
Gait retrouver les routes par lefquelles ont paffé
leurs conceptions, a appris à s'en frayer de fem-
blables, & imite moins leurs oeuvres que l’efprit le
'fyftême ou les principes qui préfidèrent à leur
•confe&ion ; lorfque le'.fecond ne -fait que répéter
•l’idée d'autrui, & fe traînant fervilement fur fies,
•traces,ri’a réellement de mérite qu’autant qu’il fait
difparoître effe&ivement lui-même pour ne faire
voir que fon original. Ge qui fait le mérite de l’imitateur,
conftitue le-vice du copifte.
Comme c’eft dans la vue de former des imitateurs
, que l’on rend les élèves coprftes dans leurs
■ premières études, on ne fauroit trop les habituer
•à faire cette diftinéUon ent-re l'imitateur & le copifte.
Il faut copier, fans doute , pour apprendre à
imiter j mais il faut imiter de bonne heure aufli
pour apprendre à n’être pas copifte. On devra
tâcher de tenir le jufte milieu entre ces études,
fuperficielles qui ne font qu’effleurer toutes les ;
connoiflances , -qui., trop légères pour dompter j
l’efprit, ne peuvent alfouplir à l’exécution le reffort
trop a â if de l’imagination, & ces méthodes péniblement
mécaniques, fous le joug defquelles les
facultés inventives s’engourdiffent & fe trouvent à
la fin paralifées fans reffource.
Il n’y a , je crois, point d’art dont l’étude demande
plus l’application de cette diftin&ion que
l’art de l’architeélur-e. I l n’y en a pas, en effet,
où la confufion foit plus facile entre l’idée de
■ copier & l ’idée d’imiter. S i , comme on l’a dit plus
xl'une fois, l’idée de copier ( dans fo.n rapport avec
les arts du deftin ) s’applique aux ouvrages de l ’art,
S i l’idée d’imiter à ceux de la nature ; l’on comprend
fans peine qu’ un art qui n’a point de modèle pofitif
dans la nature, & dont par conféquent l ’imitation
eft plus intellectuelle & plus métaphyfique que
celle des autres arts , doit trouver plus -facilement
S l produire plus de copiftes que d’imitateurs, c’eft-
à-dire , plus d’hommes répétant les idées & les
conceptions d’au tru iq u e de créateurs & de véritables
inventeurs.
C ’eft ce que l’expérience n’a que trop prouvé ,
& ne démontre que trop tous les jours.
Il étok difficile, & il le fera toujours, de bien
établir dans l’architeâure la véritable fépâratiôn
entre l’imitation inventive & l’imitation copifte.
Les maîtres n’ayant à préfenter aux fens d’autres modèles
que des ouvrages de l’art, l’efprit & les yeux
s’habituent à n’en chercher les règles & les principes
que dans les monumens de la main, de l’homme.
11 faut ou un fentiment profond’ du beau & du
vrai, ou une affez grande force d’entendement pour
arriver jufqu’au véritable modèle de l’architêâure,
•po,ur pouvoir le faifir, l’embraffer, l'étudier & en
tirer avantage. Il eft beaucoup plus fimple de voir
cé qui a été fait & de le répéter par les reffources
bannales des mefures, du compas , & des procédés
faciles avec lefquels l’architeéfure peut fe copier.
Car il faut le dire encore, s’il n’y a point d’art où
l ’imitation dans fon fens moral foit plus difficile, il
ri’y en a pas non plus où la copie dans le fens
mécanique que l’on peut donner à ce mot, foit plus
aifée. La mefure & le compas ne fuffifent pas pour
répéter une ftatue. Un édifice, au contraire , peut
fe copier mécaniquement.
Mais fans prendre ici le mot copier dans un
fens trop matériel, nous dirons que les architeâes
modernes ont prefque toujours été dans l’ alternative
d’être de vrais copiftes ou de faux inventeurs. La
prétention au génie & à l’invention, a prefque
autant nui à l ’àrt que l’abfence d’invention & de
génie. Il s’efit trouvé, dans tous les temps, des
hommes qui , incapables de faifir le point de vérité,
& ce milieu où elle fe trouve ordinairement, pour
fuir le reproche de copifte, ont placé l’invention
dans une forte d’extrême, qui, toutefois, n’en.eft
un qù’en ce qu’il eft le nec plus ultra de la dé-
raifon. Jugeant indigne d’eux de répéter ce qui
avoit été fait avant eux, ils ont cr.u être origi-,
naux en créant, de toutes les chofes trouvées ,
des combinaifons dont le fieul mérite auroit été d’|tre
nouvelles, fi l’on pouvoit appeler nouveau cé qui
n’eft qu’infolite. Ils fe font imaginés que la nou-
: veauté étoit de l’invention , & ils ne fe font pas
apperçus que s’il y a du nouveau dans toutes les
inventions, il n’y a pas réciproquement de l’invention
dans toutes les nouveautés.
