
Ce canal.de décharge , ou YtmiJJarium d’Àlbatie,
fut donc creufé dans le fein. même de la montagne
d’Albane, trois cents pieds au-deffous du. village
aéfcuel de Cajid- Garidolfo , dans la longueur d’un
mille & demi.
Trois chofes rendirent cette entreprife admirab
le , la difficulté du travail, la-promptitude avec
laquelle elle fut terminée & fa folidité atteftée par fa
longue durée.
Quant à la difficulté , elle étoit telle que, félon
toutes les apparences, l’arufpiceétrufque n’attachoit
dans fa prédi&ion la PtiC?, de Veies à l ’exécution
de cet ouvrage, que parce qu’il la jugeoit impof-
fible. Mais les Romam* l’entreprirent avec cette
hardieffe qui car?xélérife tous leurs ouvrages. Toutefois
ils n’avoient pu prévoir les noiubreulcs difficultés
qu’ils y rencontrèrent.
Le père Kircher & Piraneû ont examiné avec
foin cet ouvrage. Ce dexniçr furtout a recherché
par quels moyens , en fi peu de temps, & dans un
efpace f l étroit qu’il ne pouvoit contenir qu’un
très-petit nomhre de travailleurs , on avait pu
mettre à fin cette entreprife. Le temps &. différentes
caufes avoient détruit les indices qui p.o,uvoient conduire
à cette connoiffance. Mais un travail du même
genre , entrepris par l'empereur Claude , au lac
'JF-ucinum, & dans lequel on ohferye & on. voit
encore à découvert les procédés employés pour
l ’excavation, a jeté le plus grand jour fur la manière
dont fut percé l’émifft. ta d’Alhane.
- Le travail, de cette excavation confifta en plufïeurs
puits , pratiqués perpend culairemeut & par intervalles,
de la fuperficie de la montagne au niveau
du canal ,ainfi qu'en différentes.galeries obliquement
percées qui aboutiffoient à ces puits.
De tous ceux qui furent percés, un feul exifte
vifible encore aujourd’hui & à découvert. La trace
des autres eft to alement effacée, & il n’en refte
plus que des tr.iditio.ns, Il paroît qu’ils ont tous
été houchés, comme celui qu’on raco ite avoir été
découvert; au commencement de ce fiècle dans le
jardin des Jéfuités, & en fui te recouvert de terre.
L’exiftence de ces puits bien reconnue , & par
les exemples que nous venons de cit^r &- par l’analogie
des travaux du lac Fucin , ou l ’on en voit
encore un grand nombre , on conçoit & l’on explique
comment les travailleurs purent être diftri-
bués & employés enfemble, dans le même temps,
des deux côtés de la montagne, à en pourfuivre
l’excavation. Parvenus chacun de leur côté au. plan
du canal, par le moyen des puits & des galeries
obliques, ils pouvoient fans fe gêner pouffer leur
travail. Les uns creufoient le milieu , tandis que
d’autres attaquaient.les. extrémités;. Les. puits, au
moyen des. machines, fer voient au déblaiement des
matières $, les galeries obliques fer voient de paffage
& de conduit aux travailleurs. Il ne s’agiffoit, pour
multiplier ceux-ci, que de multiplier les conduits.
Ainfi aura pu s’exécuter, dans l’efpace d’uqe.année, -
un travail qui, fans ce genre de procédé, eût exigé
un temps prodigieux.
Mais comment parvipt-on à déboucher ce canal
du côté du lac , fi" le niveau de l’ea.u? aipfi qu’o^
doit le prefumer d’après l’hiftoire, oç d’aptes le
récit de î’accroiffemem qui néceffita- ce travail fe
trouvoit élevé beaucoup au-deffus du plan qu’on
donnoit au canal? Plus on avançoit vers le lac
plus les travaux devçnoient dangereux. Gn rifaupit
de perdre à-la-fo.is & les ouvriers employés a
l ’ouvrage & le fruit de tant de peine. Piranefi
donne l ’explication la plys fenfiblç & la plus Yiai-
femblable des moyens qu’on dut employer peur
éviter ce danger,' & fi ne femble pas qu’on ait pu
en employer d’autres.
On peut regarder comme certain , que pour
éviter le danger dont l’approche de l’eau devoit
menacer les travailleurs & l’ouvrage, on pratiqua
un puits fur le; penchant du cratère, un peu au-
deflüs du niveau de t’accroiffement- oh l’eau du
lac étoit parvenue. Ce puits dut être creufé jufqu’au
niveau du canal de l ’ésnifftire. Par ce moyen, ©n
put reconnoître fi, en potifiant le travail du côté de
l ’eau , on trou ver oit un terrain folide ©u Caverneux.
