
ques des hommes de génie 3 & elles fe trouvent
eiTtOlvement empreintes dans leurs ouvrages. En
examinant alors le génie comme joint>à la facilité
, on l’a comparé à une forte de lumière intérieure
qui éclaire les objets de lapenfée, les fujets
de l’invention , qui en fait faifir aifément l ’enfem- !
ble & les détails ( de la façon dont les yeux em-
braiVent les parties d’une peinture bien éclairée),
&. qui dès-lors fe communiquant à là production
extérieure de ces objets, dans l’ouvrage de l’écrivain
ou de i’artifte, en porte les idées ou les images
au plus haut point de clarté , d’évidence & de
vivacité. C’eft ainfi que quelques-uns ont prétendu
expliquer le génie dans cette heureufe facilité ,
dont l’impreflion accompagne prefque toujours les
oeuvres qu’il produit.
L ’expérience fur ce point guidant la théorie ,
démontre elfeCtiveinent que les.hommes de tous
les temps , en qui l’on s’eft unanimement accordé
à r.econnoilre du génie, ont été doués de cette
facilité ; & c’eft parce que leurs productions pa-
roiffent n’avoir coûté ni peine ni effort, qu’on a
cherché à définir & expliquer le génie par un de
lés attributs.
Ce que d’autres perfonnes appellent infpira-
tion y dans l ’analyfe théorique du génie 3 n’eft
également qu’une autre métaphore qui exprime
autrement la même chofe, & qui rend compte de
la facilité dont on vient de parler par d’autres
images. Chacun fait & fent encore mieux ce qu’on
entend pas infpiration. On ne fauroit nier, foit
de certains ouvrages, foit plus particulièrement
de certains morceaux de cès ouvrages, qu’ils
n’ai,ent été le réfultat d’une impuîfion inftantanée,
qu’ils n’aient été produits dans ces momens heureux
, où le fentiment exalté par quelque paflibn,
ou développé par quelqu’autre caufe , faifit de ces
idées rapides, de ces aperçus fugitifs, de ces rapports
inattendus, qu’aucune recherche ne feroit
jamais rencontrer, & qui échappent furtout à l’effort
du travàiL
C’eft d’après de femblables obfervati'ons qu’on
s’eft a fié z généralement habitué à regarder l'action
de ce qu’on appelle le génie 3 comme v iv e ,
rapide , facile , & que peut-être auffi on en a trop
fou vent féparé, comme lui étant étrangère, l’action
du travail, de l’étude & de la méditation. Il
eft en effet jmpoflible de conftater & de prouver
que ces mouyemens rapides qu’on appelle infpirations
3 ne font pas eux-mêmes les réfultats d’un
travail inaperçu & ignoré de ceux qui les éprouvent.
Dans combien de genres l ’imagination,
qu’on pourroit appeler la mémoire du fentiment,
ne sfaitr-elle pas, fans que nous nous en apercevions
, des recueils , , fi Ton peut dire, des provifioos
d’idées qui ne nous paroiffent germer fpon-
ianément, que parce que les femences en ont été
dépofées en nous à notre infu ? Ainfi le génie pourroit
avoir une manière de travailer qui lui feroit
propre, & que lui feul pourront révéler & définir.
De cev qu’on a d’ailleurs repréfenté le • i
comme un don naturel, on concluroit à tort ^ i
celui qui l’a reçu n’a pas befoin des fecours^n
l ’étude. Le travail ne lui eft pas moins néceflah 1
que ne l’eft la culture au fol même le plus fayorifé
de la nature. Le travail, il eft v ra i, fans le vénje
ne produira que de mauvais fruits ; mais leg^d
fitns le travail pourroit bien auffi ne donner ai
des fruits avortés. ^ j ' ' 1 : \
. La fécondité, que nous avons reconnue pour être
auffi une des qualités compagnes du génie & offert
G fouvent à le définir & à le caraètérilèr n'ej[ !
guère autre chofe qu’ un réfultat de la facilité &
concourt avec elle à nous montrer la vérité de la I
définition qu’on a donnée du génie. De l’abondance I
des productions de l’homme de génie3 on conclut i
ordinairement la fac ilité, & de la facilité la
pronîptitude St la vivacité de l’exécution : de-là
d’autres métaphores pour exprimer celte qualité •
de-là ces allégories de Jeu fu b t il, de Jlamme
rapide, fous lefquelles on fe plaît à exprimer les1
opérations de l’e fprit, foit dans la conception j
foit dans l’exécution des ouvrages ; de-là ces ailes
qu’on donne au génie , pour lignifier fa rapidité j
ou fon élévation.
