
à la qualité des alimens, qui ne peuvent fe Comparer
de pays à pays. L’exceffive population de la
Chine , qui paroît mieux prouvée aujourd’hui que
jamais, eft une induétion en faveur de l’ancienne
population de l’Egypte, & ferviroit à l’expliquer -,
en dépit de tous les calculs géométriques. Qui pour-
roit calculer le nombre de ceux qui vivoient fur le
Nil & fur les canaux, comme cela fe pratique encore
aujourd’hui. Il dut y avoir en Egypte, comme
aujourd’hui en Chine, une furabondance de population
; & c’étoit fans doute cet excédent qü’on em-
ployoit à la conftruSion des travaux publics.
On y appliquoit auffi les peuples que le droit
de la guerre avoit rendu efclàvesp cela èft conforme
aux ufages de l’antiquité, & à l’autorité de la
Bible. Séfoftris, nous dit Hérodote ( /. 2 , c. 108 ) ,
employa aux grands ouvrages qu’il fit, les captifs
qu’il avoit amenés de fes expéditions , & afin que
la poftérité ne l ’ignorât pas , il eut foin de faire
graver fur tous ces monqmens, qu’aucun naturel
du pays n’y avoit mis la main. Les ouvriers d’ailleurs',
félon le même Hérodote (/. 2 , c. 125 ) ,-ne
receÿoient d’autre' paye que la nourriture. Dès lors
la mdin-d’oeuvire de tous ces travaux étoit moins
difpendieüfe qu’cm ne fe le figure , & furtout incomparablement
moins qu’elle ne le fer oit de nos
jours.
Soin de la fépulture.
Les monumens qui fatisfaifoient davantage l ’ambition
des monarques égyptiens, étoient leurs tombeaux.
IS a r ch ite c tu r e é g y p tie n n e eft fi peu connue,
& les voyageurs ont eu fi peu le temps d’en approfondir
le goût ÔC les caràéfères, qu’on ne fauroit
affirmer fi, parmi tant de débris, il en exifte qui
foient des reftes de palais. Les feuls fragmens d’édifice
qui n'aient pas été à leurs yeux des reftes de
temples ou de tombeaux, font, a Memphis, ceux
de ce qu’ils ont appelé le Labyrinthe, ÔC à Thèbes
Ceux du prétendu Memnonium. Au refte les deferip-
tions des auteurs anciens gardent le même filence
fur les- palais d’Egypte. Nous favons par eux que
Memnon en eût un célèbre à Abyflus, mais nui détail
ne nous en a..été tranfmis.
G’étoit, félon Diodore de Sicile, à fe conftruire
des tombeaux magnifiques que les rois d’Egypte
employoient ces fouîmes imnaenfès qu’ailleurs les
autres rois cônfacrent à la conftruétion de leurs
palais. Us ne penfoient pas, dit-il, que la fragilité
du corps pendant fa v ie , méritât de lolides habitations.
Ils ne regardoient le palais des rois que comme
une hôtellerie qui ?.ppartenoit fucceffivement à tous,
& ou chacun ne logéoit qu’un jour. Mais leurs tombeaux,
ils les envifagéoient comme leurs véritables
palais, comme leur demeure à eux particulière,
fixe, perpétuelle. Auffi n’épargnoient-ils rien pour
rendre indeftru&ibles des monumens qui dévoient
être les dépofitaires éternels de leur corps ôc de leur
mémoire. H n’eft pas de notre fujet fie rechercher queUe
forte d’opinion*, ou quel genre de croyance àVoit
établi en Egypte le foin de la fépulture, & fi l’on
peut dire, la paffion des tombeaux, au point d’en
faire prefque le premier foin & la première paffion
de la vie. Pline fe mocque de la vanité de ces rois;
mais Pline en parle comme parlent trop fouvent
les philofophes de toutes les pratiques, dont la rai-
• fon eft oubliée ou perdue pour eux. Il eft plus que
probable que d’auffi.grandes.chofes ne fe.font pas,
fans qu’elles aient pour bafe une opinion dominante
& facrée dans un pays, & une t e lle opinion tient
à d’innombrables racines, auffi difficiles à fouiller
que le coeur humain Peft à expliquer ou à pénétrer.
