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ordre ayant perdupeu à peu chez les Romains tous
ces caractères de folidité, de force énergiquement
prononcée, & l’empreinte fidelle des types originaires
que nous lui avons vus en Grèce , la privation
âà bafe devoit à la fin s’y regarder plutôt
comme un relie inutile d’une tradition équivoque ,
*3ue comme le réfultat d’ un fyftème raifonné, plutôt
enfin comme l’effet d’un préjugé , c’eft-à-dire
d’une raifonoubliée, que comme l ’effet d’une opinion
éclairée.
Nous ne pouvons hafarder que des conjectures
fur ce point. Nous n’en favons pas affez, d’après le
peu de monumens doriques romains qui nous font
parvenus, pour affirmer que la bafe trouvée, ainfi
qu on 1 a vu plus haut , aux petites colonnes du
petit temple de Pæftum , indique néceff lirement
une reflauration qui auroit été faite à cet édifice par
les Romains, comme l’a conjeCturé de la Gardette
dans fon ouvrage des Ruines de Pæftum , pag. 72.
Des faits & des détails auffi ifolés & auffi incohé-
reris ne fuffiîent pas pour affeoir deffus un fyftème
de ce genre. Il en eft de même de celui de M. Leroy
fur les époques du dorique calculées d’après le plus
ou le moins d’élévation dans les colonnes. Les Grecs
ne s’ ab{tinrent généralement de mettre des bafes à
l ’ordre dorique que parce que l’art s’étoit fait dans
fon pays natal la loi de refpeCter les formes primitives
du modèle qui lui avoit donné l’être. Plus on
s éloigna de cette origine, plus l’obfervance de cette
loi dut perdre de fa rigueur. Les Grecs eux-mêmes
durent y porter atteinte à la longue; & fi l’on avoit
tous leurs monumens fous les yeux, on y découvri-
xolt peut-etre l’oubli graduel de ces lois. Peut-être
cette bafe de Pæftum ne fut-elle qu’une exception
motivée par le befoin d’exhauffer en cet endroit les
colonnes , & peut-être alors ne faut-il regarder
cette exception que comme étant du nombre de
celles qui renforcent plus qu’elles n’affoibliffent une^
loi. Celle-ci prou ver oit que ce feroitnon par routine
» mais par choix» que les Grecs auroient conf-
tatnent fait le dorique fans bafe.
Mais le caraCtère de la frife dorique fu t, à ce qu’il
p;aroit, la choie qui varia le moins chez les Grecs ;
H femble au contraire que cette partie fût celle que
les Romains modifièrent & altérèrent le plus. Nous
avons vu que Vitruve, d’accord en ce point avec le
temple de Cora, enfeigne la manière de faire au
diaftyle plufieurstriglyphes dans l’intervalle de l’en-
trecolonnement, & qu’il oppofe cette- méthode à .
celle du pycnoftyle ou tnonotriglyphe. ( Voyez .
Vitruve, liv. I V , ch; 3. ) L ’ ajuftement régulier j
de cette frife eft fans doute une des plus grandes
difficultés qu’on trouve dans l’emploi du dorique. I l
y a eu ^ dit Vituve,; ibid. quelques anciens architectes
qui ont cru que Tordre dorique était inapplicable' aux-
temples , d*autant qu'il fe trouve quelque chofte de
fa u t if &■ d'incommode dans fes proportions ,• & ici il
«apporte les inconvéniens-des metopes , & des tri-
glyphes d’angle, dans lefquels il entre toujours
<^-j,vlq.ue choie défectueuxeft mmdofum, et C ’eft.
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« pour cela, continue-t-il, fque les anciens pa,
« roiffent avoir évité l’emploi du dorique & de fe»
« proportions dans les temples. » Qua propter ami.
qui evitart vifi funt in eedibns facris dorica fyrnctru^
ratiopem. On voit encore par ce paffage que Vitruve
etoit fort peu inftruit des pratiques & des ufagesdç
I antiquité, fi par antiqui il a voulu entendre les
Grecs. Si par ce mot il n’entendoit que les architectes
romains, fes prédéceffeurs, alors cela prouve-
roit que le dorique avoit été toujours peu pratiqué à
Rome.
Il ne feroit pas invraifemblable , d’après cela
que le tofean & le dorique ayant une commune
origine & des rapports d’identité entre eux , ils fe
foient de nouveau réunis comme dans le prétendu
dorique du Colifée où la fuppreffion de la frife, l’addition
de la bafe & Rallongement julqu’à huit diamètres
& demi, ne permettent plus de reconnoitre
l’ordre des Grecs.