Le terrain s’étant prouvé folide, -1- émiffain fut çreufé
jufqu’à la rencontre du puits dont-ou vient de
parler, & arrêté là. On rompit peu-à-peu l’orifice
du puits du côté du lac, & Ton y fit infa-fibiemert
entrer l’eau qui diminua d’-autanti. On Cominua ce
procédé jufqu’à ce qu’on fut arrivé à u.ne certaine
mefure. Plus le terrain reftânt entre le c enduit de
l’émiffairé, & l’eau diminuoit , plus ‘l'ex cavation
horifi ntale devenoit dangereufe. Auffi s’ànêta-t-on
a un certain point. On répéta le travail d’un fécond
pu,ts , encore.une fois au-deffus du niveau de l’eau
jufqu’ au niveau de Pémiflairè, qui fut encore conduit
& arrêté là. Les mêmes.opérations, propres à
l’écoulement graduel !des eaux par la deftruéhon de
ce. puits, furent, auffii répétées,: & I on ampiena
ainfi peu à peu l’eau du laïc au niveaq du conduit
de Yémijfai'rc.
Il paroît confiant que l’excavation;de ce dernier
puits eft i’efp ice qui forma depuis l’efpèce de falh
qui décore Centrée de Vemijfarium., & ou. l’on voit
encore des relies de, ciment qui indiquent qu’il
fut revêtu & orné avec foin. On croit que cette
entrée pût être un nymphce.um ou temple-confacre
aux nymphes de ce lieu.
Le premier puits qui dut fervir ainfi à la première
décharge des eaux, exifte encore aujourd’hui. U1)
pécheur qu’on fit entrer dans le conduit, & tp1
y pénétra auffi avant qu’il lui fut pcffible , ra;pporta
rentrer avec une ficelle , & on trouva entre ce pu,ts
& celui die la bouche^ de l’émilFaire , une diftance
d ’à peu près trois cents palmes romains , un PeU
plus de 260 pieds de France.
Il ne reftoif plus q-tf’à pourvoir à la cônfervatiott
de l ’cuv-rage. Le premier foin fut de tailler P
r
- s U L * au-deffus de la bouche de l'émifaire ,
T par-là- Nboulement dus p,erres
i r » qui, *■ !a lonS“ e - feroient Par' !
I d __à en obftruer I V l ’entree. ■ ' . . . Le.fécond moyen qui devoit affurer a jamais
I ' n libre pafla.ee aux eaux du lac., fut d appuyerI
|I ïwe rture & l a tranchée'par l ’édifice même q u i, ernel’entrée du canal g en meme-temps qu il con- i I tribue à la folidité du travail.
I fet édifice, quoique ruine en quelques parties,
II fobfifte encore aujourd’hui. Il lilBB d„e |rands »carriers de pierre ruftiquement taillées , & forme I »neaflez grande grotte voûtée avec une porte dan«
I te fonds qui donne paffage à l’eau dans le conduit I de l’étniffaire. Viennent après une pièce carrée &
II 'voûtée en quatre compartimens, & une i j g S M i veftihule dent la Visite eft tombe® par le defaut
i d’entretien que cet ouvrage a éprouvé pendant I long-temps. On y a laiffé croître des arbteS> qui
I rendent ce rite extrêmement pittorefque 4 & q ü o n a
I refpeâé lors de la reftauration qui a été faite dans
I cefiècle. _ _ ,
Le caraâère de cet édifice eft beau. Le genre
I ruftique qu’on y a employé convient bien au fujet.
I Ce feroit là le modèle du goût & du ftyle. apph-
I quables à la conftrudion d’un château d’eau.
I Les acceffoires de l ’ouvrage n’étoient pas moins
I confidèrables.
Pour régler l’écoulement de l’eau , on^ avoit pra-
■ tiqué fur le rivage du la,c un baffin borde de pierres
I égales en grandeur à celles du, canal de I’émiffaire.
K Des éclufes dont- on ne voit plus que les veftigës,
I & auxquelles on eft a fubfthué de modernes, s’éle-
I voiént & fe baifloiênt-pour le paffage des eaux. Un
I pont foutenu par quatre piliiers carres , reunifibit
■ les deux côtés de ce5 baffin.
