
Cette qualité fe fait fentir auffi dans les oeuvres
de la nature. Il y a des phyfionomies fans effet ; ce
font celles qui, malgré la jégularité des traits, la
beauté du teint, manquent, foit dans les yeux, foit
dans la couleur , foit dans l ’air , d’une certaine
vivacité qui donne à la figure de l ’expreffion , de
l’ame au regard , & une forte d’éloquence à la
beauté.
L ’effet eft une qualité précieufe & indifpenfable
du payfage. Il y a de belles vues qui n’attirent
point les regards. I l y a de beaux fîtes que le
peintre néglige ; ce font ceux où il règne peu de con-
trafle dans les formes, dans les maffes de verdure.
Mais le manque d'effet en ce genre, tient ordinairement
au manque ou à l’ uniformité de lumière. Il
n’y a point d'effet dans un payfage, fans foleil ; &
il n’y en a pas non plus, quand le foleil eft d’aplomb.
C ’eft: l'oppofition des ombres & des clairs qui y produit
l'effet.
Quoiqu’on puiffe faire en général de l'effet en
peinture fans ces contraftes prononcés, & qu’il y ait
même plus de talent à en produire, fans avoir recours
à ces refîources bannales, cependant un peintre qui
s’adonneroit au genre des tableaux proprement dits
à effets emprunteroit toujours fes motifs, des fujets
dont les contraftes d’ombres & de lumières font né-
ceffairement partie. Tels font les fujets de nuit, où
les perfonnages font éclairés par des lumières ou
par des feux.
T ou t ceci n’eft dit que pour expliquer la nature
de cette qualité qu’on appelle effet.
I/architeéfure a auffi ƒ on genre d'effet, fa manière
de produire de l'effet. A la confidérer fous un de fes
rapports abftraits , comme un aflemblage de pleins
& de vides, & comme un compofé de parties liftes
& de parties Taillantes, on comprend qu’il y a bien
des manières de réunir ces contraires, & qu’il doit y
en avoir qui les fafle reflortir plus ou moins avan-
tageufement. C ’eft dans la meilleure manière de les
combiner, de façon à arrêter agréablement la vue,
que confifte l’art de produire de l’effet en architeâure.
L’architeâure, comme beaucoup de parties de la
nature, tire fa valeur & fa propriété vifuelle de la
lumière & des accidens de cette lumière. Ainfi l’ar-
ehiteclure reçoit une grande partie de fon effet des
contraftes qui s’y trouvent opérés par les ombres &
les clairs. Une maffe uniforme, fans aucun vide, &
fans aucune faillie, ne produit aucun effet; c’eft un
mur lifte, ou c’eft une pyramide. Auffi l’ennui qui
naît de l'uniformité, fait promptement détourner
les yeux , pour chercher ailleurs cette variété dont
l’ame a befoin. Les pyramides de l’Égypte étcnnent
par la penfée plus que dans la réalité. Lorfqu’on a
fupputé tout ce que cela a dû coûter à faire, & calculé
tout ce que cela doit durer, il n’y a plus rien
qui arrête. Ce feroit, je penfe, une épreuve affez
pénible, que d’être condamné à avoir Ion g-temps
pour point de vue une telle conffcru&ion, qui vous
dit fout du premier coup, où l ’on a tout vu du premier
afpeft, tandis que celui qui habiteroiî vis-à-yis
la colonnade de Sf.-Pierre , le portique du panJ
théon, ou le périftyle du L ouv re, pourroit tous
les jours faire des obfervàtions nouvelles, & niêmç
après vingt ans, s’apercevroit encore, qu’il n’a pas
tout v u , ou qu’il n’a pas bien vu encore tout ce
qu’il y a à y voir.
11 y a dans l’architeâure un effet qui tient à la dif.
pofition. Il y en a un qui tient à l ’exécution.
L'effet produit par la difpofition eft particulièrement
celui qui réfulte de l’emploi des colonnes.
M. le Roy a parfaitement démontré le principe de
cette différence d’impreffions que nous fait éprouver
une façade en pilaftres, ou une façade en colonnes
éloignées du mur. « Cette impreffion, dit-il, s’augmente
par les fenfations feules que nous recevons
de tous les objets & de tous les effets de lumière
que la profondeur d’un portique nous préfente ».