11 faut convenir auffi que les proportions, le ftyle,
l’ajuftement du dorique, exigent des plans fimples,
des compofitioos figes , -fymétriques & régulières
dont les Romains s’éioient déjà fort éloignés,
quoique beaucoup moins encore que ne l ’ont fait
les modernes.
D’après ce qui vient d’être expofé, on voit que
même chez les Romains le dorique ( celui du moins
qui fe préfente à nous avec les caraCtères propres de
cet ordre), quoiqu’ajlongé & modifié en beaucoup
de points, avoit toujours retenp les formes principales
& les indications originaires de fa manière
d’être en Grèce. L ’abfence de bafe l’y earaftérife
conftamment. Ce qu’on appelle le dorique du Colifée
mérite à peine de fe compter peur une exception,
puifque cette ordonnance étant dépourvue de fes
attributs principaux, c’eft-à-dire"de la frife , elle ne
peutpaffer que pour une compofition hors des règles
& de l’ufage, & peut-être étrangère même à l’ordre
dorique.
Du changement total de Tordre dorique che{ les
modernes.
Lorfque L’arehiteCture reparut dans les temps-
modernes , vers le quinzième fiècle, les premiers
efforts des architectes tendirent à retrouver les proportions
des ordres antiques. Les ruines de Rome
furent le feul dépôt où il fut loifible de fouiller.
II arriva à cet égard ce qui arrive dans tous les
: genres de découvertes. On vit tout en masse. Des
monumens féparés entre eux par l’intervalle de plu-
fleurs, fiée les,, & par eonféquent d’un goût & d’un
mérite fort différent, acquirenty fous la dénomma-
tion d’antique , l ’autorité que le beau feul &le vrai
doivent obtenir- La eonfervation des édifices étant
due au hafard, on ne fit pas attention que le temps
pouvoit avoir détruit les meilleurs ouvrages de tel
ou tel ordre, & en avoir confervé feulement les plus
médiocres, que par eonféquent on ne deyoit ni J3
même foi *, ni le même refpeét à tout ce qui étoit
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antîoue. Il fallut de l ’expérience, de* découvertes
j ^ouvelles, & le fecoiirs de l’obfervation, pour qu’une I faine critique pût s’établir en ce genre,
j Mais bientôt il s’éleva une autre forte d abus qui I réfulte toujours de l’ignorance des faits. Ce fut l’ef- I prit de fyftème. On chercha à donner aux ordres I «ne fixité de mefures dont ils ne font pas fufeep-
| tibles. Chaque architeéle fit fa méthode, & pre- I tendit aftreindre à des proportions déterminées
I chaque ordre & chaque membre de chaque ordre.
I Comme ce fut toujours à Rome que les archi-
i teftes puifèrent les élémens de leur doCtrine, ils I furent obligés defuppléer par les écrits de Vitruve ,
| à ce qui leur manquoit d’autorité, dans les ruines de
■ l’antiquité. Vitruve ayant parlé d’un ordre tofean
I dont aucun monument ne nous eft refté , & ce tof- I can paroiffant plus fimple que le doriqut , on ima- I gina d’en faire le premier de tous. Vitruve lui donne
I fept diamètres & une bafe. On lui donna donc une
K bafe & fept diamètres, une frife-lifte , & on le priva
| le plus qu’il fut poffible de tout ce qui en architecture
eft richeffe o'u fynonyme de variété.
I Après avoir établi cet ordre comme le plus pauvre,
K le plus fimple., & comme le ton grave dans l’archi-
I tefture, on plaça enfuite le dorique. Ce qui contri-
I bua à lui donner cette fécondé place, ce fut fa frife
I qui -préfeme une diftribution de parties dont l’af-
I pj£t comporte une idée de richeffe fupérieure à celle
I de l’entablement préfumé tofean. Au lieu de voir
1 dans les types de cette frife les caractères & les titres
originaires de l’ordre primitif, on le claffa au fécond
rang, comme fupérieur en richeffe. Mais pour être
I eonféquent dans cette claffincation qui, depü.s le
:| prétendu tofean jufqu’au prétendu compôfite , va
■ toujours croiffant en élévation & en ornernent ,
I i°. on voulut faire le dorique plus élevé que le tof-
1 dan, & dès lors on lui donna huit diamètres ; r°. on
lui donna une bafe malgré les exemples même des
[ Romains, parce que cette abfence de bafe étant un
grand caraCtère de fimplicité , cela eut ferriblé être
contradictoire avec le fyftème qui attribuoit au tof-
[ éan le de gré extrême du fimple.