L ’étude de l’antique a , depuis quelques années ^
cléfabufé les efprits de ces fauffes inventions & de
ces ftériles inventeurs, auxquels on préféreroit fans
contredit le mécanifme des copies & des copiftes,
pourvu que leurs originaux fuffent bons. Cependant
, on n’a prefque encore fu ni copier l’antique
ni l’imiter. Un .efprit de routine s’eft emparé
déjà des uns , & la manie de î’innovjation a déjà
corrompu les autres. L’on voit faefifier à un courant
de mode les cara&ères dont les Grecs formèrent
l’écriture architecturale , & à l’aide desquels ils
furent exprimer un fi grand nombre .d’idées & de
fenfations diverfes.
Comme fi ces caractères n’ étoient pas affez nombreux
pour fubvenir à tou* les befoins du génie
moderne, les artiftesfé tourmentent vainement à en
imaginer de nouveaux : & cependant, loin d’avoir
épuifé les combinaifons naturelles de ces caraétères,
on peut affirmer qu’aucun des ordres n’a encore
reçu dans aucun monument moderne fa véritable
per feCtiôn. Tout eft encoreà faire -en ce genre : n’importe,
on s’épuife en tentatives & en effais infrucr
tueux d’ordres ou de modes nouveaux.
On ne fait quel fouvenir irraifonné de l’ar-
chiteCture antique attribue au dorique grec une
place exclufive dans tous les édifices. On diroit
que ce ffèroit pour l’oppofer au genre arabefque
& au genre gothique. Ce ftyle barbare , que les
grands hommes qui préfidèrent à la renàiffance
des arts avoient cru étouffer--, renaît déjà ? de
toute part. Partagés entre lu i, & je ne fais quel
caprice qui a érigé en mode & confacré jufqu’à
la décoration des plus légères Galles de fpec- tade s
tacle -, le ftyle le“ ; plus pesant, de l ’architecture
grecque, nos- artiftes blafés font devenus infen-
fibles à. ces nuances., innombrables que les anciens
avoient créées, a ces variétés de- ftyle fi deli-j
cates & fi fécondes, ,ils ne fentent plus que les
deux genres ■ extrêmes, ils ne coanoiflent plus1
que deux mçdes, le Dorique grec et le Gothique.
Ces pbfervatîorïs chagrines fans doute; mais!
que les vrais amis de l’art ne pourront s’empêcher
de partager, fe rapprochent d© la dif-
tin&ion que nous avons établie au commencement
de cet article, entre des mots copier & imiter.
Elles fe rapprochent également de celles q u i,
félon.-; nous, doivent préfider /à l’imitation du
ftyle antique 9( voyez A ntique ) qui développées
ailleurs, ne fe retrouveront point ici. Ce
n’eft;, donc point de copier l ’antique qu’il s’agit,
mais de limiter ; c’est-à-dire, d’en pénétrer l’efprit,.
de s’en approprier les procédés, & non
d’eia- répéter au hafard & fans, réflexion, les détails
et les formes,- Et Comment en effet fe flatter
raifonnablement d’atteindre par de pareilles
copies à la gloire immortelle des artiftes anciens,
lorfqu’on penfe à l ’extrême différence qui fe
trouve entre nos moeurs, nos ufages, nos lo ix ,
et celles de ces peuples? Pour être dignes de marcher
fur,leurs traces, il faut fentir comme eux;
ihais il faut fentir aufli librement qu’eu x , car
le copiflc fervile ne fent pas ; il ne fait que fe
traîner pefamment & aveuglément dans une
route dont il ne voit pas le but. Ainft le véritable
imitateur de l’éloquence antique n’eft point
celui qui hérifle un difeours lourd & pédantefqüe
.d’applications, de citations, de répétitions iii-
tempeftives, de fragmens tirés des anciens orateurs,
c’est celui qui, plein du beau feu qui animoit
Démofthène, produit' fans le copier, les mêmes
impreffions que lui ; & remuant comme lu i
des âmes humaines , ne femble avoir emprunté
les procédas de' fon art fublime , que
comme un flambeau qui s?aliume à un autre ,
exerce indépendamment & par lui-même la faculté
que celui-ci lui a communiquée , & confacré à
des ufages nouveaux & différens fa flamme &
fa lumière.
