
l tendront à établir un rapport de mefure entre
I la grandeur de la .place , dés édifices qui l’en-
■ tourent,& celle de la ftatue _qui en fera la déco-
j ration , ainfi que ceiles qui peuvent, déterminer
■ la relation du monument avec le fiens auquel l ’art
doit s’adreffer. Ce qui met le plus d’incertitude
dans ces règles déjà très-vagues & très-généra'les ,
mef tirer, font suffi-vairs que les calculs de l’art qui
veut Tafïujetrir à Ton compas.
Mais des écarts de ce genre n’appartiennent ni
à tous les peup1 es, ni à tous les artiftes ; peut-être
même une telle idée ne fauroit-elle fe reproduire
une fécondé foisj. L ’art qui tenteroit cette redite,
chez un peuple dont l’imagination ne feroit pasH
ait niveau de- ce mode de conceptions , cburroit
tous les rilques. du ridicule-qui femble toujours
faire le revers du fublime.
La proportion des figures avec les édifices doit
donc fe déterminer ordinairement par les-règles
générales de cette convenance, qui établit unecorré--'
iatiôn de grandeur dans toutes les parties d’un tout.
Perrault, dans fa théorie du changement dés proportions
, ne femble pas avoir allez- compris cette
rè.efie, & l’obfcurité qui fe trouve- dans fes principes
à cet égard, réfulte de l’habitude .quM a
de confondre l’idée de proportion , avec celle de
dimenfion. Les anciens en changeant, en exagé- '
ran’t les dimenfions des figures , ne changeoient rien
à leurs proportions; ainfi, Perrault ne changeoit
pas non plus les proportions de la ftatue équeftre
qui devoit fervir de couronnement à fon arc de
triomphe ; mais il en dèvoit proportionner la
dimenfion à la maffe de .l’édifice & à l’éloignement
où elle devoit être du véritable point de vue;
c’eft ce qu’il, devoit dire , au lieu de prétendre,
comme il le fait, que fon intention étoit de faire
paroître fa figure coloffale.
L a grandeur n’exifte que par rapport ; ainfi,
une figure très -- coloffale , comparée a la ftature
humaine, peut devenir un pygmée fi on la place
à une très - grande diftance de l’oe il, ou fur un
monument dont les maires feroient prooigieufement
gigantefques, Perrault devoit faire fine figure co-
lôfrale, puifqùe la maffe de fon monument étoit
énorirçe ; mais il ne »devoit pas prétendre à la faire
paroître telle, car alors elle eût paru fans proportion
avec l’édifice.
En rapportant uniquement à l’harmonie d'e l ’ar t,
et à la corrélation naturelle des parties dont~fe
compofe un édifice , lav mefure des ftatues ou figures
qui forment fa décoration -, on auroit tort de fe
flatter qu’il put exifter de règle tellement fixe &
déterminée , -que le goût n’eût plus de part à cet
accord. • Si les membres' même de l’architeâure
font fournis à une variété de mefure & de proportion
, que le mode & le càraftère des édifices laif-
fent-à l’arbitraire du fentiment, l'on doit fentir
combien ce rapport de grandeur, entre les figures
& TarchiteRure , eft moins fufceptibiè. encore de
pouvoir fe calculer avec précifion ; c’eft à l ’artifte
. à fentir ce genre d’harmonie, d’après le principe
générai qu’on a indique.
Il eft encore moins aifé de fixer les dimenfions
des ftatues qu’on élève au milieu des places publiques.
Les deux feules règles à fuivre feront celles qui 1
eft la difficulté de fixer au plus grand nombre des
fpecLteuis, le véritable^point de vue pour lequel
a été fait le monument ; car malheureufement,
âpres avoir donné des règles aux artiftes , il enfin
droit- auffi donner à "ceux qui les jugent ,^&de-
public auroit auffi befoin d’apprendre à voir les.
ouvrages" de l ’art. Tout monument eft fait pour
être vu d’un certain point , & ce point eft celui
d’où l’oeil peu tT’embr aller en entier fans fe mou-
' voir , fans contraction , fans rétréciffenient ni
dilatation. ( Voyc{ Angle visuee. ) C ’eft de ce
point qu’il faut juger les dimenfions d’un ouvragé
• d’art ; elles feront vicieufes fi., eftiniées & appré-
■ ciées de ce point de vue, elles offrent .des. rapports
©utrésavee les objets envirpnnans, & qu’aucun motif
allégorique n’auroit produits , ou ne fauroit juftir
fier. (Voye{ C olosse.)
