
De la décoration dans fon application particulière à
Varchitecture.
A envifager l ’archkechare fous le rapport du
goût, Si. indépendamment de la fcien.ce de bâtir
ou de la eonitruâion, est art le pré fente à nous
foir>' le rapport fpécial de décoration. Én effet, Part
de Fàrchite&ure n’eff autrè cHofe que l’art d’embellir
les conftruéHons qu’enfanté le befoin.
L ’archîteélnre a deux moyens principaux d’ajouter
le piaifir qu’elle fait produire aux formes commandées
par le ,befoin :
Le premier de fes moyens eft l’art des proportions.
Le fécond eft l’art des ornemens.
Quoique les proportions foient un des plus sûrs
& des premiers moyens de plaire qu’employé Tàr-
chiteélure , cependant, commences moyens font les
plus • intellêâueis , comme ils s’adreflent particulièrement
à l’entendement, on ne les compte pas
ordinairement parmi les moyens de la décoration.
J’ai dit que le fécond moyen de l’architeéhire 3
pour plaire , étoit l’art des ornemens. Je le distingue
de l ’art de l’ornement. Celui-ci confifle davantage
dans l’exécution des détails de la décoration.
( Voyi{ Ornement. ) L ’autre eft l’art de les
combiner , de les faire entrer dans le fyftêmè général,
dans l’ènfemble & dans l’ordre d’idées qui
conviennent à un édifice. C’eft proprement la décoration.
La décoration appliquée à l ’-architeéhire va recevoir
des mêmes principes que nous avons développés,
les mêmes règles, p
Le befoin produit des çonfirutfions, le piaifir
vient enfuite les embellir. ‘
La fource de ce goût pour l ’embeHifTement des
conftruâions, eft la même que celle que nous a
donné la théorie générale. La répétition des formes,
nécefiairement monotones du befoin , produit l ’ennui
; c’eft donc à introduire de la variété dans
ces formes, par l’application de tous les objets d’imitation
qui peuvent entrer dans le cercle de cet
a r t , que la décoration doit tendre.
Tout art méthodiquement confidéré eft une col-
leélion de règles, pour faire bien ce qui peut être
fait bien Si mal. La décoration architeélurale confinant
dans l’application aux formes du befoin des
objets qui peuvent embellir ces formés , il eft clair
que cette application peut fe faire, ou fans choix,
ou avec choix Si difeernement. La théorie pu la collection
des règles qui détermineront ce choix ,
conftitue donc l’art de la décoration, fous le rapport
méthodique ou d’enfeignemeat. Mais ayant de
donner dès règles pour le choix & l’application
judicieuse des objets dont fe compofe la décoration
de i’.:r Jîiteélure , il faut connottre. ees objets.
L’architeélure puife les objets qu’elle admet à
embellir les formes produites par le befoin, dans
trois fourçes qu’il eft important de connoître: l’ins*
tinél de ü variété, l’analogie, l’allégorie.
La première , qui paroît la plus générale , Si qui
eft commune à tous les degrés oh le trouve l’art de
bâtir chez tous les peuples de la terre , eft cette ef-
pèee d’inftinét dojrt nous ayons déjà parlé , Si qui
porte l’homme à orner pour le feul piaifir de la variété.
C ’eft de cet inftindl que procède une foule
de découpures , de broderies, de détails, de comparu
mens , de. couleurs, enfin de travaux plus ou
moins minutieux , qu’on retrouve fur toutes les
architeélures connues. C ’eft en vain que l’efprit le
plus philofophtque>, voudroit chercher une origine
à tous ces objets , dans quelque befoin de la conf-
truélion, ou dans quelqu’ufage politique & iuperf-
titieux5 ; on s’épuiferoit en vains fyftêmes fur. cette
matière. Examinez la nature de ce goût de décorer
dans l’enfant, chez lequel aucune alitre caufe de
moralité ne fe développe que le befoin irréfléchi d’imiter
, vous le verrez dans fes jeux, dans fes travaux,
découper, colorier fes informes ouvrages par
le feul beloin de la variété.
