
croire q'ue l’original fera ce’ui qui aura confervé le
plus de caractères originaux de la formation première.
A cet égard l’avantage eft du côté du dorique
( voye^ étrusque a r ch ite c tu r e ). -
Cependant il iemble que les Romains ayant reçu
le dorique des Grecs plus tard que le tofcan des
Etrufques leurs voifins, ils s’étoient habitués à re-
connoître ce dernier comme l’ordre primitif, & lui
donnèrent dans leur diapazon architeélural la primauté
en fait de fimplicité , railonnant à cet égard
comme les modernes qui lui ont afligné de même
cette première place dans l’ordre des modes & des
tons de l’architeéture, depuis le plus fini pie jufqu’au
plus compofë.
Le fyftème au fond étant le même dans le mode
grec que dans le mode étrufque, il fut naturel que le
premier venu modifiât le fécond ,• & que celui qui
avoir la priorité dans les ufages & dans l’opinion,
anujéin l'autre à fes proportions, à fes formes & à
fon caraâère.
Vitruve & Pline nous apprennent qu’on donnoit
au tofcan fept diamètres : quoi fepti/nam tufcanicoe ,
dit Pline. — Sint ima crajfitudine altitudinis parte
ftptima V it r . lib. IV. cap 7. Habitués à cette proportion
, les Romains durent être frappés des proportions
courtes & maffives du dorique en Grèce, &
fi le portique d’Augufte qu’on voit à Athènes, fut
leur ouvrage, comme il y a quelque vraifemblance,
on ne doit pas s’étonner que malgré la différence des
exemples, ils lui ayent donné fix diamètres de hau teur.
Peut-être le cours naturel des chofes avoit-il
porté les Grecs eux-mêmes à allonger les proportions
de leur dorique, & ce fera fous la forme & avec
les mefures du portique d’Augufte qu’il fe fera
introduit à Rome.
C ’eft en effet la mefure que Vitruve , contemporain^
de Page oh fut bâti le portique d’Augufte à
Athènes, ailigne aux premiers monumens de cet
.ordre. Rien ne prouve mieux dans quelle ignorance
etoit cet écrivain & dé l’origine chronologique de
cet ordre & de fon véritable caraélère en Grèce , que
tout ce qu il en dit, & que' nous allons rapporter.
Il en réfultera que noiis fommes aujourd’hui beaucoup
mieux inftruits que lui des vraies proportions
.du dorique , dont très-certainement il n’avoit pas vu
les modèles devenus aujourd’hui à la portée de tout
je monde.
« Les Ioniens-----voulurent bâtir des temples...
4< dont le premier qu’ils confacrèrent à Apollon, fut
élevé à l’exemple de ceux qu’ils avôîeat vus en
/x Açhaïe, & ils en appelèrent l’ordonnance dorique,
parce qu’ils en avoient vus de femblables dans les
.« villes doriennes. Voulant orner ce temple de co-
a Ionnes, fans connoître les proportions de cet ordre,
« ils cherchèrent celles qui pouvoient à-la-fois donner
à la colonne de la lolidifé pour fupporter le faix
k de l’édifice, & l’agrément extérieur qui pût plaire
ce a la vue. Pour cela ils prirent la mefure du pied de
# l’homme qui eft lafixième partie de fa hauteur, &
# tranfportèrent cette proportion à la colonne, &c.
« ~ Dans la fuite leurs fuccetfeurs, devenus blujl
« fins & plus délicats , & adoptant des proportion
« plus légères , donnèrent à la hauteur delaco
a lonne dorique fept de fes diamètres. »
. . . Ibique templa deqrum immortaliurn conftû
tuentes ceptrunt phana edificare & primum Apollini
Pantonio ce.iltin, utividerant in. Achaïâconflituerunt
& eam doricatn appellaverunt, quoi in doricon civitQ,
tibus primum faSum eo genere vider tint. In-ta cedecum
voluijfentcolumnas oollocare non habentes fymurus
earurn , & queer entes quibus rationibus efjiçerepojflnt
uti & ad onus ferendum tjjent idonece, & in Wnm
probatam haberent venuflatern, dimenji faut virilis
pedis vefligium, & cum inventant pedem fextampar.
tem altitudinis efjtin homine, ita in columnam Lranf
tulerunt. . . . . . Pofleri ver b elegantiâ fubtilitatem
judlciorum progrejji, & gracilioribus modulis dtkc.
tatt, ftp tem crajjitudinis diametros. in altitudinem co-
lumntz do rie ce. . . conflituerunt, V it r . lib. IV. cap. i.
