
point de la difpute, ou fe préfenter le moyen le
pins {impie de le réfoudre.
11 n’eft perfonne, ce me femble -, qui ne convienne
j que la queftion eft la même de nation à
nation, comme de particulier à particulier. De
même que, dans un paÿs, on ne compte pas les voix
en matière de fcience, d’art & de goût , & qu’on
n’oppofe pas la multitude des villageois, des ouvriers
& des ignorans, au petit nombre des hommes
inftruits & experts dans leur genre; de même, il
me femble que le nombre des peuples qui profel-
fent tel ou. tel goût, n’eft pas ici un élément de
conlroverfe admiffible. Ge nombre ne pourroit &
ne devroit fe mettre dans la balance qu’à iuffcrue-
tion ou culture égale; autrement dix peuples ignorans
n’ont pas plus le droit d’être oppofés à un
feul inflruit, que les neuf dixièmes d§ la population
ignorante d’un pays, au feul dixième que l’éducation
&rinftru£lion ont perfectionné.
Cela étant, la feule queftion eft de l’avoir fi les
peuples chez lefquels règne &. a toujours régné
le goût irrégulier, ont, dans tous les autres points
qui font moins fujets à conteftation, l’efprit aulli
cultivé que les peuples qui profefîent le goût op-
pofé, & enfuite fi l’exercice de ce goût refaite ,
chez eux , d’un choix véritable , d’une théorie
fondée en principes, ou fimplement de l ’impul-
fion de l’inflinCl & de l’effet de la routine.
Mais il me femble que cette queftion porte avec
foi faréponfe. Il me femble qu’il y a fur cet objet
une notoriété de faits & de circonfiances qui pourvoit
difpenfer, même dans un ouvrage dont cette
queftionferoil l ’unique fujet, de s’étendre en preuves
&en déinpnftrations nombreuf es. El fans parler
de l’état de barbarie où fe font trouvés les fiècles
& les pays q u i, depuis la décadence de l’Empire
ajomaiu , ont produit ce grand nombre d’ouvrages
appelés gothiques} où règne particulièrement le
goût irrégulier, fans parler des peuples de l’antique
Afie, d’où font émanées jadis les bizarreries
que le génie des Grecs-ou des Romains avoit
revêtues du cliarme de leurs arts, & fans s’étendre
à montrer combien ces peuples, dans toutes
les autres parties.du domaine de l’efprit, étoient
reftés loin de ceux qu’on prétend quelquefois nous
donner comme ayant été leurs difciples, fans entrer,
à l ’égard de,tous les temps & de tous les
peuples paffés, dans des recherches que l’éloignement
rend, plus difficiles 8tplus obfcures, pourquoi
ne pas foumettre à l ’examen dont je parle,
ces nations nombreufes qui cultivent encore aujourd’h
ui, & fous nos ycux -, le goût qui fut celui
de leurs prédéeeffeurs? Qu’on prenne, par exemple,
pour fujet d’épreuve, l ’Âfie actuelle toute
entière , & qu’on en fâffe le parallèle avec l’Europe
moderne.
Or, qui .eft-ce qui ne voit pas du premier coup
d’oeil, combien, malgré.r’état de civilifation a fiez
avancé de quelques-uns des peuples de l’Afie ,
leur efpiit 8c leurs comaoiftances font encore en
arrière du point de perfection , auquel il fan droit
qu’ils fuffent parvenus dans les fciences phyGquès
& morales , pour leur mériter d’être mis en parallèle
avec l’efprit & les connoifTances de l’Europe
? Qui eft-ce qui s’aviferoit d’établir & de fou-
tenir que , parce que les trois quarts du globe &
les peuples de l’Afie , dont je parl'e, ne penfentpas
comme l’Europe en fait d’aftronomie, de phv-
fique , de légifiation, les queftions qui fe rapportent
à l ’état de ces fciences, peuvent refter dou-
teufes ? Eft-ce que les opinions d’aftrologie, de
.fbrcellerie, des longes, & cette multitude de fu-
perftitions répandues fur la plus grande partie des I
contrées-dont il s’agit, ne prouvent pas que les I
facultés morales des peuples qui les habitent, font]
i loin d’avoir reçu tout leur développement ?
