
beaucoup d’hommes. Il n’y a eu ni un premier médecin
, ni un premier ftatuaire, ni un premier archi-
ie&e, ni un inventeur de l'aftronomie. Aucun art,
à proprement parler, n’a été inventé. On ne fauroit
honorer de ce nom les effais informes par lefquels
ont dû commencer la peinture, la fculpture, l’ar-
chite&ure.
Défefperons donc de découvrir le premier inventeur
de l’ordre dorique, & n’allons pas furtout le
chercher dans la Doride plutôt qu’ailleurs, par cela
qu’il porte le nom de cette petite contrée.
Les noms en ce genre, & furtout quand il eft
queftion d’inventions grecques , feroient le plus
fautif de tous les indicateurs. La Doride n’a probablement
j>as plus donné l’être à l'ordre dorique que
Corinthe à l’ordre qui emprunta le nom de ce pays.
C Voye^ co rin thien, ) Qui ne fait combien de rai-
fons fou vent futiles ou éloignées concourent à
donner aux chofes des dénominations sans rapport
direft avec elles ? Il fuffit ou d’un monument fameux
dans un pays, ou d'un artifte, ou d'une tradition
équivoque, pour établir une défignation vulgaire à
laquelle 1 ufage fe conforme. N’avons-nous pas vu
de nos jours, en France, appeler ordre de Pcejlum ,
ordre pajloaien, cet ordre dorique dont il s’agit, parce
qu à l’antique Poffidonie, appelée depuis Paiflos &
enfin Pajlum, il en refte trois monumens très-remarquables.
Si les récits & les deffins des voyageurs
ne nous euffent appris que cent autres monu-
mens du meme ordre exiftent dans les ruines de cent
autres villes •antiques, peut-êtrePæftum eût donné
ion nom à notre ordre, comme peut-être la Doride
ou Doras auront tout auffi vulgairement jadis donné
le leur à l ’ordre dorique. C ’eft encore ainfi qu’on a
vu les vafes de terre cuite peints qu'on trouve en
Sicile & en Grèce , recevoir le nom de vafes
étrufques, parce que les premiers qui vinrent à la
connoiffance des antiquaires de l’Italie, furent trouves
dans le pays de l’antique Étrurie.
Si l ’on ne peut raifonnablement tirer du mot io-
rique aucune conséquence relative à l'origine de
l’ordre ainfi nommé, que deviennent les contro-
Verfes de ceux qui fe difputent fur l’efpèce de Do-
riens à laquelle il convient d’en attribuer l'invention.
Qu’importe que la Doride Phcenicienne, celle de
Pentapolis , celle du golfe Perfique , celle de la
G rèce, réclament dans les ouvrages des antiquaires
la gloire d’une découverte qui n’a pu être la découverte
de perfonne.
Ironsrnous auffi , fouillant les antiquités de l’antiquité
, rechercher ténébreufement les diverfes origines
des nations qui fe font fuccédé fur ce théâtre fi
mobile & fi variable de la Grande-Grèce & du Pé -
loponèfe? Qui peutfe flatter, au milieu de ces tranf-
continuelles de peuplades & de colonies, de
démêler aujourd’hui le- fil généalogique de peuples
qui ignorèrent eux-mêmes leur propre origine ,
puifqu'ils ne nous ont laifTé que des fables en pUce
d? faits.
V h écrivain moderne, W père P a ç li, fort de
l’obfcurîté qui accompagne de pareilles recherches
a pris à tâche de contredire toutes les idées reçuj
jufqu’à ce jour furie cara&ère du dorique en quef.
tion & fur les inventeurs de cet ordre. Deux équj.
voques très-faciles à détruire, ont fervi de bafe à
fon fyftème qui a pour objet d’attribuer l ’architecture
des temples de Pæftum aux Étrufques, & d’ap-
peler tofean ce que nous appelons dorique.
La première repofe fur l’hiftoire des origines des
peuples qui ont fucceflivement habité l’Itaïie méridionale.
Comme cette partie de l’Italie qu’on ap.
pelle la Grande-Grèce, avant d’avoir reçu ce nom
des colonies grecques qui s'y établirent, formoitune
portion du vafte empire des anciens Étrufques &
qu'enfin ce beau pays fut habité par eux avant de
l’avoir été par les Grecs , le père Paoli s’imaginant
trouver dans les temples de Pæftum un caractère
d’une beaucoup plus haute antiquité que celle des
peuples grecs, & nulle infeription ne conftatant la
date de ces monumens, s'eft plu à en reporter la
conftruélion à des temps voifins de la guerre de
Troy e , c'eft-a-dire à une époque à peu près fabu-
leufe, & à une date imaginaire.