Les foins que prenoient les propriétaires de ces
tombeaux, pour dérober leur corps à la violation,,
ou de leurs ennemis , ou du temps , le grand ennemi
i de tout ce qui v it , ne fe conçoivent bien qu’en li-
;■ Tant la defeription de l’intérieur de la grande pyra-,
mide , par M. de M a ille t . C ’eft là qu’on v o it avec
' quel art la conftruâion en avoit été com b in ée,
pour qu’on ne pût jamais retrouver la route qui
condüifoit à la chambre fépulchrale. On ignoroit
> dans quelle chambre de fon tombeau rep o fo it le
roi Ofimanduas, ÔC l’infcription qui y étoit , por-
toit : Si quelqu'un veut ƒavoir où je repofe, il faut
q u il détruife-quelqu’un de ces ouvrages.
On a été jufqu’à foupçonner que les pyramides
n? étoient que d’immerifes cénotaphes, & que les
corps des rois étoient dans quelque lieu voifin &
fouterrain ; enfin que ces maffes n’étôientraites
que pour donner le change fur l’endroit qu occuperont
leur corps , & faire de cet endroit un
énigme impénétrable. D ’autres écrivain*, je le
fais , ont prétendu que les pyramides n’étoient pas
des tombeaux , ÔC leur ont imaginé certaines defti-
nations myftiques ou aftronomiques. Ces opinions
font démenties par trop de faits, d’autorites, de
vraifemblances, pour qu’on s’arrête, furtout ici, à
les combattre. Quand les pyramides n’eu fient pas
renfermé les corps des rois , & en fuppofant qu ils.
euffent été cachés dans quelque lieu voifin ou 1 on
efpéroit qu’une main ennemie n’iroit pas les décou-,
vrir, ces monumens n’auroient pas été moins pour
cela des monumens fépulchraux, la fépulture des rois
m'eut pas ceffé d’être pour cela, finon leur objet,
au moins leur fujet. Ils n’en feroient pas moins
l’effet direél des opinions religieufes , ce reffort
partout fi puiffant, ce principe fi fécond des arts
de de l’architeâure.
Le culte de la divinité.
La religion égyptienne devoit produire, &
duifit en effet un grand nombre de temples. On
n’oferoit dire qu’elle fût auffi féconde en ce genr®
que celle des Grecs, oh le polythéifme, pouffé juh
qu’à l’exceffive prodigalité, enfantoit chaque joj^
des dieux auxquels il falloit des autels & des temp es
nouveaux. La religion grecque n’avoit ni doctrine
fixe, ai dogmes arrêtés, ni iaçerdoce confthuéjj*
tiérarchîe, ni organifation : compofé anarchique de
"L e s fortes de’ croyances &.de cultes, elle laiffoit
'chacun la liberté d’introduire ou d’enfanter de
nouveaux dieux. En Egypte la religion eut un M
cerdoce puiffant, des rites invariables. Soumtle
dans fes : cérémonies, dans fes lignes extérieurs,
dans toutes fes formes, à une direafon my ftérieufe , i ei|e „e permit pas à l’imagination des artiftes. de
combiner, de multiplier, ou de modifier à fon gré
l ui les temples , ni leurs allégories.
t II paroît que félonX ufage des-peuples de l’Orient,
[ chaque ville avoit fon temple , & fouvent n’en
L„mt ou’un. Cet ufage dut contribuer à les rendre
tone de toutes les décorations , puifqu’elle confifte
toujours en hiéroglyphes.
Au refte, la liaifon de l’archite&ure avec les
opinions religièufes ne fut peut-être nulle part plus
fenfible qu’en Egypte; ôt comme cet art dans,fes
conceptions, ainfi que dans fes moyens d’exécution ,
dépend particulièrement auffi des autres arts d imitation
, il faut faire voir quelle fut fur eux l’influence
de la religion, 6c quelle fut fur elle.I influence
de ces arts.
De l'influence des arts d'imitation fur V architecture.
avoit qu .. w .
& plus grands, 6c plus folides, 6c plus riches. La
grande autorité des prêtres fut encore une des
cjufes de leur magnificence. Là oh le facerdoce èft
puiffant, les temples font fplendides.
r Tout dans les temples de l’Egypte refpire le
myftère qui fut la bafe de fa religion, 6c qui doit
1 l’être de toute religion ; car la religion a pour objet
principal d’empêcher l’homme de chercher ce qu’il
1 ne trouvera jamais. C ’eft l’antidote à la curiofité ,
cette paffion de l’humanité ,^dont les effets font fa-
lutaires lorfqu’elle fe borne à la découverte des
I chofes qui font à fa portée, mais fléau le plus ter-
1 rible de tous, lorfque l’orgiieil qui en eft le principe,
fe révolte contre fa propre fpibleffe, 6c dans l'im-
I puiffant dépit de découvrir la vérité, brife tous les
I remparts que la fageffe des temps avoit élevés entre
1 l’homme & le néant. Le myftère qui fut la bafe du
I culte de 1 Egypte, eft empreint dans tous les mo-
[ numens de les arts..