Si tout ce que je me contente d’indiquer ici
fur l ’état d’imperfeëtion de ces peuples, à l’égard
I des fciences & des matières que leur nature met
I hors de difpute ,'doit faire conclure à tout homme I
I raifonnable, l’infériorité, fin on des facultés de I
l’homme dans ces contrées, au moins de leur cul-1
ture, & fi l’on ne penfe pas à oppofer le jugement I
de ces peuples au nôtre, fur les points descon-l
noiffances les plus importantes , je demanderai]
comment il fe fait qu’en matière d’art, d’imita-j
tion & de goût, on mette aufli hardiment leurs
opinions & leurs pratiques, en rivalité d’oppofition |
avec les opinions & les pratiqués de l ’Europe.
Mais il n’eft peut-être pas d’objet où l’obfem-l
tion, la culture & le développement des facultés I
morales foient plus néceffaires , pour arriver à la I
vérité, que celui dont il eft ici queftion. Moins il y I
a en ce genre de faits palpables, de principesl
évidens, & de méthodes uniquement tributaires I
de l’expérience des fens, plus il devient indifpen-1
fable d’appeler au fecours du fentiment & de l’inia-
gin a tion , ces recherches profondes d’une théorie I
fondée fur la connoiffance du coeur humain, far
l’étude des impreffions que notre ame reçoit des
.objets extérieurs. O r , cette théoiûe qui s’acquiert,
foit parla multitude des parallèles que l’arlifte eft |
à même de faire , dans une pratique libre & indépendante
de fon art, foit par la difcuffion philo-j
fophique des élémens abftraits de l’imitation,celte
théorie, d is-je, réfulte du plus haut degré de culture
de l’efprit, chez les peuples qui peuvent s J |
adonner.
Il fuffit d’en parler, pour fe convaincre que]
jamais , ni la pratique , ni la philofophie des arts
n’ont pu faire , je ne dis pas naître , mais meme
foupçonner une femblable théorie , parmi les nations
dont on prétend oppofer le goût, en fai*
d’imitation, à celui de l’Europe moderne. Dès-lot*
le parallèle eft effèntiellement défectueux , & il fl*
par conféquent inadmiflible fous le point de vue
: dont je parle. .
On prouveroit encore, par l’état où font le
arts d’imitation, & par celui où ils ont toujours C
, chez les. peuples de l’Afie, que jamais la cultur®
I R R
J l'pfnrit humain n’y a fait un pas dans ce genre.
Ü 1 eft cet M ? c'eft l’état de ronUne; fe
r îelfns il n’y a lieu à aucun doute. Tout le
rmde fait que la perfévérance dans les memes
• C e s , les mêmes pratiques, les memes pro-
'rlés eft le caractère le plus certainement diftinc-
Ü 1 ouvrages de ces peuples. L’efprit de routine
i précifément le contraire de le fpnt dobleiva-
H K qui tend à pe>*aionn.el; le.s faca.l*es de
§ M I Là où règne la routine, les artifjes M
fort rien en vertu d’un choix libre & raifonné.
Là OÙ il n’y a ni liberté de choiür, ni liberté de
raifonner, tout relie fubordonné à linftincl.
s; ces 'chofes font avouées de tout le monde,
cae devient le parallèle des deux goûts g bi le goût
Irrégulier appartient aux peuples dont les facultés
n'ort point encore été développées, dont 1 efpnt
„'a pas reçu une culture entière, & dont la manière
de procéder, en fait d imitation , eft reliée
enchaînée par la routine dans les liens de ce
m’ôn appelle fimplement 1 Urffhnât , n elt-il-pas
viGble, lorfque des caufes contraires s accordent
Pfcheréëiix qui profeffent le goût régulier, avec des |
faits 8t des réfultats également oppolés, que le
[ point de la difmffion, fur cette matière, a toupets
été mal pJfé, 8c que toute conteftation lur
le point dont il s’agit eft oifenfè .
Ces chofes avouées, on fera peut-être forcé de
[ convenir aufli que toutes les opinions foit lur le
beau relatif, foit furies deux genres de beau, loit
; fur tout autre fyftème de conciliation entre les
deux goûts , manquent d’appui 8c portent a lam ,
puifquè là où.iltf&fauroit exifter de parité, il ett
I fupertlu de chercher à établir un équilibre.
I Mais, dit-on, en accordant ce réfultat, encore
relteykl à chercher la raifondfe.cette permanence
I de goût chez les peuples de l’Afie; 8c s il reftoit
prouvé, que cette inclination confiante pour 1 înu-
j’ talion: du genre irrégulier, fut 1 effet de certaines
I Caides, qui feroient eifentiellement liëesà lanattire
l des chofes daiis ces. pays, encore faudroit-il bien
I avorter qu’un goût auquel 1 elprit humain ieioit
|.foi'ti: de fe plier, auroit quelque droit de palier
pour être naturel.