La fécondé équivoque réfultc de l’ignorance
même ou l'on étoit encore lorfque le père Paoli a
publié fon ouvrage, des monumens des Grecs en ce
genre, & de la perfuafion régnante en ce temps que
le dorique des écoles & des maîtres modernes étoit
le dorique des Grecs.
Il eft vifible que l’archite&ure de Pæftum étant
la même archite&ure que celle de Syracufe, d’Agri-
gente, de Corinthe, d'Athènes, de. Tarente, de
Samos, & c . , il faut vouloir que ce foient des Grecs
qui ayent bâti Pæftum, ou confentir à croire que ce
feront des Etrufques qui auront bâti à Athènes.
Il eft vifible enfuite que la différence qui exifte
entre l’architeâure de Pæftum & le dorique, tels que
les modernes l’ont pratiqué, ne pourrait laiffer de
doute fur cette queftion qu’autant que les monumens
de Pæftum feroient feuls de leur efpèce; &
c’eft dans cette hypothèfe qu’a raifonné le père
Paoli, & c’eft dans cette feule hypothèfe que fa
théorie devient tolérable. Mais fl l ’ordre dorique eft
grec d’origine, & s'il ne fe trouve en Grèce aucun
édifice reffemblant au dorique moderne , fi tous au
contraire reffeinblent à l'architedure de Pæftunij
ne réfulte-t-il pas de là avec la dernière évidence
que l’ordonnance de Pæftum eft d’ordre dorique;
autrement il faut nous dire de quel ordre eu le
temple de Théfée à Athènes, celui dé la Concorde
à Agrigente, celui de Cérès à Segefte, &c. &c. &c.
Que les temples de Pæftum ayent une proportion’
plus ou moins courte & des formes plus ou moins
maffives, il ne dérive de là aucune conféquence en
faveur du fyftème dû père Paoli. On retrouve la
même majjivite de formes & de proportions àTho*
ricion, à Syracufe, à Corinthe où. les Etrufques
n’ont fûrement pas été conftruire. Mais le pète Paoli
a ignoré ces rapprocheraens ou a feint de les mécon-
noître. fir puis-qwjijue telle ou telle .proportion to*
bien f(m doute un carafiériftiquc d’un ordre, Il ne
fuit pas que telle ou telle variante dans la pro-
S Cil r i . . — Cr,(Tr. h « wrrlrf» n a r t i r n l ip r
portion d’une colonne en faffe un ordre particulier.
5u tous les monumens grecs que nous avons râpon
s font des monumens doriques maigre leurs variations,
variations qui s’obfervent également dans
les autres ordres, & alors ceux de Pæftum font auffi
doriques, ou fi ceux de Pæftum font tofeans, ceux
d’Athènes font auffi tofeans. Ou les Grecs, inventeurs
du dorique ont dû, ainfi que les auteurs nous
l’apprennent auffi , conftruire leurs temples & celui
de Minerve à Athènes en dorique, & alors le dorique
des modernes, au lieu d’être le dorique véritable ,
ainfi que le père Paoli le croit, n’en eft qu’une abufive
tradition; ou fi le dorique moderne eft le véritable ,
les Grecs n’ont donc point employé le dorique dans les
monumens en queftion , mais bien l’ ordre tofean ou
un ordre inconnu. Ainfi les deux propofitions qui
réfultentdesdiffertations du père Paoli, font deux
abfurdités ; car il en réfulte ou que les Grecs auraient
conftruit en tofean des monumens que les
auteurs contemporains nous apprennent avoir été
doriques, puifque tous font tels que ceux dje Pæftum,
ou que les Grecs n’auroient jamais employé le dorique,
puifque le dorique tel que les modernes l’ont
connu & tel que le père Paoli le connoît, n’exifte I
nulle part en Grèce.
L’amour-propre national & le défir de donner à |
l’Italie une architecture indigène , ont pu feuls
aveugler cet écrivain fur les conféquences de fon fyftème
, ainfi que fur la futilité des moyens dont il
l’appuie. Il conclut, par exemple ,d e la maffivité des
colonnes de Pæftum, que les prétendus Étrufques
ajvoient été chercher leurs modèles en Égypte, &
cela parce que les Égyptiens faifoient des colonnes
maffives: mais n’eft-ce pas plutôt parce qu’il lui im-
portoit dans fon fyftème de donner à Ion tofean
une origine étrangère à la Grèce.
