
L ’agréable & l’utile l’ont ici tellement liés entr’eux:,
l’un refaite fi naturellement de l’autre, qu’il n’y
eut jamais d’inventeur en ce genre 5 & fi Ton veut
qu’il y en ait eu, cet inventeur ne fut autre choie
que le lu xe, qui apprit à détacher l’agréable de
l’utile, & à planter uniquement pour le plaifir,
des arbres qui ne l’avoient d’abord été que pour
la néceffité.
Auffi voyons-nous l’art des jardins de luxe déjà
pratiqué chez les nations, que l’hiftoire ancienne
nous a fait connoître comme parvenues à tous les
arts que nous donne laricheffe. Ce que les auteurs
nous ont dit des jardins fufpendus de Babylone,
n’a rien de fabuleux. Des arbres purent être très-
facilement plantés dans des terres rapportées fur
des voûtesqu e le bitume dont on fe fervoit, de-
voit rendre impénétrables aux filtrations & à
l’aâion de l’humidité. Xénophon , dans fon f Xif-
toire de la retraite des dix mille y fait: fouvent
mention des grands jardins d’agrément , qu’il
avoit trouvés dans plufieurs provinces de la Perfe.
Nous ne pouvons pas douter que la Grèce n’ait
connu 8c pratiqué, dès les temps les.plus anciens,
l?art d’embellir les habitations par des jardins
d’agrément ; & quoique le jardin d’Alcinoüs, décrit
par Homère, au huitième livre de VOdyJJée ,
offre des arbres fruitiers & des plantations utiles,
les commentateurs fe réunifient à y reconnoître
le caraéfère d’agrément, qui ne doit pas être né-
ceffairement indépendant de toute utilité..
a Non loin de la cour & des portes du palais,
» (dit Homère), eft unjardin de quatre arpens,
» entouré d’une haie vive. Là s’élèvent de grands
» arbres d’une végétation vigoureufe, des poi-
» riers, des grenadiers, des orangers, des figuiers
» d’une rare efpèce, & des oliviers toujours verts.
» Ces arbres ne manquent jamais de donner des
» fruits, ni l’hiver, ni l’été. Sans cefle au fouffle du
» zéphir, quand les uns commencent à pouffer,
» les autres font déjà mûrs. Lapoire eft remplacée
» par une poire nouvelle, l’orange fuccède à l’o-
» range, la grappe fait place à d’autres grappes ,
» & la figue nouvelle paroît à côté de la figue
» qu’on va cueillir. Dans une même vigne chargée
» de raifins, les uns môriffent aux rayons du
» f o l e i lo n vendange les autres, d’autres font
» foulés dans le preffoir. On voit des grappes en
» fleur près de celles qui font déjà remplies d’un
» jus délicieux. A la fuite de cette v igne, un po-
» tager foigneufement cultivé , fournit chaque
» faifon des légumes de toute efpèce. Là font
» auffi deux fontaines : l’une, par mille canaux
» arrofe le verger, 8c l’autre répand fes eaux
» près des portes du palais, dans un baffin fpa-
» cieux, où viennent puifer les citoyens de la
» ville. »
Homère a fans doute donné, dans cette def-
cription, l’idée des jardins, tels que les Grecs de
fon temps en avoient dans leurs maifons de campagne.
Le fol des petits Etats de la Grèce,, toujours
trop étroit pour leur population, les moeuj
républicaines & d’autres caufes encore, donnent'
penfer que l’on ne vit pas dans ce pays le
des jardinsy furtout quant à l’étendue, pouffé
au degré où il fut porté à Rome. Il y avoit à
Athènes des jardins publics : telles étoient les
plantations de l ’Académie, & d’autres lycées,
gymnafes, où l ’on fe ré uniffoit, avoient des xyftes
ou plantations d’arbres, que les exercices & |e
climat rendoient néceffaires. Une partie du gym-
nafe de Sparte portoit le nom de platanijie
parce qu’elle étoit entièrement plantée de pfo_
tan es. Il faut encore mettre au nombre des jardins
d’agrément , ces efpaces plantés d’arbres !
ou ce qu’on appeloit bois Jcterés y. dans les enceintes
des temples.
