout l’or-
1 diaaire , ne leur permet pas d’en efpérer une plus
longue que celle de quelques années. Encore en
Italie , & dans d’autres pays , la plupart des décora-i
tions ne (urvivent-elies pas a la duree des reptefeiv-
tations d’une pièce. Aufii l’hiftoire des décorateurs
de théâtre n’exifte que dans quelques fouvenirs dont
le temps efface chaque jour les traces.
Il ferait à fouhaiter que la gravure nous eût toujours
tranfmis les objets de ce genre, dignes des
regards de la poftériré. C ’ eft fur-tout pour d’auili
périflables inventions que l’art de graver devroit
réferver fes reffources. M a is ,ju fq u à ce jour, 011
ne connoît que les ouvrages de Bibicnaf Galli:)
qui ayent reçu cet honneur. Le méritoient-ils ? Oui ,
fi l’on en croit la renommée dont a joui ce célèbre
décorateur, & l’influence qu’a eu fon exemple fur
les artiftes de fon genre. On doit reconnoître dans
Bibiena de la fécondité, de la variété, & le fenti-
ment des grands effets & des grands •partis. Mais
quel fatras inextricable de détails confus, de formes
brifées & découpées, de bizarreries dans les lignes
& dans les plans! Quel mauvais, goût d’ornemens,
quel luxe effronté de broderies, quelle furabondance
de çhofes , & quelle pauvreté dans cette of-
tentation .de tant de richefles ! Je ne crois l’ouvrage
de Bibiena propre qu’à montrer le contraire de ce
qu’il faut faire dans les détails de l ’architeélure.
De nos jours, Servandonis’eft acquis une grande
réputation, comme décorateur, dans toute le tendue
& fous toutes les acceptions de ce terme. Cet habile
homme, après avoir étonné l’Europe par la fécondité
de fon génie dans tous les genres d’ inventions décoratives,
avoit comme fondé à Paris une véritable école
pratique de décoration. I l obtint de donner à . fon
profit-fur le théâtre des Tuileries appelé la falle des
Machines, des fpe&acles de fimple décoration. On
fe fouvient encore de l’admiration qu’excitèrent les
décorations de la defeente d’Enée aux enfers , &
celles de la Forêt enchantée, fujet tiré d elà Jéru-
falem délivrée. Servandoni avoit eu, perdant 18
ans , la direi^ion de l’Opéra de Paris , & longtemps
en y a confervé de fes décorations. (
DÉCORATION } .
C’eft un grand avantage pour un décorateur de
théâtre”, de réunir les connoiftanc.es pratiques de
l ’architedure, & de s’être exercé en grand dans cet
art. Les maîtres célèbres que je . viens de citer eurent
cette fupénorité fur les décorateurs modernes.
L ’ Italie compte encore aujourd’hui quelques
écoles de décoration de théâtre. Vemfe & Milan
ont produit des artiftes encore vivans ,^qûi laïfferont
fans doute un nom après eux- Le goût & le ftyis
d’ornement s’eft amélioré depuis quelques années „
& tout donne à penfer que le retour de l’architecture
aux formes fimples & aux conceptions lages &
régulières de l ’antique, influera fur l’art qui en eft
l’imitation , au point d’en faire difpaioître les abus
& les préjugés, qui ont long-temps inftéte U décoration
dans tous les genres.
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