Comment concevoir que Vitruve ne nous rapporte
fur l’hiftoire du dorique qu’une tradition aufli vague
& aufli confufe, qu’il aille en IoiJe lui chercher une
généalogie dont les titres fe feroient déjà perdus.
& afïigne à ce dorique, ainfi renouvelé par l'oubli
des _ proportions primitives . la mefure de fix diamètres
, tandis qu’un très-grand nombre de monu*
meris à quatre & cinq diamètres exüloient dans la
partie méridionale de l’Italie. Comment a-t-il pu
attribuer au perfectionnement du -goût des fuccef-
feurs l’allongement de cet ordre jufqu’à fept dia-i
mètres? Gomment a-t-il pu lui fixer lui-même cette
proportion tofeane crajjitudo co'lumnarum erit duo•
rum , altitudo cum capitulo X I I 11. V itr . lib- IV..
cap. 3. de ratione doried. Cela prouve qu’il n’eut
aucune connoiffance des monumens de la Grèce; cela
prouve , & tout fon ouvrage Le démontre, qu’il
n avoir jamais voyagé dans ce pays ; cela' prouve que
les arts de la Grèce étoient reliés jufque là fort étrangers
à l’Italie, & que la communication qui eut lieu
entre ces deux pays avant la conquête, n’avoit fait
filtrer à Rome que des notions imparfaites de l’ordre
dorique.
Ainfi l ’ordre dorique, tel que Vitruve nous le
décrit , n’étoit plus déjà à Rome qu’un produit
abâtardi par les méthodes des architeéles & par
l’analogie du tofcan. Ainfi Vitruve ayant ignoré les
monumens où fon ftyle acquit tous les çaraétères qui
le confirmèrent en Grèce, l’autorité de cet écrivain,,
toute ancienne qu’elle foit pour nous , n’en eft ni
moins fautive , ni moins arbitraire que celle des architectes
modernes qui ignorèrent comme Vitruve les
monumens du dorique originaire. Ainfi ceux-là font
tombés dans l ’erreur, qui jugeant du dorique antique
d’après Vitruve, ont refufé de voir l’antique donqiu
dans les monumens précités, par cela que les proportions
n’en étoient pas conformes avec celles de Vi-
truve Pour qu’il pût faire autorité fur ce point,il
faudroit qu’il fût prouvé qu’il avoit connoiffance des
monumens en queftion, & que les cqnnoiffant, 1* *
vu le dorique fous d’autres proportions que celles qui-
. L u i font propres ; mais le contraire l’elt par les faits- W E fes écrits eux-mêmes, rl’ou l’on peut inférer
I oePlîes étoient les modifications que l’ordre dorique
■ »oit éprouvées à Rome.
I A cet égard fa doftrine eft conforme aux exemples
■ que le temps nous a confervés de cet ordre chez les
] R0“ *1“ ’ oe;s de Gr0;re que la ville de Pompéia ,
Itoute romaine lors de l’éruption du Véfuve , l’an I o i e J C . , avoit reçu plus du goût de les nouv
e a u x maîtres, qu’elle n’avoit confervé de celui de
Kfes anciens fondateurs. . c *, 1 Les colonnes doriques du quartier des soldats ont,
■ félon l’abbé de Saint-Non, tom. II. p. 136, onze
■ pieds de haut fur dix-neuf pouces de diamètre, ce
■ nui donne précifément à la colonne les fept diamètres
■ dont parle Vitruve.
B Les colonnes engagées du théâtre de Marcellus
■ ont I fept diamètres de hauteur. Les colonnes doriques du tombeau de Terracina,
Vrapporté par Chambrai, Pàrdlel. p. 34 & 35 . ont
■I fept diamètres de hauteur. La colonne dorique des thermes de Dioclétien,
■ rapportée par le même, ibid , p. 10 & 19 , a fept
• diamètres de hauteur. .
Voilà les exemples les plus claffiques du dorique I des Romains. Si l’on veut y joindre celui du temple I de Cora ( voye{ Cora) , on lui trouve plus de huit
■ diamètres ; c’eft aufli la proportion du celui du Co- I lifée à Rome. Il réfulte de là que l’exhauffement de
oroportion eft la première modification & la plus B importante que le dorique ait éprouvée chez les
■ Romains.
! Tout tend à fe mettre en harmonie dans les ou-
■ vrages de l’art comme dans ceux de lh nature. Le
I dorique ayant perdu chez les Romains la proportion B courte & ramaffée, c’eft-à-dirè de (quatre à cinq
■ diamètres que nous lui avons vue en Grèce , toutes B les parties, tous les caraélères de force & d’impofant
I qui étoient en rapport avec cette proportion, cef-
I lerent de l’être avec la proportion de fept à huit
I diamètres. 11 perdit d’abord fa forme pyramidale,
I & fon fût devint à peu près femblable à celui des
1 autres ordres.