Lucien nous a laiffé une defcription de l’enceinte
du temple de Guide , qui peut donner !
quelqu’idée de ce genre de jardins. « Le fol de I
» l'enceinte (dit-il) abonde, comme il eft na-
» turel dans un lieu confacré à Vénus , en pro-
» durions agréables. Les arbres qui portent juf-
» qu’au cieux leurs têtes touffues, enferment fous
» un épais berceau un air délicieux, qui répand
» à l’entour une fuave odeur. Là le myrte chargé
» de fruits, pouffe un feuillage abondant; la pré-
» lence de fa déefiè lui donne une vigueur nou-
» velle. Les arbres déploient, à l’envi l’un de
» l’autre, toutes les beautés qu’ils ont reçues de
» la nature. Jamais leurs feuilles ne font flétries
» par le temps une verdure éternelle;règne fur !
» leurs jeunes rameaux toujours gonflés de fève. )
» Quelques-uns ne produifent point de fruits; |
» mais ils en font dédommagés par une beauté
» particulière. Le cyprès & le platane s’élèvent 1
» au plus haut des airs, 8c parmi eux, le laurier i
» qui fuyoit autrefois Vénus , vient chercher un i
» afyle auprès d’elle. Le lierre amoureux rampe
» autour des arbres, & les lient embraffés. Des
» vignes entrelacées & touffues font chargées de
» raifins....» Dans les endroits où le bocage
» donne l’ombre la plus épaiffe, des lits de ver-
» dure préfentent un doux repos à ceux qui vou-;
» droient y faire un feftin. Les citoyens diftin-
» gués y viennent quelquefois, & le peuple sy
» porte en foule les jours de fê te , 8cc. »
Chez les Romains , le goût des jardins d’agrément
luivit naturellement les progrès du luxe..
Adonnés à la vie champêtre dans les fiècles delà
république , \es jardins de leurs.campagnes étoient
d’utilité plus que d’agrément. Rome étoit alors«
trop refferrée pour permettre de réunir dans les
maifons de v ille , l’agrément d’un jardin. Mais
lorfque l’étendue de Rome n’eut plus de terme,&
que les limites de la ville Ce furent agrandies
avec celles de l’Empire, on y vit des jardins de
particuliers d’une grandeur dénie forée. Le mot
hortus avoit d’abord défigné un jardin potager.
Bientôt on n’employa plus ce mot qu’au pluriel,
hortiy, 8c l’on dit les jardins de Pompée, de LucuLjv
f f
forme, donne le nom d'hippodrome. Son enceinte
étoit formée de platanes ornés de lierres qui cir-
culoient dans les branches , 8c paffoierit d’un arbre
•à l ’autre. L’extrémité du parterre ( ou hippodrome)
I. He Mécène. Ces jardins compris dans l’en -j
I inte de Rome, avoient des viviers des vergers,
T. nolagei-s, des parterres, & tons les batimens
I ÿlnSment dont chaque partie d un grand jardin. _
Ë § être ornée. Les progrès de l'agncultare, Urt
1 railler de greffer les arbres , de natnrabfei des I Unies étrangères, vint augmenter les reflburces I ’i, luxe & celles de l ’art du jardinage. I Nous ne devons pas douter de la magnificence
„ 'c e s citoyens , plus riches que des rois I por-
dans la compofilion 8c la décoration de
I ta»jardins- Toutefois la critique des Modernes I n’a Pu s’exercer que fur les lieux & les emplace-
I me„s qu’ils occupèrent. .
I Ainü l’on croit que les jardins d Agrippa, lé-
bnéstiar lui au peuple romain, étoient entre le ,
I Panthéon & l’églife Saint-André. Les jardins
■ il’Affrippine, femme de Germamcus , étoient entre I j. hafiliqne de Saint-Pierre & le Tibre. Leyartlms
I lié Caïus & de Lucius , fils adoptifs d Augufte ,
étoient fur la colline des Efquilies. On croit que
I le mont Cælins, près de la maifon de Lateranus
I r qui eft aujourd’hui Saint-Jean-de-Latran ) , tnt
I occupé par les jardins de Domina, appelés de- I puis les jardins de Commode. Les jardins d e là I maifon dorée de Néron s'étendaient fur les El-
| cmilies, jufque vis-à-vis le Palatium. h e s jardins I d’Héüogabale furent fitués près de la porte Ma- I jeure jadis Nævia. Les jardins que Gelar légua I in peuple romain, avoient été plantés dans le
■ roifinage du Tibre. hes jardins des Lamieus, ü I aimés de Caligula, étoient fur les Efquilies , près I de Sainte-Marie-Majeure i les jardins de Mécene
I à l’endroit où l'on a trouvé le monument appelé
I Trophées de Marias. Les {emeuxjardins de Salinité I étoient fnrle Quirinal, vers la Porta Salaria.