COLOSSALE, C olonne. J’ai dit que l’idée
de co'.o-ffal ne po.ùvoit qü’improprement s’appliquer
à l’architeaure, parce qu’aucun modèle pris
dans la nature, ne pouvait donner à cet art de
dimenfions déterminées ; cependant, l ’ufage permet
d’appliquer ce mot & i ’idée qu’ il repréfente , à ces
- colonnes ifolées , dont la hauteur" prodigieufe fort
fi évidemment de la dimenfion ordinaire’ de celles
qu’on emploie dans les plus grands édifices. De .ce
genre font les colonnes -triomphales des Romains-
qu’on admire encore, & qui peut-être ont .du
leur falut à l’admiration qu’elles, ont fui infpirer
aux barbares des différens âges. On peut voir là
defcription de ces .monumens aux articles A nto-
NINE T ll A J ANNE j .&CLa
colonne la plus coloffale qui exifte & qui ait
peut-être jamais été conftruite , eft celle de Londres,,
qu’on appelle le monument. Elle fut érigée à Focca-
. fion d’un grand incendie qui ravagea cette ville ; elle-
eft-cannelée,, d’ordre dorique., & a depuis le pavé-
deux. cens pieds anglois fon diamètre en a quinze ,
& le piédeftal quarante de haut:
On trouve la defcription de ce monument a,
l’article W ren , célèbre architecte Anglois qui
en fut le créateur.
COLOSSE , fubft. mafe. La définition de ce mot
- fe trouve dans fon étymologie colos 3 grand , &
offos, oeil ; c’eft-à-dire grand à la ' vue.
D’âpres cela, ce terme peut s’employer pour
exprimer tout ouvrage qui fe fait. remarquer par
une grandeur hors des mefures ordinaires ; I’ufage
cependant l ’a affefté aux repréfentations du cqrps,
humain, dans lefquelles la fculpture exagère les dimenfions
naturelles de l’homme-
Les exemples de ce goût pour les figures eolofi j
fales, furent auffi communs chez les peuples de
l’antiquité qu’ils font devenus rares chez les modernes.
C ’eft ordinairement à i’orgiieil de quelques
.hommes, & à l’adulation de la multitude , qu’on
attribue cette exagération dans le langage des arts.
Il y a , fuivant moi, une autre raifon de fon .origine
, & dont l’analogie eft d’autant moins apparente
qu’elle tient de plus près .à Thiftoire même des arts.
On eft obligé de s’en convaincre lorfqu’on fait réflexion
que ce goût pour les dimenfions gigantef-
ques chez la plupart des peuples contemporains de
l ’enfance de l’art, a précédé la fcience des proportions
& celle de l’imitation ; l’Afie & l ’Egypte en
-font foi, dans lès reftes de leurs plus antiques monumens.
"
Lorfque les art-s d’imitation font privés des
moyens intellectuels de parler à Tefprit, il faut bien
qu’ils emploient les Lignes matériels & groffiers qui
frappent les fens. Ne pouvant exprimer la force, la
puiffance, par l’entremife du deffin & des proportions.,
ils appellent à leur fecours la grandeur des
•dimenfions ; à-peu-près Comme les pantomimes q u i,
réduits aux geftes, font obligés de les outrer, &
d’exagérer tous les-fignes qui peuvent les faire comprendre
; telle eft une des. caufes du goût gi-gân-
teïque qui règne dans les fimulacres de l’Egypte &
de l’Afte. .
-Les divinités-colofTales furent très en ufage dans
ces contrées. La defcription du palais & .du. temple
-attribués à Sémi-ramis en préfente plufieûrs , & en-
tr’autres un fimulacre de Jupiter de quarante pieds .
de hauteur. On voit dans Daniel, qu’en effet les
temples, ainfi que les palais des Babyloniens étoient
remplis de ftatues d’une grandeur énorme. Toutes,
les contrées de l’Afie offrent encore aujourd’hui
de. ces monumens monftrueux par leur dimenfion ;
quelques-uns remontent à la plus haute antiquité.
Les têtes de trois ftatues du temple de Tille d’Elé-
phanta ont cinq pieds de longueur ; d’où l’on peut
conclure quelle doit être la mefure de ces ftatues
entières. La Chine , l’Inde & le Japon, rempliffent
leurs pagodes d’idoles gigantefq'ues. Le voyageur
Rubriguis, dans un voyage qu’il fit à la fuite de
l ’empereur Kamg-hi, du côté de la'grande muraille,■
me fur a une idole qui'occupait toute une grotte,
■ & la‘ trouva de cinquante pi'e.ds chinois dè hauteur.