Telles.font d’ailleurs les reffources de l’art,
telle eft l’inépuifable variété des applications,dont
elles fent fufceptibles, qu’ il eft vraiment inconcevable
que nos artiftes, maîtres, en imitant le
ftyle antique , de fe réferver tout ce mérite d’invention
fi flatteur pour l’amour-propre & fi
neceffaire à la véritable appropriation des moyens
de l’art , aient préféré à ce mérite réel , - le fervile
talent de. retracer fans modification comme fans
motifs, un petit nombre de formes & de com-
binaifons. Sans doute , les proportions antiques
font faites pour féduire ; fans doute il y a déjà
du mérite à les copier de préférence ; mais elles
n’étoient qu’un mo^en chez les grecs, le véritable
but de l’art, le véritable triomphe du
DiÜ. d'Architeiï. Tome I I .
génie qui,les inventa , fut. bien moins. de les
avoir créées et mèfurces, que d’en avoir tellement
uni ■ remploi aux moeurs du temps &
■ aux deftinations locales , qu’un art en apparence
purement géométrique étoit parvenu a Je former
une poéfie prefqu’auffi riche, prefqu auui exprel-
five que. la peinture & la sculpture C eft dans
l’étude profonde des effets divers, des caraétère*
différens, des expreffions variées qui refultoient
de l’application ,de ces formes & de ces proportions
, que les artiftes ancrens puifèrent cet
art fublime qui fit de l’architecture un véritable
langage. C ’est en cela qu’ il est beau de les copier ;
c’est à leur exemple qu’il convient , & qu îL
eft encore temps d’étudier les impulfions nouvelles,
que les progrès du temps, des moeurs,
& ’ des lumières, ont imprimées aux peuples modernes
, de chercher dans les moyens immédiats
& invariables de l’art que les grecs nous ont
tranfmis , les analogies, fecrètes que la nature
peut avoir établies;, entre ces moyens & nos
ufages ; car quelque différens que ces ufages
pliment être des ufages antiques, ils font comme
eux un réfultat de’ la même, nature, de cette
même nature humaine., plus ou moins développée
fans doute , mais également fuiceptible dans
tous ;es temps des^ mêmes fentimens, des memes
facultés & des mêmes efforts.
Ainfi l’imitation de l’antique ceffera d etre une
copie fervile & prefqu’humiliante ; nous parlerons
la même langue, mais par cela même que nous
l ’appliqueroiis à des moeurs nouvelles , l’emploi
des mêmes mots exprimera ..de nouvelles idées,
& produira de véritables inventidns. Quelle eft
d’ailleurs, dans la pratique de l ’art, l’occafion
tellement pareille à une autre , quelle exige la
répétition exaûe des; mêmes procèdes ? Une
étude plus précife des divers ftyles & de . leur
corrélation avec les ufages divers auxquels ils
pourront convenir, tendra, je 1 avoue, a clamer
d’une manière plus diftiiiffe & plus fixe , l ’emploi
des'diverfes formes & des diverfes proportions,
& à déterminer plus techniquement., fi j’ofe le
dire l’emploi de certains plans , de certain«».
' combinaifons. Mais dans cette uniformité même,
combien ^imagination & le fentiment ne trouveront
ils pas. encore de reffources? Il n eft peut-
être pas dans l’antique deux colonnes du même
ordre qui aient exactement les mêmes proportions,
pas deux profils qui aient, entre eux une
parfaite reffembhr.ee. La variété des plans., des
fîtes des dimenfions eft infinie, & chacune de
ces fuppôfuions divetfés peut & doit influer fur
la manière d’employer un détail ou une forme
donnée, comme elle peut influer fur la manière de
fentir. C ’eft là , c’eft dans cette manière de fentir
que réfide véritablement l’indépendance du génie,
il faut en avoir une pour être digne de profeffer
les arts ; & lorfqu’on en a une à t o i , on peut
imiter fans doute, mais 1 on ne copie jamais.
K.