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haineufes, forcées au facrifice de ce que l’homme a
de plus cher , l ’opinion de fa fupériorité , & condamnées
au tourment de ■ préparer le triomphe dé
fou ennemi. D ’ailleurs-, l’inconvénient de cettë efpèce
de jugement confifte fur-tout ; dans la facilité que
quelques intrigans auroient de fe ménager des
v o ix , foit en défintéreffant une partie des concur-
rens , foit en faifant participer, au concours", ; des
hommes qui ne fe feroient: combattans , que pour
acquérir le droit-d’ être juges de la vi&oire, 8c.de
faire pencher, la-balance du coté de leur favori.
Et quon ne fuppofe pas à ceux qui exercent les
arts, cstte générofité romanefque dont quelques-
uns voudroient fe vanter, &- que l’expériepce de
tous les fiècles ne permet: pas de croire poffible :
D ’abord, lorfqu’on calcule juoe inftitution, on ne
doit mettre en compte, que les .parlions des hommes ;
& puis, fi, dans les concours, il n’et oi t queftion
que d’adjuger des prix d'honneur , il pourroit être
permis de fe fier, outre mefure , à ces beaux fen-
timens , dont je ne nie pas que les hommes d’un
grand talent fur-toüt, font fufceptibles ; mais doublions
pas que le concours doit avoir N pour objet
l ’adjudication des ouvrages publics. Et de ce. nombre
feront des entreprifes lucratives en peinture-8c
en fculpture , 8c fur-tout les édifices publics,- dont
l'exécution ne peut qu’éveiller-au plus-haut degré
l ’intérêt & la cupidité.
Comment fe garder, dans un concours illimité
pour -le nombre , & qui doit avoir pour juges- fe s
propres eoncurrens, de ces affoeiations d’intêrefles j
q ui, défefpérant chacun en particulier d’obtenir lé
lot du mérite, mettront en commun leurs chances,
& fe réuniront fur un objet dévoué à leurs.com-
binaifons, pour fe partager enfuite le fruit de l’en-
treprife ? comment échapper aux fpéculatiens de
celui qui /aura ajouter .aux voix qui .pourroient
lui être légitimement acquifes dans le jugement,
celles de tous les eoncurrens dont il auroit d’avance
façonné les ouvrages , ou flatté les^-efpérances !
Avec quelle défaveur ne. parcitroit pas dans une
femblahle lutte l ’homme ifo lé , .fans! autre reffpqrce
que celle de fon talent , çontre des rivaux qjii t u toient
fu calculer toutes les chances du jeu ,
& qui arriveroient entourés de tant de moyens de
fraude. Ignore- tr-on que, dans l’exercice des arts,
fur - tout dans l’arc.hiteéturé , tel compte un
grand nombre d’élèves 8c de fujets de tout genre,
liés à lui par la reconnoiffance & l’efpérance ,
lorfquc tel autre, par la nature de Tes études &
de fes entreprifes, ou par le peu d’oeeafions favorables
, n’a jamais pu avoir ni projeteurs ni pro-
tégés. Le jugement par les eoncurrens ne feroit
donc, comme on le vo it, qu’un jeu d’intrigues ,
dont le vrai talent n’oferoit approcher , & ce jugement
feroit ordinairement line infulte faite à la
juftrçe.
Il n’eft pas plus aifé de découvrir la manière de
procurer aux concurrent des juges irréeufables , fi
te choix leur eft donné : mêmes difficultés que
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les précédentes': les mêmes intrigues , les mêmes
calculs d’intétêts & de fpécûlation agiront &. fe
concerteront' dans l’életiôn des juges , pu il que
d’eux dépendra le fuccès des combinaifôns dont on
a parlé. Ajoutons que dans l’hypothèfe d’un concours
illimité pour le nombre des eoncurrens , ou bien
lès plus habiles artiftès auront refufé d’y combattre ;
comme on l ’a vu , l ’objet du concours eft manqué
j ôu ils feront partie des concurrent, & alors4
comment trouver des juges, fi on ne peut plus les
prendre parmi les plus babiles.
Infailliblement le talent doit être la première
de toutes les , conditions requifes pour être juge,
des produirions des artiftès ; mais en iuppofaïit que
hors du concours il y ait encore des hommes du
premier talent, qui les nommera ; car ce choix
à faire fuppofe auffi des conno.iffances , le goût-du
beau & du vrai 8c un fentiment éclairé. Tout ceci
reffemblecomme on le v o it , à une perpétuelle
pétition de principes.
