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•que la defcription que Pockocke nous donne du
chapiteau de cette colonne'. Toutes les proportions,
q u ’on peut lui foupçonner, d’après fa relation,
indiquent une ordonnance corinthienne ou compo-
fée. Cependant, il dit qu’on la croit dorique ; la
douzième pierre , dit-il, a la forme d’un chapiteau
tofcan & deux pieds d’épaiffeur. Le deffein du
voyageur Gaffas donne,’ au contraire la preuve
que le chapiteau fut corinthien. Ce qui a pu induire
quelques voyageurs en erreur, c’eft qu’ il ne
refte plus de ce chapiteau que le corps ou le vafe,
conftruit par alTifes de pierres, & autour duquel
étoient les feuillages ou ornemens en bronze qui
font là décoration ou le revêtiflement du chapiteau
corinthien. Les ornemens ont difparu , le corps du
chapiteau a été lui-même endommagé; cependant
fur une de ces pierres on découvre encore les
traces d’une infcription grecque qui marque, dit-
on , ou l’éreftion Ou la reftaiiration du monument
par quelque empereur. Au lieu modefte ou elle fe
trouve placée, fous les ornemens de bronze qui
la cachoient, on poUrroit plutôt foupçonner que
cette infcription porte le nom de l’architeéle ou
du reftaurateur de la colonne.
Dans l’état oh elle fe trouve aujourd’ h u i, toute
enveloppée qu’elle eft de cercles de fer, & menacée
d’une ruine prochaine , elle offrirQit encore
les moyens les plus facilçs d’être rappelée à
fa première beauté. Si jamais le goût des arts pou-
yoit revivre à Conjlantinople, cette colonne de-
viendroit un des premiers objets de leurs foins &
un des plus rares monumens de l’Europe. Elle
peut toujours fervir à prouver comment, avec plusieurs
amfes, on peut donner à une colonne ifolée,
un intérêt & une beauté que ce genre de monu-
mens femble n’attendre ordinairement que de la
grandeur & de l’intégrité d’un feul bloc.
Pockocke nous parle d’une autre colonne qui a
échappé à la curiofité de pîufieurs voyageurs ; 6n
rappelle la colonne deTempeteur Marcian, quoique
les Turcs la nomment Kish-Tash ( la pierre
ou la colonne de la pucelle ) , elle eft corinthienne
& de granit gris ; fon piédeftal environné de marches,
eft très-bien proportionné ; fon fuft paraît avoir
vingt-cinq pieds de hauteur.. On croit qu’il y avoit
deflus une infcription en bronze, du moins on en
juge ainfi par, des trous qui doivent avoir fervi à attacher
des lettres. On a er anfporté une colonne .pareille
dans les jardins du ferai 1, on la voit de Pera
à travers les arbres.
I l y avoit à ConfiantïnovU'deux colonnes, triomphales
, dans le. genre de celles de Traj ni & d’An-
ionin à Rome, Celle de Conftantin r.’ exifte plus.;
mais il refte encore le piédeftal & la première af—
fife du fuft de celle qui fut érigée à Arcadius^ptir
Théodofe. Il en fubfiftoit une grande^p-ârue
au commencement de ce iièule, & ces précieux
bas-reliefs, deftinés par Gentil Bellin, forment iu?e
fiait© de vingt-trois planches, dont la collection fe
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vend à Venife. Ce que ces bas-reliefs offrent cfe
remarquable, eft moins le goût de la fculpture
qui ne fauroit entrer en parallèle avec les monu-
mens de Rome, que la diverfité des édifices publics
qui font fculptés fur les fonds -, que la nature
de certains habillemens & coftumes, & diverfes
particularités qu’on ne retrouve fur aucun autre ouvrage
de l’antiquité.
L’extraordinaire richeffe du piédeftal & la foi-
bleiTe de fa fculpture-i, préfentent une nouvelle
preuve de ce que l’on a tant de fois avance, que
les arts font riche , alors qu’ils ne peuvent plus faire
beau. Il n’exifte pas fur toute cette maffe de piédeftal
une feule partie qui ne foit furchargee d’or-
nemens, & l ’on y en remarque même qui font
placés fur d’autres , je parle de cette petite danfe
d’enfans qui fe tiennent par des draperies, ôc fur-
montent la guirlande ' même dont le conge eft
orné. L’efpace que la guirlande, en le relevant
fur les angles laide vide, eft rempli par des figures
de fleuves ; la plinthe eft chargée de rinceaux,
le tore de feuillages, le filet d’un entrelas. Le.s
faces du piédeftal font occupées par trois rangées de
bas-reliefs, dont on compare le ftyle, la proportion
& l ’exécution à la fculpture de l’arc ^ de Septime
Sevère à Rome. Au-deffouâ du dernier rang de
figures, eft un ornement bizarre qui fe compofe
de petites colonnes foutenant des arcades.