Ce n’eft pas, félon lui, la grandeur de la mafte d’un
édifice qui en détermine l'effet. En effet, notre ame
eft plus fortement affe&ée à l’afjpeâ: du frontifpice
du Panthéon, qu’elle ne l’eft à la vue de celui de
S11"-Pierre de Rome, quoique dans cette bafilique
les.colonnes du portail foient cependant confidéra-
blement plus grofles & plus grandes. Mais la différence
provient de ce qu’étant engagées dans le mur,
les colonnes de S*.-Pierre ne nous donnent aucun
des effets frappans qui naiffent de la profondeur dans
les périftyles.
La théorie de l'effet produit par l’emploi des colonnes
a été fi bien donnée par M. le R o y , que je
ne puis m’empêcher de la tranfcrireici.
« L’architeâure eft douée , dit cet écrivain, de
la double propriété d’offrir, comme la peinture,
des tableaux immobiles & qui ne changent point,
& auffi comme la poëfie, une fucceffion de tableaux
variés. Confidérons, par exemple , deux façades,
l’une compofée de colonnes qui touchent au mur,
l’autre formée par des colonnes qui en font affez
éloignées pour qu’elles faflent périftyle, & fuppo-
fons encore que les entrecolonnemens dans l’un &
l’autre cas foient égaux & décorés de même, on ob-
fervera dans la dernière façade une beauté réelle
dont l’autre fera privée, & qui réfultera uniquement
des différens afpeéte , ou des tableaux variés
& frappans que fes colonnes préfenteront au fpefia-
teur, en fe projetant fur le fond du périftyle qu’elles
forment. Une comparaifon très-générale va faire
fentir ce que j’ avance ici. »
« Si vous vous promenez dans un jardin, a
quelque diftance , & le long d’une rangée d’arbres
plantés régulièrement, dont tous les troncs touche-
roient un mur percé d’arcades; lafituation refpec-
tive des arbres avec ces arcades ne vous paroitra
changer que d’une manière très-infenfible, & votre
ame n’éprouvera aucune fenfation nouvelle, quoique
vous ayez eu toujours les yeux fixés fur les arbres
& fur les ouvertures du mur, & qu’èn marchant,
vous ayez parcouru a fiez vite un efpace confiée'
r â b le . Mais fi cette rangée d’arbres eft éloignée du
mur 3 eu vous promenant de même , vous jouirez
foeftacle nouveau, par les différens efpaces du
d’un
mur que
i___u .« les arbres rpsaorrooîîtf'rronnntt,. àà cchhaaaquuee ppaass qquuee
.serrez couvrir fucceffivement. »
V°a Tantôt vous verrez les arbres divifer les arcades
en deux parties égales, un inftant après les
couper inégalement , ou les latffer entièrement a
découvert, & ne cacher que leurs intervalles. St
vous vous approchez, ou que vous vous éloigniez
ie ces arbres, le mur vous paroura monter juiqu a
h nailfance de leurs branches, ou couper leurs troncs
à des hauteurs différentes. Ainfi, quoique nous
avons fuppofé le mur décoré régulièrement, 6c les
arbres également éloignés , la première des décorations
femblera immobile, pendant que l’autre, au
contraire , s’animant, en quelque forte, par le mouvement
du fpe&ateur, lui préfentera une fucceliion
de vues très-variées qui réfulteront de la combinai-
fon infinie qu’il fe procure des objets fimples qui
produifent xes vues. »
« Ces effets oppofés qui réfultent uniquement des
différentes pofitions d’une rangée d’arbres, par rapport
à un mur percé d’arcades , nous repréfentent
le contrafte frappant que nous avons voulu faire
fentir, & qui feroit entre la décoration monotone
produite par des colonnes qui toucheroient un mur
décoré, 8c la riche variété qui réfulteroit de celles
qui formeroient périftyle. »
« Qu’on fuppofe en effet dans le premier cas les
entrecolonnes ornés de niches, de figures, de bas-
reliefs , toute la richeffe qu’on aura prodiguée dans
cette décoration, né changeant que très-peu à notre
vue, malgré les efforts que nous ferons pour la confidérer
fous différens afpeéls, nous fera bientôt abandonner
un fpe&acle où l’ame ayant tout vu dans un
inftant, cherche en vain de nouveaux objets quifa-
tisfaffent fon activité. Dans le fécond cas au contraire
, la magnificence des plafonds, ajoutée à celle
nouveaux afpe&s dans la décoration des pilaftres
qu’on y v o it , 8c dont les intervalles font^divif 8 a