A cela je répondrai que fi la nature des chofes
I a placé, dans certains pays, des obftacles invincibles
âu développement des facultés morales ne-
ceflaires au fuccès des divers genres d art &. de I fcience, l’état de la queftion prélente ne le trouve
I par-là aucunement changé. Il y a aulli des pays
[ où les facultés phyfiques ne fauroient acquérir
leur perfeêtion. Qu’en conclure ? Rien autre choie,
finoii que la nature a voulu, qu’il y eut des etres
incomplets. Et à cet égard, pourquoi trouveroit- I ou extraordinaire dans l’efpèce humaine , ce qui I a lieu dans toutes les efpèçes de la création . 8c ii
I . les facultés phyfiques fe trouvent modifiées, e-
rangées &. comprimées par tant de caufes connues, I quelle railbn y auroit-il d’excepler de cette iujeï
R R 79
tion les facultés morales , qu’on fait etre dans une
corrélation néceffaii’e avec les premières .
Ce peut donc être une queftion de philofophie
morale & fpéculative , que celle qui tendroit à
| exa.min.er 4 , comment , & jufqurà quel point .la
nature a été plus ou moins avare ou libérale de
fes dons envers un certain nombre de créatures;
de quelle manière „ce qui nous paroit un défordre ,
entre dans l’ordre du Créateur; par quels moyens
s’opèrent les couipenfalions qui peuvent rétablir
une forte de jullice de fa part, ou une efpèce d é-
galité de bonheur entre les êtres. Mais cette quef-
tion ne touche point à mon fujet. Y a-t-il des
peuples condamnés .par la nature à ne _ pouvoir
jamais acquérir, foit le complément, loit 1 équilibre
des facultés morales, d’ où réfulte la perfection
de l ’efprit ? Je réponds que je n’eu.fais rien ,
que perfonne ne le fait, St que cette queftion réitéra
long-temps fans, lqlnlion. Mais y a-t-il des
peuples qui, depuis un grand nombre de.fièeles ,
foient reftés dans un état d’imperfeclion par le défaut
d une culture faffilante , fur plufienrs parties
des fciences 8t des arts ? Je réponds qu’ouï. J a-
joute. que tout le monde eft forcé d avouer 1 e jle t,
quelle qn’enfoitla caufe, 8ique cet effet ellla feule
' ciiofe dont il puiffe être ici.queftion.
Or cet effet eft reconnu à l’égard des peuples
qui font profeflion du goût irrégulier y 8c cela fuffit
pour détruire par leur bafe, tous, les fyftèmes 8t
toutes les opinions qui tendent, foit à rendre
l’idée du beau douteufe , parce qu’il y a divifion
de fentiment entre les peuples de l’Afie 8t ceux
de l’Europe fur ce point, foit à établir deux
beaux oppofés, parce , que des nations entières
opèretit dans l’imitation, par des moyens 8i des procédés'contradiftoires.
Aiufi, tant qu’on ne parviendra pas a nous prouver
que les peuples de i’Afie moderne, par exemple,
c’eft-à-dire, ceux fur lefquels j ’ai fixé ic i
Vépreuve à faire, font arrivés an même degré de
culture dans les fciences 8t dans les arts de le l-
prit, que les peuples; de l’Europe moderne, leur
autorité en fait de goût ,, d’art 8t d’imitation,
qaei que lmt-leur nombre, ne pourra, etre dancnn
poids dans la balance de la raifon : 8t elle ne
devra pas plus pefer, que celle du grand nombre
des hommes incultes, dont le jugement elt nul en
fait de goût, 8t dont on ne compte jamais les lutfiaOue
fi l’on veut répéter celte épreuve, tant fqr
beaucoup de peuples 8c de fiècles pâlies , que fur
un erand nombre d'époques 8t de nations plus
récentes, je penfe qu’on fe confirmera de plus en
olus dans l’opinion, que tousces parallèles peçhent
par le même principe. Je veux d.re qu on ne
citera ni une époque, m une nation, ou le gopt
irrégulier ait été profefle universellement , 8t ou
la culture de l ’efprit humain ait été portée au
même point qu’aux époques, 81 chez les,peuple#
i où »régné le .goût régulier, . d #