Mais toutes ces figures , infpirées par l’idée de
facilité & de fécondité propres aux hommes de
génie 3 n’ont de vérité que parce qu’elles peignent
plus vivement a l’imagination de ceux de qui on
veut fe faire comprendre , précifément ce que la
définition étymologique du mot génie n’explique
qu à la raifon , favoiv , que le génie eft une difpo-
fition innée ., eft un don de la nature , d’où il réfui
le que celui qui l’a reçu, doit produire beaucoup
plus & avec plus de promptitude que celui à qui '
cette faveur a été refufée.
On eft quelquefois tombé dans une grande illusion.
, en inférant ide l ’abondance & de la multiplicité
des productions de l'homme de génie, que la
fsromptitude de fon travail participoit de celle de
a penfée. L’idée exagérée que l’on s’eft faite de la
fécondité , a été jufqu’à perfuader que , dansles
arts d’imitation, toute méthode de faire correde
& rigoureufe , toute manière exigeant de la patience
& du temps , tout procédé réfléchi & cir-,
confpeûl, étoient contraires,au génie 3 & ne pou-
voient tendre qu’à retarder ou arrêter fon vol.
Dans certains temps & dans l’efprit de certaines
écoles on. en étoit venu prefqu’à fuppofer & à faire
croire que l’opération du crayon ou du pinceau,
par exemple, pouvoit, comme celle de la plume
ou de l’écriture, fuivre la diâée rapide de l’imagination
, & en improvifer eu toute réalité les
longes ou les éclairs. ,
Quelques hommes ont effectivement donne,
dans de nombreux travaux, l’exemple d une manière
de faire prodigieufement expéditive, & <lul
leu*’ a acquis pendant un temps une grande repu'1'
tion de fécondité mais on fait allez aujourd’hui
que cètte.prefteffe &. cette abondance qui en Fut
l’eflet,
G E N
, ne font autre chofe que l’abus des deux
S t l l quelles défigurent, comme l’imagination
fq-ée-lée qui fit concevoir de tels ouvrages à leurs
auteurs ne fut, dans la réalité , qu’une parodie du
^ 9n a fouvent auffi confondu avec le génie, d’autres
qualités qui n’en font que les inftrumens ou les
moyens. De ce nombre eft l ’imagination , qu’on
déliait volontiers fous les mêmes traits que le
génie : toutefois ces notions font très-diftinCles.
L’homme de génie, fans doute, a de l’imagination;
niais l’homme qu’on appelle à imagination peut
n’avoir pas de génie. Le propre de l ’imagination
eft de nous retracer & de reproduire , foit les
images des objets extérieurs, foit les imprelfions
des fenlimens intérieurs. ( Voyez Imagination. )
Lorfqu’on cefl’e de faire de Ximagination un fyno-
îiyme de génie, & qu’on analyle léparément la
faculté & imaginer, on fe perfuade qu’au lieu d’être
la même chofe que le génie , elle n’eft qu’un de fes
inftrumens, & que l’aëhon imaginative doit lui être
fubordonnée, doit lui obéir au lieu de lui commander.
Lorfque cet ordre eft interverti, le génie
tombe dans toutes fortes d’écarts.
On eft moins porté à confondre ce qu’on appelle
le jugement avec le génie. Il y a même fur la
nature de la qualité appelée jugement, une prévention
qui fait croire que cette qualité appartient
uniquement aux hommes fans génie, quelle eft
le partage des efprits froids St incapables d’invention.
Le jugement, fans doute , eft une qualité
diftin&e de celle qu’on appelle imagination,
puifque cèllè-ci a la propriété d.e produire les
images des chofes, lorfque celle-là fe borne à
choifir ce qu’il y a de jufte ou de vrai dans ces
images , ainfi que dans la manière de les rendre.