Le concours a pour objet principal d’ôter aux
ignorans le choix des artiftès qui font chargés des
travaux publics , 8c d’empêcher qiie l ’intrigue
n’ufurpe les. travaux dûs au talent. Il faut
donc. d’une part .que Tes artiftès ne puiffent
point intriguer, 8c de l’autre que les ignorans ne
puiffent pas choifir ; mais fi les artiftès fe jugent,
ou fe nomment des juges , voilà l’intrigue qui
s’agite de plus belle , 8c s’ils ne fe jugent pas ,
ou ne nomment pas leurs juges, voilà l’ignorance
qui de nouveau influe fur les choix.
Je n’ai point encore parlé de la difficulté de
juger, & de tout l’arbitraire auquel de tels jugé-
rriens feroient méceffairetnent fournis-}■ & d’abord
le coricours auroit moins pour objet de prononcer
fur les talents relatifs des artiftès que fur le
mérite des efquiffës qui concouraient pour l’adjudication
d’un ouvrage : voilà la plus grande difficulté.
-
Et prenons pour exemple les ouvrages d’un art
dans lequel il n’eft poffible de concourir que fur
dés efquiffes ; je parle’dé i’ architeélure. S’il n’étoit
queftion que de'décider pour confier une grande
entreprife dans ce genre ; quel eit l’architeéle le
plus capable -, le concours feroit inutile. Il fuffiroit
d’interroger tous les monumens faits par des archi-
teôës vivans’, & de déclarer quel éft’ celui qui a
le plus ou qui a le mieux bâti. Mais on veiit qu’e-
le concours ait-lieu fur le programme de l’édifice
s faire, & que le jugement fë porté fur les efquif-
fes faites d’après ; cès efquiffes feront ou fur papier
ou en relief.
Premier inconvénient.
- Vous , juge, vous ignorerez fi le modèle que
vous examinez eft bien l’ouvrage' dé celui qui'l©
préfente , s’il né s’eft pas fait aider dans fon invention
, s’il n’a pas emprunté des fécours etrangers,
dans la partie la plus importante,, celle de la conf-
tru-élion*
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Second inconvénient. . .
■ Vous iie poûrréz pas juger du pètit au grand de .
la poffibilit^.'des 'moyens 1 d’execution , & vous
êtes condamné en n’appréciant que les modèles que
vous'avez fous les yeux , à confier quelquefois une
grande 8c difficile eutreprile à un homme entièrement
incapable de, réaîjfer en grand. ee que l’imagination
ou des moyens d’emprunt lui a voient Tug-
géré en petit.
Troifième inconvénient.
Si vous ne pouvez comparer les projets en petit
d’un architeéte avec des monumens déjà' exécutés
en grand par lu i, il vous fera impoffibie de préfumer
Ton talent ;• car, dans l’architefture, tout dépend
plus qu’on ne penfe de l’exécution f fouvent
tout le mérite d’un deffin difparoît à cette épreuve;
8c fi Parehiteéte ne vous doilne dans ce genre des
gages publics de Ton talent, il n’eft au pouvoir dé
perfonne de difeerner cela fur des efquiffes.
Mais dans Tés autres arts , vous obtiendrez encore
fur des efquiffes des réfultats' plus équivoques.'
Et qui m’affurera que tel peintre eft capable-de
faire, en grand ce qu’il me préfente en petit. Dans
ce genre , toute indu&ion eft -erronée. Qui n’.eût
pas adjugé, au Pouflni, tou; les prix fur fes petits,
tableaux. Cependant ce , grand; aom me, étoit un £oi~-
ble peintre ,, quand il, fortoit.de- fes proportions accoutumées.
Et qui ne fait en outre combien eft
trompeur cet art dé faire patoître dans une e-fquiffe
tout ce qu’on ne fait pas, & de diffimuier fes fautes
par l’j-ndéeifion naturelle à cette forte de pro-
duélioh. Qui ne fait encore que l'homme' exercé
en ce genre, l’emportera' facilement par je ne fais,
quel, charfne jque donne l’habitude, fur i’artifte con-,
fommé dans les grands travaux., qui ne fait des ef-
quiffes que pour arrêter fa penfée, & que comme
un auteur fait des brouillons , c’eft-à-dire , pour lui
& h.on pour les autres.