A quelque degré de raifonnement qu’on ait
voulu faire arriver dans la partie de la décoration
l’architeélure grecque, celle de toutes qui peut le
mieux fe fyftématifer , on eft forcé d’y reconnoitrs
un grand nombre dé formes & de détails qui ne
peuvent avoir d’autre bafe que celle qu’on vient
d’indiquer. C’eft-à-dire que.fous un certain côté,
l ’architeélure , ou pour mieux dire un édifice, fe
confidèrecomme un meuble , un vafe, un uftenfile -,
qui ne reçoit le plus grand nombre de fes ornemens
que pour le piaifir des y eu x , Si abftraélion faite
de l’analogie que les ornemens pourraient avoir avec
l’emploi de l ’uftenfile.
Vouloir trop prouver , e’eft s’expofer à ne prouver'rien
du tout. Tel eft l’inconvénient dans lequel
tombent ceux qui veulent expliquer tout en archi-
teélure. Une fois qu’on eft entré dans la carrière
de l’analogie , il n’y a rién qu’on ne puiffe déduire
des données vagues Si indéfinies qu’on prend pour
terme de comparaifon. C ’eft par une fuite de cet
efprit, puérilement fyftématique , qu’on a voulu
expliquer des différences de chapiteaux par des
modes de coeffures ; des cannelures, par les plis
des robes des femmes, ou par l’écorce des arbres;
des découpures coniques au bout des triglyphes, par
des gouttes d’eau. Le véritable efprit d’analyfe
réjette toutes ces explications ,^ui n’expliquent rien»
ou qui ne font- que Vobfcurum per obfcurius.
I l n’y a deraifonnable explication à chercher de tous
" ees
L*s objets que dans la caufe morale déjà indiquée.
|C’eft là qù’on trouvera la feule étymologie naturelle
Ides nombreux objets de décoration qu’emploie l’ar-
ichitcélure, auxquels lafantaifie feule de l’homme a
f donné naiffance, & qu’on ne peut confidérer que
■ comme moyens de variété.
I De ce genre font infailliblement les rofaees des
baillons dans les plafonds , les feuillages divers du
jehapiteau corinthien , les Volutes de l’ionique, les
Kores du1 dorique , les oves , les perles , les feuilles
11’eau , les affragales, les entrelas , la plus grande
»partie des ornemens dont on découpe lés moulures.
■ Je n’ignore pas que c’eft toujours dans les ouvrages
de la nature & dans plusieurs aufli de l’art,
ique la décoration va puifer la plûpart des imitations
■ dont elle tranfporte les imagés à l’architeélure.
«Auffi je ne prétends pas attaquer chacun de ces ob-
Ijets en particulier, comme purement capricieux & -
■ hors de toute analogie avec la nature. G’eft fimple-
ent de leur tranfpofiti.on dans l’architeélure qu’il
« s’agit, & c’eft cette application d’objets imités , fi
■ l’on veut, d’après nature, que je prétends n’avoir
■ dans la n?.turg_des chofes qu’une bafe problématique
B& conjedurale.
K Je fais encore qu’on a voulu déduire cette tranf-
| pôütion de plantes, de rinceaux & d’herbages , du
■J ha'àrd , qui'quelquefois en produit de naturels dans -
; les édifices abandonnés ê ï ruinés. Quelqu’hypo-
Bhétique & capriçieufe que foit encore une fembla-
Eble bafe, il me fuffit qu’elle ne puiffe convenir à une
■ foule d’autres détails d’ornemens , pour que je fois
■ obligé d’expliquer, par une autre caufe qûe celle de
vl’analogie, une grande partie de la décoration. Et
■ quand je trouve dans l’architeélure la mieux rai-
;.lonnée c?eft à-dire celle des Grecs, comme dans
Bes architeélures les moins fournifes aux règles , au
• raifonnement Si à l’imitation , des découpures , des
. " formes dont les modèles n’exiftent dans aucun objet
«de la nature j quand enfuite j’obferve que ce goût
■ commun à tous les peuples, l ’eft aufli a tous les ou-
■ vrages de l’induftrie humaine , j ’en conclus que la dé-
m-coration fe compofe en partie d’objets dont les formes
■ ne font dues qu’à l’inftinél'qui porte l’homme à in- 1 troduire de la variété dans fes ouvrages , Si qui fe rap-
I portent plus particulièrement au piaifir des yeux.