Il exifte encore chez les auteurs, des fouvenirs
I de, plufieurs autres grands jardins y plantés dans
■ l’enceinte de Rome. Mais en ce genre, tout le
borne à la tradition de leur emplacement. Tout a
difparu, & aucune defcription ne nous a tranfnns
l’idée de la compofilion & des décorations de ces
monumens célèbres de la magnificence romaine.
Les notices quon peut recueillir à cet égard,
font fi vagues 8c fi peu complètes, qu à peine eft-
il poflible de fe faire une idée de quelques parties
ifolées. Quant à l ’art avec lequel elles étoient diftribuées,
c’eft-à-dire, quant au goût général du
jardinage, nous ferions réduits- à n’en pouvoir
ben dire, fi Pline le jeune ne nous avoit pas tracé
une efquiffe de fes jardins , dans la defcription de
fes maifons de campagne de Laurentum 8c de T01-
cane, dont nous avons donné e une tradu&ion au
mot Maison de campagne. ( Voyez cet article.)
On voit furtout dans la defcription de la mai-
fon de Tofcane, que le jardin étoit un affemblage
de plantations, de fabriques, de fontaines, de baf-
fins qui offroient tous les agrémens que l ’art peut
combiner. En face du bâtiment principal s éten-.
doit un. vafte parterre, auquel Pline, à caufe de Ca
offroit une ligne circulaire plantée de
cyprès. Des allées circulaires aufii, aboutifloient
à' l’extrémité du parierre. Cette vafte enceinte
étoit remplie d’arbres fruitiers 8c darbuites gui-
•niflànt les plates-bandes. 11 paroît que l’on avoit
figuré dans ces plantations, non-feulement-le déifia
général d’un hippodrome , mais encore les détails
de ce genre de monument. C’etoit une forte
d’imitation. Des arbuftes taillés avec art, en manière
de bornes, des buis découpés , reprodui-
foient l ’image des objets formant ce qu’on appelait
Vépine dans les cirques. # ,
Il faut lire auffi la defcription àujardin àe,Laurentum
, pour fe faire une idée de la variété que
l’on favoit alors introduire dans les jardins y en
multipliant les points de vu e , en mariant les
duôlions de toute elpèce , en entre-mêlant les bâ-
timens, les prés, les vergers, les plants de vigne ,
d’arbres fruitiers, 8c les arbuftes d’agrément.
L ’idée qui ré fuite de ces delcrip tions, éft que
\es jardins dévorent être fournis à des dilpôfitiôns
régulières ou fymétriques, 8c à des pians fort
j éloignés du genre nouvellement introduit en Europe
, lequel a tranfporte dans le jardinage l irrégularité
de la nature champêtre. Cependant, un
paffage de la defcription du jardin de la maifon de
Tofcane, paffage que n’ont pas aperçu lés écrivains
promoteurs du nouveau fyftème , féinble
donner à entendre que ce fyftème dé jardinage
naturel, fi l ’on veut, irrégulier 8c agrefté, n’étbit
pas mGOnnu, 8c que l’on en üfoit cotiaine d un
moyen de diverfifier les effets, ou de produire
des oppofitions agréables. Pline , eu parcourant
les différentes parties de la cdmpofition dé fon
jardin , 8c celle furtout qui femble olïrir le plus
de ce .goût artificiel, que réprouve la nouvelle
méthode, s ’exprime ainfi : E t in opère Urbanif-
jimo fubita velut illati ràris ïmitatio medium
in fpdtiuni brevioribus utrin(fûè platanis
adornatur. Epift., lib. 5. . .
Dans la tradu&ion déjà donnée de cette defcription
à l’article Maisons de campagne dés Anciens f
ce paffage efl rendu vaguement, 8c n’exprime pas
affez réellement le fens de l’auteur. On peut, } ce
me femble, le rendre ainfi : E t de ees plans d un
de/Jîn J i peigné y vous pajjez fuhitement , comme
tranfporte dans les champs y à des plans agrejles
qui en fo n t une imitation , & qui occupent le
milieu du terrain bordé de côté & d’autre par des
platanes peu élevés. Il eft fenûble que ces mota
illati ruris imitatio expriment, comme on l ’ex-
primeroit aujourd’hui en parlant du fyftème de
jardins irréguliers, cette imitation qu’on produit
de la campagne laifl’ée à elle-même , en évitant
tout ce qui font la fytnétrie 8c l’ordre réfuitant
du fyftème de régularité. Croirons-nous cependant
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