La première ou , fi l’on veut,, la derniere af-
fife du fuft de la colonne , a confervé des r eft es ^ de
bas-reliefs qui indiquent des marches militaires, c eft
le même fyftême de compofition , la meme difpo-
fition de fculpture hiftorique que l’on obferve aux
colonnes de Rome. Un efcalier en fpirale condui-
-foit par l’intérieur au fommet du monument.
L’entrée exifte encore dans le piédeftal, qui a dix-
huit pieds carrés, le diamètre de la colonne étoit
de huit.
Nous n’avons, jufqu’à ce jour , *que des notices
imparfaites d’un aqueduc affez confiderable, dont
on attribue la conftrùâion à Juftinien. On le voit
à BelLegrade , village voifin de Conjlantinople. 11
eft formé de trois rangs d’arcades, bâties en pierres
de taille & ornées de bofîage ; cet aqueduc unif-
foit deux vallées ; trois arcs compofent fa partie
inférieure ; on en compte onze dans le milieu,
le rang fupérieur eft de vingt-un. Sa conftruction
eft pyramidale, c’eft-à-dire-que l’epaiffeur de chaque
rang d’arcade va graduellement en diminuant
jufqu’àù conduit placé .fur le dernier rang..L’eau y
coule encore & continue d’être portée par Jui jul-
qu’à Conjlantinople.
Tes reftes de citernes conftruites fur des colonnes
H W remarquer dans le.voifinage de là Bafilique ,
Appelée de S. Jean Studius. Ce dernier édifice eft
bien confervé; il eft décore dé 27 colonnes à deux
rangs l’un fur l’autre; elles font de verd antique ; le
goût de cette architecture,fe rapproche de celle d’un
monument qu’on appelle à Rome;, le Baptiftère
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de Conftantin. Le plan de la Palüique eft celui de
toutes celles qu’on connaît, & qu’on a décrites au
mot Bafilique. ( Voyt^czt article. ) ; - , ,
•Un des plus beaux édifices auxquels on a. donné
ce nom eft celui qui depuis a pris le nom de mofquée,
& que l’on connoît fous celui d’églife de Sainte-
Sophie. 11 eft parvenu jufqu’à nous dansfton intégrité.
La fituation de ce monument eft avantageufe. Il fe
trouve dans un des plus beaux endroits .de Conjlantinople.
, fur le haut de l’ancienne ville de Byzance
&de la colline qui aboutit à la mer par la pointe du
férail. Il paroît lourd extérieurement, dit Pockocke,
& montre au dehors peu de magnificence.- Son plan
eft carré, & le dôme, qui en eft l’objet le plus
important, pofe fur quatre contreforts effroyables
par leur maffe. Ce font des efpèces de tours maf-
fives qu’on , a été obligé de faire après coup pour
foutenir la conftruftion & la mettre à l’abri des
trembiemens de terre qui'arrivent fréquemment
dans ce pays.
Le frontifpice n’a rien de bien remarquable, ni
qui réponde à l’idée qu’on fe fait de ce monument ;
on entre dans un portique d’environ fix toifes de
large , & qui a fervi de veftibule du temps des empereurs
grecs ; ce portique communique à la mof-
quée par neuf portes de marbre dont les battans ou
venteaux de bronze font enrichis de bas-reliefs d’une
grande magnificence; celle du milieu a confervé
quelques reftes de mofaïque, & même quelques
fouvenirs de peinture. Ce veftibule eft contigu a
un autre qui lui eft parallèle ; mais ce dernier n’a
que cinq portes de bronze fans bas-reliefs. Leurs
battans avoient pour emblèmes des croix auxquelles
les turcs ont enlevé ce qui les faifoit reconnoître
pour le figne du chriftianiftne. On n’entre point
dans ces portiques par leur front, mais feulement
par des portes ouvertes fur les côtés , & cela félon
certains, rites , ou pour fe conformer à certaines pratiques
de l’églife grecque. Les turcs ont bâti un
grand cloître parallèle à ces veftibules pour y loger
les officiers de la mofquée.