C’ell d’Egypte que vinrent ces fameux myftères
I qui furent tranfportés dans, les autres religions. Ce
i fut dans les ténèbres de fes fouterrains que prirent
I naiffance ces initiations dont le fecret étoit la
|~>première loi. Le fecret', feus la forme ^d’Harpo-
I crate, y fut déifié. Les fphinx qui décoroient l’en-
I trée des temples , fignifioient , iélon Plurarque (de
I Jfide ) , que la théologie égytienne étoit myftérieufe
■ & emblématique. Des p'ortes nombreùfes fermoient
I de nombreux veftibules qui fe fucçéd.oient les uns
I aux autres, 6c ne laiffbient apercevoir que dans le
I lointain le véritable temple. : Celui-ci , dont on
I napprochoit point, n’étoit qu’un bâtiment fort peu
I étendu 011 étoit l’animal facré qu’on y entretenoit
I en vie , ou dont pn y voyoit le fimulacre. Là , en-
I core plus qu’en Grèce, les acceffoires du temple
I formoient la partie principale'de fa conftruâion , 6c
I le corps même du temple en étoit la plus petite por-
! bon. C’etoit dans les galeries, les portiques, les
I Veftibules 6c les habitations des, prêtres que çon-
|. fiftoit prefque toute l’étendue de lçuçs mafies.
i Sauf quelques variétés dans les plans des temples,
% 6c des différences que le plUs ou le moins de dégra-
I dation fgmble y avoir occafionnées,on obferve dans
I tous un caraéfcère femblable, ôc la plus grande uni-
K tormite, foit dans leurs fronrifpices9 foit dans leur! I P0rtl<lu®s » foit dans leurs -formes générales, foit
I »ans lçs details de lçur décoration, la plus mono-
Diftion. Ü'Arc hit. Tome IL
Les arts d’imitation, tels que la peinture 6c la
fculpture, ont, avec l’art de bâtir, des rapports,
direéis que tout le monde connoît, 6t ils en ont
encpre de moins aperçus qui font plus impor-
tans à connoître. Ce n’eft pas feulement en effet
de Amples reffources d’embelliffement que l’ar-
chiteâure emprunté de ces arts. Elle leur doit, ce
qui. eft beaucoup plus, les règles du goût, les principes
de fa beauté, les lois de fes proportions, les
convenances de cara&ère , 6c une multitude d’analogies
piécieufes qui feules en ont fait un art, 6c
fur tout un art d’imitation. Nous avons dit plus
d’une fois- que lorfque la nature eft le modèle
de l'architecture , c’eft moins parce qu’elle lui a
fourni, dans les premières habitations du befoin , un
fujet d’imitation, que parce qu’elle lui préfente à
imiter ces grands principes d’harmonie , ^de pro-,
portion, d’effet ôc de beauté empreints-dans fes
ouvrages , & que cet art peut .s’approprier auffi
comme-tous les autres. Mais ces principes ne reçoivent
pour elle d’application vraiment fenfible que
dans l’imitation que les arts du deffin font du corps
humain. C’eft-là que s’apprennent les nuances Ôt
les modifications des proportions. C ’ell dans les
cara&ères fi variés de la nature que l ’arcbiteâure
peut puifer ces variétés de ton , ces graduations de
mode, ces tempéramens légers qui parviennent à
lui donner l’efficacité du langage, la vivacité d’une
poéfie ou d’une mufique oculaire. A la perfeftioii
du mécanifme même de la fculpture fe lie la belle
exécution de l ’archite&ure q u i , fous un certain
rapport matériel, n’eft autre chofe qu'une production
fculpturale. L a beauté de l’architeâure s’eft
toujours trouvée en chaque pays dans un rapport
exaél avec l’habileté du cizeau. Il y a mille raifons
très-fubtiles à rendre de ce fait. Mais les faits qui
valent m,ieux que toutes les raifons prouvent avec
évidence que l ’état de l’archite&ure eft toujours
tel que celui des arts d’imitation qui l’accompagnent.
Etat des arts d'imitation en Egypte.
Il paroît que ce que nous regardons avec l'indifférence
de l’habitude, c’tft-à-dire , l ’imitation vraie de
la nature,imitation due exciufivement ait génie des
Grecs eft un de ces fruits dont le développement de-
vroftpaftêr plutôt pour unprodige quepour un effet
O o