Le canal de l ’émiffaire eft bâti & voûte, dans
montagne fituée entre le L y fis , dans lequel le conduit
K toute fon éten;dae, en pierres de taille. Sa longueur
S eft de douze cent foixante toifes. 11 a trois pieds &
I demi de large , & environ fix pieds de hauteur au- 1 deffus du fond. Ses deux extrémités étoient-ornées ,
■ d’un château -d’eau. L’un a l’entrée du cote du
I lac, l’autre a fon iffue du côté de la1 plaine;
Il y a actuellement deux mille cent quatre-vingt-
K feizeans que ce grand ouvrage a été commencé &
I. fini, & que fans avoir eu befoin de réparation il
■ fèrt au mêmenfage. Il n’en commanderoit pas moins
l’admiration quand il eût été l’ouvrage dès fiècles
oii Rome avoit acquis lè plus haut point dé fa
puiffânee. Mais ce qui l’augmente, ç’êft la penfée
qu’à l’époque où. l ’ouvragé- fut ..fait y Rome ne pof-
fédoit qquu’’uunnee ppeettiittee ppaarrttiiee dduu LLaattiiuumm..
De /’ Emiffarium du lac Fucin.
Au lac Fucin, appelé aujourd’hui La'gd-Ctlané\;
il exifte un canal encore plus-côiifidéraltle que celui
du lac d’Albane. Il confifte dans une ouverture;
d environ vingt pieds de hauteur fijr dix dé la r-.
geur y qui occupe toute l ’épaiffeur d’une grande
devoit fe décharger, & le lac où Pon voit
encore fon orifice a une efpèce de petit port qui
fubfifte entre Ave^ano & Luco. ^
Comme ce conduit, qui.fut cependant termine
,( voyt\ ce qui en eft dit a-u mot canal de décharge)
mais que divers accidens, lorfqu’on en fit 1 e-fiai*,
empêchèrent de remplir fa deftin.ation , fut laifié
inutile par l’envie que Néron porta aux ouvrages de
fon prédéceffeur, & comme depuis , .on n’a p l^
cherché à reprendre ces travaux, cet emiflaire eft
plus connu par les récits que Pline nous a laifiës de
H difficulté de l’entreprile que par les defcriptions
des voyageurs modernes.
II paroît que le conduit de ce canal de déchargé
n’en fut que le moindre ouvrage. Les travaux
qu’exigea l’excavation furent au-deffus de toute
exprefiion, félon -Pline,Trente mille hommes furent
employés, pendant dix années,.à vaincre tous les
obftacles que la nature peut oppofer au fucces d. une
telle entreprife. On eut des rochers à percer, des
eaux à détourner 8t à élever. Auffi la montagne
eft-elle encore remplie., en tous fens:, de galeries
fouterraines. On y découvre une fuite confidérable
de cavités verticales en forme de puits profonds ,
au bas défquels on peut fe rendre par des conduits
qui font pratiqués en plan incliné. Là plupart h ont
aucune communication , ni avec la tranchée qui
forme l’émiffaire, ni avec les voies pratiquées pou*
en parcourir les côtés. x
L’ abbé ChaupyôBferve,auTujét de cèt eniiïTatre^
qu’ il paroît avoir manqué de la qualité efléntieMè
i à de fi grands ouvrages, fa voir la necefljté.. Le.jac
Fucin, ë it- il, 'croît & décroît, fans doute ; :rrîai^
on ne fe fou vient point dans lé pays que fon accroif-
; fement produife d’autre effet que dé découvrir un
: peu plus ou un peu moins fés bords dans les endroits
. ôîi ils font les plus bas* L ’émiffaire deftine a le
I tenir toujours à un niveau fixe n’auroit donc fout
au plus été qu’utile , ce qu’on ne fauroit dire de
celui d’Albane. . , , . . . . .
Plus d’une raifon me femble, a pu determirtef
à entrepreridre de femMables travauxiNous fdmtnes
peut-être trop loin des temps, des lieux & des cir-
coliftances- pour deviner les motifs prépondérans
qui follicitèrent leur exécution. Le feul befoin rte
püifer quelque part une maffe d’eau capable d alimenter
la navigation intérieure par desqanatix oh
l’ accroifletnent d’une rivière fût fùffifant pour
rendre ces entreprife« plaufiblès & avantageuies.
Nous fa-Volis que celle drf lac Fiiëirfétoit au nombre
, des projets- de Céfar, & qù’Augufte fut vivement
follicirf par les habitans du pays d y mettre la main.
L ’objet du dégorgement d’un lac peut bien n avoir
été qu’ un motif fecondaire. En effet , dans fon
traité de la divination, Cicéron donne a entendre
que lors du percement de l’ém.ffairc du lac d A(-
,bane , le fénat avoit été beaucoup moins induit a
cette entreprife par fuperftiuon, que par la perspective
de l’avantage qui réfulteroit pour l agriculture
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