Mais fl l’on diftingue aifément l’imagination du
jugement, dans l’analyfe des idées que. ces mots
expriment, il n’eft pas auffi. facile de féparer le
jugement du génie, lorfqu’on cherche quel eft l’en-
femble de qualités qui concourent aux opérations
de ce dernier. Peut-être , en eff e t , 1 e génie doit-il
fe confidérer moins comme une faculté, que comme
une réunion de facultés. La mémoire, l ’intelligence
, la fenfibilité , l’imagination, le jugement,
coopèrent évidemment à ion aètion ; 8c il nous
femble qu’on n’en fauroit donner une plus jufteidée
<fu en difant qu’il eft , ou la réunion , ou le reffort
de diverlès qualités combinées entr’elles dans la
plus exaâe proportion, au plus jufte degré & dans
le meilleur ordre.
Si nous confidérons maintenant le génie dans fon
objet, c’eft-à-diré, da ns fa fin , ou le but qu’on j
doit reconnoître comme étant celui de fon a â io n ,
nous ne trouverons pas de meilleure manière d’en
concevoir l’idée , qu’en nous rendant compte des
effets que produisent fur nous les ouvrages où, d’un
commun accord, brille ce don de la nature. Comme
“ eft plus facile de le faifir dans fes réfultats que
dans fon principe , c ’eft prefque toujours par fes ,
Diction, d?Archit. Tome II,
G E N 44l
effets que le commun des hommes le définit. Eu
l’appréciant ainfi , on peut donc dire que 1 objet
auquel tend le génie eft d’agrandir l intelligence
par la manifeftation de la vérité, d’émouvoir le
fentiment par l’expreffion des pallions, d exalter
l’efprit par l’admiration dans l’imitation du beau.
Il n’eft pas néceffaire que l’oeuvre du génie réunifie
ce triple genre d’effets pour—rerxrplir fon
objet. Il n’eft pas au pouvoir de chaque efpèce
d’ouvrage & même d’art des’adreffer tout à ta fois
à l’intelligence, au coeur & à l’efpril. On ne croit
; pas non plus qu’il foit donné à l’arlifte, dans fa
; fphère d’imitation, de réunir les qualités, fouvent
incompatibles entr’elles, qui opèrent les trois fortes
d’impreffion dont on a parlé. Une feule de ces ini-
preffions fuffit. Peut-être ceux auxquels s’adreffenÉ
fes oeuvres du génie font-ils également inhabiles a
jouir fimuitanément & tout à la fois d’effets divers
8t qui correfpondent à des parties de notre ame, fi
différentes entr’elles. ’
Si l’objet du génie, ou la fin qu’on attend de fon.
a£lion, eft d’agrandir l’intelligence, démouvoir
le fentiment, d’exciter l’admiration, il paroit egalement
certain que chacun de ces effets ne peut
être opéré que par de nouveaux développemens
d’idées, de fenfations 8t d’images. Tout ouvrage
qui ne produit pas des idées neuves, des fenfations
inconnues , des images originales, étant (comme
l’expérience le prouve) dépourvu de la faculté de
nous attacher & de nous plaire , il réfulle de-là
qu’on impofe au génie, pour être reconnu tel, deux
conditions , favoir, l’invention & l ’originaKté.
Ainfi l ’invention n’eft pas la même chofe que
le génie, quoique fouvent on faffe de ces deux
mots deux fynonymes, en confondant l’effet avec
fa caufe, ou le réfultat avec fon principe. L ’invention
prouve le génie , mais le génie eft ce qui
donne l’invention. Ce qu’il y a de corrélatif entre
les deux idées, fait qu’on en déplace les no fions &
qu’on en intervertit l’ordre logique. Il eft certain
qu’on a du génie quand on invente; mais ceft
qu’on n’invente que parce qu’on a du génie. Donc
l’idée de génie précède comme pnqcipe , & 1 invention
eft la conféquence. Il en eft de même, en
faine logique, de l ’idée d’originalité. On n’a pas de
génie parce qu’on eft original, mais on eft original
parce qu’on a du génie.
Il nous femble donc que fi l’on a fouvent confondu
la notion di invention avec celle de génie ,
cela eft provenu de la définition grammaticalement
; vicieufe qu’on a faite du mot génie ou ingenium ,
1 q u i, venant à la vérité du verbe gignere, enjanter,
a été expliqué, quod gignit, ce qui crée, tandis
que le mot & l’idée doivent fe définir (ainfi que
nous l’avons dit au commencement) par in nobis
genitum, ce qui eft inné en nous , ou difpofition
naturelle.
D’où l’on peut conclure que le génie eft uue faculté
morale qui repofe fur une difpofition naturelle
, dont les moyens font l’imagination , la fenfi