Que l’on puiffe retrouver dans l ’architefture
Egyptienne quelques formes , quelques détails ,
quelques ornemens dont on reconnoiffe dans l’archi-
tefture grecque des traces & des indications, c’eft
ce dont tout le monde conviendra, furtout à l’égard
du chapiteau corinthien ( voyt\ corinthien ) ;
c’eft qu’en ce genre l ’analogie de lâ forme , jointe à
l ’analogie de la décoration entre les deux architectures
ne permet guère de croire qu’une telle fi mil i-
. tude ait pu être fortuite. Il n’en eft pas ainfi d’ une
reffemblance fondée fur un caractère général &
abftrait de lourdeur ou de légèreté. Avec de telles
analogies, il n’y a rien de fi étranger & de fi incompatible
en architeâure qu’on ne puiffe rapprocher.
Conclure de ce qu’il y a en Égypte des colonnes
courtes & maffives & qu'il s’en trouve auffi de
courtes & maffives à Pæftum , que l’ordonnance de
Pjftum & fon fyftème architeét onique dérivent de
lÉgypte, & fur un rapprochement fi vague fonder
férieufement la généalogie d'une architeélure -, c'eft
abufer de l’abus même de l’analogie. K'y a dans les
«tfchitç&ures de tous les peuples de points fte
reffemblance qui n’emportent neanmoins aucune
conféquenee d’imitation l’une de l’autre, parce que
ces rdfemblances tiennent uniquement à la nature
des chofes & à celle de l’efprit humain.
Si le père Paoli eut eu. connoiffance de ce nombre
prodigieux de monumens grecs, tous femblabfes à'
ceux de Pæftum, il eft probable qu’il n’eût pas
auffi légèrement bâti fur un point ifolé le fyftème
général dont.on vient de parler ; mais ce fyftème
même joint au filence qu’il garde fur tous les autres
monumens du même genre , prouve qu’il n’a connu
que Pæftum ; dès lors il eft tout-à-fait caduc, & je
n’en ai parlé auffi longuement que parce que la
grande érudition de l’auteur, & la célébrité de l’ouvrage
ne permettoient pas de laiffer l ’un ôt l’autre
fans réfutation.
Ce qui diftingue I’archite&ure grecque de toutes
les autres architectures, c’eft ce fyftème d'imitation
& de Proportion qu’on trouve éminemment en>
preint dans l'ordre dorique {voye\ a r ch it e c tu r e ,
cabane Ce cara&ère eft tellement propre à cette
archite&ure, qu’il en eft le diftin&if ipéciai ; & ce
caradère réfulte de l ’imitation qui fut faite des premières
conftru&ions en bois, ou des cabanes primitives
, fait qu’ on peut d’autant moins révoquer en
doute; qu’il eft conftaté par les documens hiftp-
riques & par l ’architedure elle-même qui prit foin
d’écrire & de graver fur lés édifices eux-mêmes1
l’hiftoire de cette tranfpofition. On peut dire que'
cette archite&ure porte empreints fur elle fes titres
généalogiques.
| Le fyftème de la charpente ou de la conftruéfiofi
en bois, tranfpofé dans les édifices de pierre ou de
marbre , eft donc ce qui conftitue l’architeéture
grecque. Le mode d’archite&ure oh cette tranfpofition
eft le plus lisiblement écrite, étant le mode
appelé dorique, il eft indubitable que l’ordre de ce'
nom eft l’ordre le plus certainement originaire de
la Grèce. Ainfi aller chercher l’origine du dorique
hors de la Grèce, c’eft contredire gratuitement les
notions élémentaires fur lefquelles repofe la connoiffance
de l’archicedure grecque. Que lès Étrufques
ou quelqu’autre peuple ayent pu fe rencontrer avec'
les Grecs dans une telle découverte, c'eft là un fait'
qu’on ne fauroit nier; mais la queftion a&uelle ferait
de le prouver : or c’eft là ce que nulle autorité hifto-
rique, nul fa it, nul monument, nulle ruine n’a pu
encore nous apprendre, tandis que la connoiffance
hiftorique'& pofitive du dorique chez les Grecs repofe
fur les témoignages & les autorités concurrentes
des écrivains, desarchite&es anciens, des monumens
nombreux de la Grèce. Ainfi l’ordre d’Athènes
& de Pæftum font entièrement femblables. Ainfi
l’ordre d’Athènes eft certainement dorique. Ainfi
la ville de Pæftum étant une ville grecque, l'ordre
de Pæftum eft du dorique. Le dorique, tel que les
modernes l’ont employé, a été inconnu aux anciens;
il n'y a donc d'autre dorique que celui d'Athènes &
de Pæftum , & ce dorique eft une invention des
Greçj , jufqu’à ee qu’on nous démoncrc