B i l ’art eft obligé de reconnoître que beaucoup
■ d objets de décoration dépendent, dans leur appli-
U cation., aux formes du befoin , & dans leur géné-
Q ration , du hafard , du caprice , ou de ce que j’ai
■ appelé l’inftinét de l i variété, il n’en abandonnera
Kpas pour cela la difpofition , l’ordre 'Si l’arrange-
!|.nient au même caprice ; & ici commence la diffé-
■ rence entre l’architcélure devenue a r t , & qui fou-
H ület toutes fes parties à des règles , c’eft-à-dire à la
^Kçcherche des caufes du piaifir , Si celles qui ne fui-*
■ jpent dans leurs inver.tions ci; combiniifons qiie
• mipulfion machinale de l ’inftinét.
DiSion. d'Arckit; Tome II.
Si chacune de ces parties ne peut Satisfaire la
critique févère , fous le rapport de fon origine & de
fou étymologie ; fi beaucoup d’entr’elles ne peuvent
rendre compte de la raifon qui les a introduites
dans h décoration-, fi enfin elles font réduites a
n'être , pour la plûpart, que des moyens de variété
.dans l ’enfemble de l’architedure, on exigera du
décorateur qu’il fâche les rendre tfiiles pat îapport
à l’effet qu’on en attend.
Or , il eft un effet que produifent les ornemens »
de quelque genre qu’ils foient dans_ 1 architeélure ;
c’eft celui de multiplier & de .renforcer les imprel-
fions que l’ art peut produire. ,
L’architeéture , on a déjà eu l ’occafion de le
dire plus d’une fois , eft de'tous les arts, celui
peut-être qui a le moins de priie lur-les affeftions
de l’âme, en ce qu’il eft peut-être celui de tous qui
s’adreffe le plus à l’entendement de 1 efprit. -b-s
images n’agiffent fur nos fens que d une maniéré
indirecte ; mais enfin, 11 fait' auffi exciter des la llations".
11 ne faut pas qu’il manque fes moyens , ou
qu’ il en abufe. Les impreffions que nous lait 1 ar-
chitedure dépendent des qualités qu’elle deve oppe,
& ces qualités fe réduifent à-peu-pres a celles de
grandeur ou de force , tordre ou £ harmonie , dp n-
chejfe , de variété ou de -piaifir.. .
, 'Suivant donc qué l’arcliits&ure voudra développer
dans un édifice quelqu’une de ces qualités,
pour produire fur notre aine les impreffions correl-
pondantes à ces qualités , elle appelle les ornemens ,
les choifir du les rejette au gré des rapports établis
entre leur emploi , &. l’effet qui en rélulte fur nos
fens.
Veut - elle produire en nous l’étonnement^ qui
réfulte de-la grandeur ou de la force , elle n acmet
que peu d’ornemens , parce que la divifion des parties
qui réfulte de l ’emploi des ornemens, aftoibht
i’idée morale de la force , comme. fouvent ils affectent
aitffi la folidité, dont l’apparence devient né-
ceffaire au caraSére de force qu’on veut prononcer.
Admet-elle quelques ornemens dans fon ensemble,
elle choifira ceux qui offriront le moins de détails ,
ou ceux qui paraîtront le plus dépendans de la conl-
trutlion même.
L’architeéture veut-elle exciter en nous l’admiration
que produit l’afpeci de la-richefle, ou veuc-
elie émouvoir les impreffions du piaifir, elle.choifit
parmi fes ornemens , ou les plus anondans en travail
, ou les plus légers dans les détails.
Voudra-t-elle porter dans notre ame des lenfa-
tions de fagefTe, de recueillement ou de gaieté,
d’hilarité , elle simplifiera plus ou moins ,
tipiiera plus ou moins.les moyens de variété que
j’appelle les ornemens. C ’eft que la multiplicité
des objets produit la diftraSion de, l ’efprit, c’eft
que l'unité de motif concentre la psnfée, en opère
le iccueiliement.
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