Les" Egyptiens égalèrent les Afiatiques dans ce
.goût pour les figures gigantefques, & ils les fur-
passèrent, finon dans la hardieffe, des. dimenfions ,
au moins dans la beauté du travail & de la matière^
Séfoftris femble être le premier, félon l’hiftoire ,
qui ait élevé de ces maffes col© lia les ; on dit qu’il fit
donner trente coudées- de hauteur à fa ftatue & Ji
celle de fa femme, qu’il plaça devant le temple de
Vulcain ; celles de fes quatre enfans, qui les accom-
pSgnoient, aveient vingt coudées.
Ses fucceffeujri imitèrent cet exemple. La ftatué
coloflàle, dont on voit encore les débris p-afini les
rumés -de Thehes , fut élevée par Aménophis IL,
fous 1er o.n de Memnon ; l’é;. oulè d’Aménophis III
eut une ftatue dé vingt coudées ; Rhamfinite fit ériger
à Memphis, près du temple de Vulcain , deux
ftatues de vingt coudées chacune, dont Tupe s’ap-
peioit L’été Sc l’autre l ’hiver. Si les ftatues coloffales
de l’ Egypte font plus connues que celles de l’Afie ,
c’ eft que lors de la conquête des Romains, il en
exiftoït encore un grand 'nombre. Appien, dans
Pline, dit que de fon. temps on y voyoit un Séra-
pis de neuf coudées tout garni d’émeraudes, & le
temple de Thèbes préfentoit encore .trois coLoJJes,
dont le principal, repréfentant Oimander, avoir cinquante
pieds d’hauteur. La ftatue de Semnefeftres ,
que Pythagore alla vifiter, qui fut tranfportée à
Rome & placée dans le grand cirque fous Augufte,
étoit de cent vingt-cinq pieds fans fon piédeftal.
Le goût pour les ftatues coloffales, identifié chez
ces peuples' avec le culte de la divinité, devoit
naturellement fe communiquer aux Grecs avec toutes
les fuperftirions qui filtrèrent chez cette nation.
Il paroît que ce genre de langage qui tantôt femble
appartenir à d’enfance des peuples & à la difette
des facultés intelleâuelles que l’étude n’ a fu y amener.,
& qui tantôt paroît être le maximum àes efforts
de l’imitation & comme le réfultat d’ une articulation
furnattirelle, fe développa-en Grèce dans tous
les périodes de l’ art. L’iiiftoire nous montre de fem-
blables monumens dans la ville de Chamnis : le haut
du veftibule du temple de Perlée, fils d’Alchemène ,
étoit couronné par des colojjes de pierre.
On en voyoit, dit Paufanias, de fort anciens dans
; la Laconie, & par conféqüent de fort groffiers ; ils
avoierit trente coudées de hauteur, mais à peine la
tête, les mains & le .bout des pieds fortoient-iTs de
l’enveloppe groffière où la timidité de l’art avoit
laiffé le refte de la figure. Faire l ’énumération .de
tous les coloffes qu’on admiroit en Grèce feroit l’objet
| d’un travail fort'etranger à cet article.
On ne fauroit cependant fe refufer à faire mention
de celui que les hiftonen's ont tant célébré, & qui
ornoit l ’entrée du port de Rhodes. Apollon ou le
Soleil _étoit repréfenté fous les traits de cette figure
gigantefque , à laquelle on ne fauroit donner, d’après
le rapprochement de tous les calculs , moins dé cent
vingt-huit pieds de hauteur. Peu d’hommes pou-
voient embraffer fon pouce ; & fes doigts avoient la
hauteur ordinaire d’un homme ; les vaiffeaux paf-
foient-èntre fes jambes ; ce qui n’étonnera pas , fi
l’on fait attention que, d’une _ part, elles étoient
placées elles-mêmes lur des rochers qui les exhauf-
foient encore, & que de l ’autre , les vaiffeaux de
ce temps étoient bien moins élevés en mâture que
ceux du nôtre. Charès , difcipie de Lyfippe , fut
l’auteur.de cet ouvrage, que fa hauteur déméfurée,
moins' peut-être que la foibleffe des points d’appui,
ne put faire réfifter aux fecouffes d’un tremblement
d: terre. Rhodes .comptoit une centaine de colojjes,
quoique inférieurs en hauteur à celui qu’on vient