I Les Romains modifièrent furtout fon chapiteau;
I ils ôtèrent à l’échine & cette forme de bizeau que
1 nous lui avons vue, & cette exubérance de dimen-
1 fion & de contour dans fon galbe qu’on lui remarque
«chez les Grecs ; ils y firent un tore allez peu faillant
I accompagné d’ un aftragale. Le tailloir, cetteafliette
K fi large de l’architrave en Grèce , & ce couronne-
I ment fi mâle de la colonne, fut réduit à un plateau
I d’une modique faillie & d’une foible épaiffeur. De
I lifte qu’il étoit, il devint profilé, & reçut même des
I ornemens.
p Les parties de l’entablement fe modifièrent fur ce
I nouveau, lyftème d’élégance ; elles devinrent moins
| élevées; l’architrave lui-même fut profilé, & on lui
I ^onna deux faces. Les triglyphes fe multiplièrent
| «litre les entrecolonnemens, comme on le voit au
Dittïon, d'Archit, Tome II»
temple de Cora , & comme Vitruve lui-même i
liv. IV , chap. 3 , enleigne à le faire. On adopta le
demi-métope à l ’angle. La corniche, au contraire de
la- pratique des Grecs, qui lui donnoient à peine la
cinquième partie de l’entablement, & en donnoient
prefque le tiers à l’ architrave ( voy. pl. 104, 106 oc
1 1 1 ) , eut le tièrs de toute la hauteur, lorfque 1 architrave
n’én eut plus que la cinquième partie, (voy.
le dorique du théâtre de Marcellus. ) La corniche ne
fie compofoit prefque que d’une bande profilée , en
Grèce ; à Rome, elle reçut une cymaife, un larmier ,
& même des denticules.
Cependant le dorique conferva chez les Romains
encore un de fes primitifs caraélères favoir 1 ab-
fence de bafe. e u '
Il eft fans bafe au quartier des Soldats , a
Pompéïa.
I l eft fans bafe au tombeau de Terracina, aux
thermes de Dioclétien, & au beau fragment d A l-
bane, rapportés tous trois par Chambrai. La tige de
la colonne de ce dernier, dit-il, pofe flmplement Jur
une marche qui lui fert de focle , comme je le repre- *
fente ici ( Parall. del’atchit. p. ao ). ^
Il eft fans bafe au théâtre de Vicenfe , & a u n arc
de triomphe de Véronne; fans bafe au “ e
Marcellus, & aqx colones antiques de 1 egli.e de
San Pietro in vincoli. A
Il eft fans bafe dans Vitruve Iui-meme qui donne
avec beaucoup d’exaûitude les proportions relatives
de tous les détails & de tous les membres du dorique,
& ne parle en aucune manière de fa bafe ; ce iiience
ell très-fignificatif dans cet écrivain qui parle des
'bafes-des autres ordres, & décrie même celle de
l’ordre tofcan.
Il paraît donc confiant que de fon temps le dorique
n’avoit pas encore reçu de bafe ; mais on remarque
au dorique du théâtre de Marcellus & a celui
d’A lbane, que le fût commence déjà à fe terminer
dans le bas par une légère douçine femblable a celle
qu’on obferve à l ’extrémité des colonnes ioniques
ou corinthiennes, au-deiîus des tores de la haie.
Le dorique de Cora a bien aufli quelque choie qui
reffemble à un commencement de bafe (voyef
C o r a ) ,,mais eft encore fort éloigné de celle qu on
lui a donnée dans les temps modernes. I
Ii n’y a que le prétendu dorique du Coliiee a
Rome, auquel on voye une bafe réelle-& déterminée
avec plinthe, tore, filets , & c. Mais on obferve que
rien n’eft plus équivoque que le caractère de cet
ordre qui n’a point de triglyphes dans ia iriie, oc
qui appliqué en colonnes engagées a la decpration
des piédroits de ce grand édifice, ne fauroit fe con-
fidérer comme un ordre régulier. . , .
Toutefois on ne veut pas nier que le dorique n ait
du arriver à avoit une bafe à Rome, quoique les
autorités nous manquent autant pour affirmer ce tait
que pour le nier. 11 eft vraifemblable que 1 ufage
d’en donner au tofcan & aux autres ordres aura
amené les yeux à la juger aufli néceffaire dans le
dorique-, & cela .eft d’autant plus probable, .que cet