peu près comme ceux des colonnes, on n y obfer-
vera jamais que la même décoration froide & monotone,
du fond du périftyle , fe reproduira en quelque
forte à chaque inftant ; elle fe préfentera fous mille
faces diverfes aux yeux du fpeéfcateur, & le récom-
penfera des efforts qu’il fera pour trouver tous les
points de vue du périftyle, en lui offrant fans cefle
de nouvelles beautés. »
« Pour mieux nous former une idée des différens
effets que produifent les périftyles, & de leur fu-
périorité fur les décorations qui ne font compofées
que de pilaftres, confidérons le périftyle du Louvre,
éloignons-nous-en, pour en faifir Tenfemble, approchons
nous en allez près , pour découvrir la
richeffe de fon plafond, de fes niches, de fes médaillons;
faififfons le moment où le foleil y produit
encore des effets plus piquans, en faifant briller du
plus vif éclat quelques-unes de fes parties,tandis
que d’autres , couvertes d’ombres , les feront
reflortir. Combien la magnificence du fond de ce
périftyle, combinée de mille façons différentes avec
le contour agréable des colonnes qui font devant,
& avec la manière dont il eft éclairé, ne nous offriront
ils pas de tableaux enchanteurs. »
* Qu’on s’efforce de même de découvrir de
8c que la vive lumière du foleil qui anime toute
la nature -, ne change prefque pas. »
« Non-feulement le fpe&ateur n’épuifera pas en
quelques heures les tableaux que^ le périftyle du
Louvre pourra lui offrir , mais même les différens
momens de la journée lui en offriront de nouveaux.
Chaque nouvelle fituation du foleil y fera répondre
les ombres des colonnes à différentes partie* du
fond, comme chaque hauteur différente de cet aftre
les fera élever ou abaiffer plus ou moins fur le fond
dp ce périftyle. » ' . A
« Cette dernière variété qui naît, dans les penl-
tyles, des effets de la lumière, fuffit prefque, quand
fitués heureufement, ils font encore bâtis dans de
beaux climats. Alors éclairés par le foleil pendant
prefque toutes les heures du jour, il eft moins ne-
ceftaire de foutenir l’attention du fpeétaçeur, en décorant
richement leurs fonds. » . ,
’ Le même auteur fait voir comment 1 effet qui refaite
de l ’emploi des colonnes 8c des maffes en archi-
' te&ure, dépend d’ un certain milieu à garder entre
le trop de fimplicité 8c le trop de variété. Suppo-
fons, parexemple, l’ intérieur du Panthéon a Rome,
divifé en un grand nombre de chapelles , qu on ne
puiffe voir que l’ une après l’autre, & fon Irontil-
pice compofé de plufieurs petits ordres , 1 intérieur
ne nous donnera qu’ un grand nombre de leniations
foibles dans un inftant. Supposons maintenant que
toute la furface de ce frontifpice fut un mur lifte,
fans aucune décoration, & où il y eut-feulement au
milieu une porte fort petite , la vue de cette ur ace
ne nous affe&eroit certainement pas, a beaucoup
près, d’une manière auffi forte que la vue de cette
même furface divifée par huit colonnes, & par tout
ce qu’on découvre au travers des fept intervalles
qui les féparent ; d’où il paroît prouve que la décoration
du portique du Panthéon perdroit de ion effet,
fi, en multipliant trop les parties qui la compofent,
on les rendoit plus petites, & qu’elle le perdroit en
entier, fi on diminuoit confidérablement le nombre
de ces parties. . j" , A
Les grands effets de l’architeaure tiennent donc a
un emploi riche , mais mefuré des reffources de cet
art. Les Gothiques, qui dans leurs frontifpices ont
multiplié à l’excès tous les détails, ont manqué tou- .
jours l’effet, en allant au-delà , comme les Egyptiens
dans les façades de leurs temples, ou il ne règne
aucune divifion ni aucun détail, n’ont lu y arriver ,
& font reliés en-deçà. T ro p , comme trop peu de
divifion nuit à l'efet. Les diviüons font ce qui tait
bien voir un objet. Le trop donne de la^tigue■ *
l’ame, le trop peu ne lui donne pas de delir. Ur II
! l’effet eft cette qualité dont le propre eft d amorcer,
en quelque forte, l ’oeil du fpeftateur, & de lui faire
trouver du plaifir à v oir , l ’e#« ne te trouve m dans
1 l’excès, ni dans l’abfence des details.
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