comme il elt neceilaire , le concours• a lieu iur de
efquiffes en terre-; c’eft ic i , n?en doutez pas , qui
1 ignorance & la médiocrité vont établir leur niveat
viclorieux fur le talent le plus recommandable. Indépendamment
du défàvantage que_ l ’homme hâbih
aura peüt-êtje dans l’art des efquiffes ; qu’on mi
dife comment on pourra difeerner d’après dJauft
équivoques effais, le vrai favoir néceffaite à i’exécu
tion d’un grand ouvrage j & ce fentimeut du; vra
qui ne fe développe que fous dés. proportions con-
venables1, & l’expreflîon des^ paffions qui dans de
efquiffes ne peuvent-jamais être que des grimâtes
& ce grand caradiere de deffin & ce fiiblime ou
fouvent tient au fimple , & ces principes- fa van
d’imitation que- tout le génie poffible ne fau-ra prô
durre dans • Tefpace infuffifant 6c raccourci de c<
qu on appelle une efquiJJ'e. Et puis l’art de là fculp-
ture décompofé par Tefprit de méthode & de divi
non de travail, qu’y ont amêné.ks temps mG'dèrnés
nippofe dans fou. exécution, diverfes fortes d’opéra
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rions affez indépendantes, & dont les a. nftes, de
'nés jours réuniffent âffez'rarement d’habi.ude. Tel
i'exelcé au manièment de Targiîle' ignore complètement
celui dés autres matières. Cettè diviTion ,
dans le travail de la fculpture , a produit une çlaffeT
d’ artiftes qui'compofe & une antre qui'ne fait qu’exécuter.
Auffi arrive-t-il qu’une figure peur fern^fa
niain dp praticien , chargérdë iatraduiré en marbre,
perdre tout cé que. fort modèle avoit donné cié mé-
rite, & plus encore tout ce qu’il aveit promis»:
Combien le rifque à courir nefera-t-il pus plus'grand,
encore fi, fur un fimple efftii, peu propre à Taire
apprécier même i’invënrion ,-Ton adjuge l’exécution
d;.une ftatue ,• fans avoir de garantie que celui qu’on
en charge, n’en- chargera pas un aujtre.
En vain exiger oit - On; dans le^concours de la part
des contendans•des garanties de ee genre. S'il faut
y apporter , outre i’ohjet du programme,des certificats
de.la capacité' dans des ouvrages antérieurs &
étrangers, l’ efprit du' concours 'fe compofe 6c fe1
détourné^ tellement de fon but qu’autant vaudroit
n en point faire. Le concours reviendroit alors à
etre non plus entre les chofes, mais entre les per-'
formes. Si 1 ou pou-voit dans fa balance de ces juge-
mens , faire intervenir, comme poids déterminans,
les fuffragés précédemment ob tenus6c y recevoir
en compte chacun félon la proportion de fes mérites
-paftês ; on voit que le- concours ne feroit en dé-
finiïff qu’une manière d’éluder la concurrencé ; drt
voit qn une telle- latitude accordée au; jngemenc
né feroit qu’un retour, à un autre genre d’arbitraire.
» Cette méthode vagué & indéterminée au—
roit iur-tout l’inconvénient de mécontenter l’amour*'
propré des,uns 6c l’envie dès-autres, 6ç d’être re-
pouifee par ceux qui veulent , Comme pà-r ceux oui
ne veulent pas de concours.
Tant d’objeérions, 6c tant d’autres que je laiffe
de côté , contre l’ufage ou rinftitut-iofl' du concours,
fembieroient annoncer que la fomme d’inccnvé-
niens & de difficultés yJurp.afferoit peut- être les-
avàntages que l’on s’en .promet. J’avoue qu'on peur
être de cet, ayis.à.ne confulter encore .que l ’expérience
8c 1 hiftoire des arts. Et d’abord on h’y voir
dans àupun temps^ que cette méthode. ait jamais;
été en ufage r 6c iauf .quelques exceptions, dont:
tout-a--1 heure, ou une forte de concours
ept lieu , 6c dont les réfultats furent heureux,, les;
artiftès n’ont jamais du leS> ouvrages publics^ ou’à
ce qu’on appelle le hafard & l ’arbitraire des choix y
ou..^ Ge que j’appelerai, l’afeendant de leur Tépu-
tation ; ôc cependant comment expliquer l’ accord,
confiant du hafard dans ces choix avec la juftice &
le talent ? comment s’èft-il donc toujours fait que
les travaux publics ont été le patrimoine des plus-
grands artiftès ? comment efriiï arrivé qu’à, la ré-
Terye de quelques plaintes d/injuftiGe de ce genre >.
Sc''encore entre dés. hommes ' fur le compte def-
qbeîs les contemporains ne furent pas, du même
avis que la poftérité, les grands hommes ont'toujours
eu.» fans fe moyen des concours une part ft.