Ce qui forme prefque tout l ’intérieur eft cette
fameufe coupole, dont la ftruéture extraordinairement
hardie pour ce temps, a véritablement quelque
chofe.d’admirable en foi: elle s’élève au-deffus
d’une colonnade qui forme une galerie de cinq
toifes de large. A la naiffance & fur la corniche
du dôme règne une autre petite galerie , ou plutôt
une baluftrade qui n’a de largeur qu’autant qu’il
en faut pour laiffer paffer une perfonne : on en a
encore pratiqué une autre au-deffus de celle-ci -, ces
baluftrades font un effet merveilleux dans le temps
du Rameçan , car alors elles font toutes garnies de
lampes.
A peine les colonnes du dôme ont - elles un renflement
fenfible.Les chapiteaux font d’un goût capricieux;
le dôme a 18 toifes de diamètre dans oeuvre
& porte fur quatre gros piliers d’environ 8 toifes
d’épaiffeur; la voûte forme une demi-fphèrepar-
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faite : elle eft éclairée par vingt-quatre fenêtres ,
difpofées & percées dans fa circonférence.
De la partie orientale du dôme on paffe dans une
autre partie de l’édifice qui eft 1’Jmnicycle qu’on
remarque, dans toutes les bafiliques; cette partie,
comme on l ’a dit ailleurs, étoit devenu le fa.nétuaire
des chrétiens ; c’étoit là aufii que fe trouvoit placé
l ’autel de Sainte-Sophie. On n’y voit maintenant
que la grande niche où l’on met I’-alcoran ; la chaife:
du muphti n’eft pas loin de là.
Cette fameufe bafilique, bâtie en croix grecque ,
c’eft-à-dire raccourcie & prefque carrée, a dans
oeuvres, 42 toifes de long fur 38 de large; ainfi,
comme l’on voit, prefque tout l ’efpace eft occupé
par la coupole. Qn y compte , à ce qu’on affure,
cent fept colonnes de porphyre ou de granit d’é-
gypte. Le payé du dôme eft un compofé de toutes
fortes de marbre ; celui de la galerie eft de mofaïque
formée de vitrifications. Tous les jours,
dit Pockocke , il s’en détache des parties , & ce font
des dez de verre dont la couleur eft inaltérable-
L’ hiftoire de ce grand édifice manque à l’hiftoire
des arts. Sainte-Sophie aéliielie n’eft pas celle que
Conftantin avoit bâtie ; mais'foit que cette bafilique
eût été trop petite ou qu’elle eût été renverfée par
un tremblement de terre, Conftantin fon fils fit
conftruire fur le même terrain une églife beaucoup
plus étendue. La plus grande partie en fut détruite-
fous l’empire d’Arcadius , dans la fédition excitée
contre faint Jean-Cryfoftome, patriarche de Constantinople.
L’on affure même que ce furent ceux
de fon parti qui y mirent le feu ; elle fut encore
brûlée fous Honorius, & rétablie par le jeune Théodofe.
Mais la cinquième année de l’empire de
Juftinien, l’incendie qui déiola une grande partie
de la'ville n’épargna pas Sàiïïte-,Sophie. Ce fut la
même année que Juftinien commença le fuperbe
édifice qui fubfifie encore aujourd’hui ; cependant
il ne nous eft pas parvenu fans altération. La trente-
deuxième année du règne de cet empereur, un tremblement
de terre renverfa l’hémicycle , •& la chûte
écrafa l ’autel. L ’empereiir avoit attaché à cet édifice
l’intérêt de fa renommée , dans i ’enthoufiafme qu’il
lui infpira lorfqu’il le vit terminé, on dit qu’il s’écria :
Je t'ai furpajjé, Salomon. Il employa à réparer cet
accident -jufqu’à la ftatue d’argent de Théodofe,
élevée par Arcadius & qui pefoit fept mille quatre
cent livres. Il fit fervir a la couverture du dôme.
les canaux de plomb qui conduifoient. dans la ville-
l ’eau des aqueducs. Les plus habiles architectes du
temps , Anthemius de Traies & Ifidore de Milet
parvinrent enfin à l ’achever ; cependant fa conftruc-
tion avoit déjà éprouvée des dégradations fous
l’empereur Bafyle le macédonien qui fit réparer,
en plus d’un endroit l ’hémicycle. Enfin , fous, l’impératrice
Anne & Jean Pàléolcgue fon fils, cette
bafilique néceflita de nouvelles réparations qui exigèrent
& beaucoup de temps & beaucoup de dé*
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