Le prétendu doriquedu Colifée fervit de fondement
à cette innovation , & quoique cette ordon-
fiance abâtardie ne porte aucun des caraCtères
particuliers du dorique, on ne s’en autorifa pas
«îoins, pour donner au dorique une bafe que l’on
r “ r un peu plus riche en moulures que celle dû tof-
1 ^an- Ce fut d’après ce principe que s’établit la gra-
! ^ar«on de richeffe dans tous les profils & les membres
1 des difféféns ordres.
[ 9 n a très'b.ien remarqué qu’il ne peut y avoir que
trois qualités effentiellement diftinCtes dans l’archi-
| teétufe, favoir le fo r t, l’élégant & le riche, que les
! ®1{tres ne font que des moyens de rendre cês qualités
ttümbles, que ces qualités comportent des nuances
[ nidifications que chacun de ces ordres fait
[ i aililefter par les variétés dont il peut ufer, qü’ainfi
, Lmple eft en architecture l ’attribut du fort, qu’il
à eft pas néceffaire qu’il y ait un ordre qui n’exprime
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que le fimple, parce que le caraCtère fimple feparé
du caraCtère fort feroit pauvreté , que tout ce qui
étoit plus fimple que le fimple, & plus riche que le
riche , étoit un excès & dès lors un vice. Ainfi tout
le fyftème moderne repofe fur une erreur, & cette
erreur eft d’avoir voulu faire dans le tofean quelque
chofe de plus fimple que le dorique, & dans le com-
pofite quelque chofe de plus riche que le corinthien.
II eft m m de I» ^lue k (t°rlcl uc moderne s’eft
trouvé totalement abâtardi f & changé fous 1 influence
d’un fyftème qui, en lui donnant forcement
huit diamètres & une bafe, n’ a plus mis entre lui
&. les autres ordres, que la différence du chapiteau
& (félon la volonté des architeCles qui l’emploient)
de fa frife ; car beaucoup fe font crus,, comme Le
Bernin à la colonnade de Sr.-Pierre , maîtres d en
fupprimer les triglyphes & les métopes.
Ainfi ce caraCtère de force & de puiffance, refui«
tant de la proportion courte & de la forme pyramidale
de la colonne , ces cannelures peu profondes
qui fembloient craindre d’en diminuer le volume ,
cette grandiefité du tailloir & de i ’echine, cette
large affiette qu’y trouvoit l’architrave , cetté hauteur
& cette mâle fimplicité de l architrave , la dif-
tiibution fimple & régulière de la frife, I élévation
de l’entablement , l ’inclina;fon des mu tu les , la
fidelle repréfentation des types & des formés originaires
de la cabane, l’abfence de bafe qui donnoit
à cette ordonnance un caraCtère particulier de fimplicité
, l’effet inipofant que donnoit 1 accord d une
folidité réelle avec la repréfentation de tout ce qui
en rappéloit la caufe & le principe , tout Gela a dif-
paru de l’ordre dorique moderne. ^
Il eft affez inutile de rapporter les variétés qui fe
rencontrent entre les divers doriques des modernes
les plus accrédités. Chambray, dans fon Parallèle
de l’architeéture antique avec la moderne, a rapproché
les ouvrages doriques de Palladio. vScamczii,
Serlio , Vignola , Barbaro, Catanea, L. B, Alberti,
Viola, Bullant & Philibert Delorme. Tout ce qui
différencie ces oeuvres, confifte dans un demi diamètre
que quelques-uns, tels que Palladio & Scam-
mozzi, ont donné de plus a-l’oidre, qu ils ont porte
jüfqu’à huit diamètres & demi, & dans de légères
variétés de cymaife , de tore, de quarts de rond,
toutes chofes d’ où réfulte le plus ou le moins d’agrément
dans le;s profils, mais rien d'effentiel ni de remarquable
dans le caraCtère général.
Vignola qui long-temps dans les écoles a paflé
pour le légiffoteur de l’architeCfure, c eft-a-dire
pour celui qui a réuni dans un point le plus moyen
toutesTes variétés des divers ouvrages d architecture
, a compofé fon dorique félon les principes modernes
j fans s’être douté de l’ex.ftonce d un autre
dorique. ' ,
Il donne à fa colonnes feize modules ou huit diamètres
de hauteur ; à l’entablement quatre modules
ou deux diamètres, c’eft-à-dire le quart de la hauteur
de la colonne ; il place des denticules dans la
corniche, donne deux lacçj à l’architrave, un ^ofil»
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