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au tailloir du chapiteau , à celui-ci un colla rin orné
de rofaces & d’un aftragale ; il lui fait une bafe composée
d’une doucine , d’un filet, d’un quart de rond
& d’une plinthe. Il orne les metopes de patères &
de têtes de bélier , place le triglyphe d’angle à
l ’aplomb de la colonne. On peut voir ( depuis la pl.
1 5 jufqu’à la pl. 20 inclufiv. ) tous les détails de cet
ordre comparé à celui des Grecs.
Il règne encore dans ce dorique tout abâtardi qu’il
e l l , des traces de Son cara&ère. Mais l’architeélure
moderne n’a pas toujours été aufli fage que Vignola.
Les architectes le trouvant gênés par la difpofition
des triglyphes & des metopes n’ ont pas eu , comme
Tarchefius, Pytheus & Hermogènes (voy. Vitruve ,
lib. IV. cap. 3 ) , le bon efprit d’employer un autre
ordre plutôt que d’altérer la conftitution fondamentale
du dorique. Ils ont cru licite de Supprimer ce
earaélériftique. Bernin a donné de cette licence
l’exemple le plus remarquable dans fa colonnade de
S*. Pierre, ouvrage d’ailleurs, fi recommandable.
t)e tels exemples font contagieux. Cet ordre n’eut
plus ni dans fa proportion, ni dans fa forme, ni'
dans fes caractères, rien qui, à proprement parler ,
en faffe un ordre, c’eft-à-dire un moyen d’exprimer
en architecture la plus haute idée d’ une qu lité
quelconque. Il s’eft trouvé des architectes qui l’ont
porté jufqu’à neuf diamètres ; on lui a donné, la bafe
attique, on lui a fait des cannelures demi-circulaires,
en l’a cannelé jufqu’aux deux tiers, on a découpé
des oves & des rais de coeur dans fon échine , on a
donné Une cymaife à fon tailloir, on a orné fes plafonds
de rofaces, fon tailloir de découpures. Enfin
fi le liffe exprime le fimple en architecture, & fi le
fimple eft le compagnon du fort, on a par tous fes
détails & dans tout fon enfemble rendu cet ordre
aufli fufceptible de légèreté , de luxe &. de variété
que les autres.
L ’architecture, comme on l’a dit, a bien le droit
de nuancer le caractère de chaque ordre ; & ces
nuances ne font que des variétés . dans l’expreflion
de la qualité fpéciale qui fait le diftindif de chacun.
Ainfi un corinthien peut être fimple fans fortir de
fes données, & un dorique, comme on l’a dit, peut,
fans fortir de fa nature , être moins fort, & fe permettre
quelqu’éléganee. Mais, fi l’on mêle enfemble
les attributs des difiérens ordres, de manière que
ce ne fok que par un diamètre de plus ou de moins,
par l’ addition ou la fuppreflion d’une moulure, la
faillie plus ou moins grande d’ un profil, qu’ on prétende
rendre fenfibles les diverfes qualités, il eft
vifible que ce langage trop peu articulé,, que cet
uniffon de ton entre' les ordres , n’aura plus rien de
laillant pour le commun des. h om m e s& ceflera
d’avoir même de la valeur pour les artiftes,. C ’eft ce
qui étoit arrivé à l’ordre dorique..
Du renouvellement- de Vordre. dorique grec,'
I Les modernes n’eurent très-long-tenaps, comme
qb;U4. v.u ^ d’autre notion de l’ordre.dorique.que par.
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les monumens romains, & par Vitruve qui n’eut
aucune connoifiance de ceux des Grecs oh cet ordre
eft employé. Le dorique moderne ne devoit donc
être que la conféquence d’une conféquence déjà
fautive , que la fuite d’une tradition déjà erronée
que l’abus d’un abus.. Le véritable dorique ^ le doriqui
grec , refté enfeveli fous les ruines de la Grèce, de
la Sicile & de la Grande-Grèce , ne pouvoit repa-
roître que par les tentatives des voyageurs. Ces
ruines éloignées du centre de l’Europe & du foyer
des arts, Rome moderne, furent toutefois vifitéesde
temps à autre par quelques hommes plus verfés
dans d’autres connoiffances qu’inftruits dans l’archi-
teéture. Spon & Wehler, qui voyagèrent à Athées
dans le fiècle dernier , ne paroiffent pas s’être douté
qu’il y eût entre l’archite&ure dorique' àts principaux
édifices de cette ville & le dorique moderne, la
différence que nous venons d’y trouver. D’après
leurs deflins , il feroit également difficile d’y en
foupçonner.. On doit en dire autant de quelques
autres ouvrages aufli nuis pour les arts, publiés en
Sicile 9 & qui ne furent jamais connus que d’un très-
petit nombre de favans.
Les recherches en ce genre furent éveillées parla
découverte des ruines de la, ville de Pæftum, sur
lefquelles, en 1745 , le baron Jofeph Antonini publia
des détails allez circonftanciés- pour exciter le
zèle d’autres curieux. Selon G rosie y , ce fut en 175J
qu’un jeune peintre napolitain s'égarant fur ces parages
déferts, découvrit ces monumens & en rapporta
des impreliions qui, jointes à fes deflins,donnèrent
à l’ancienne ville de Pæftum une célébrité
qu’elle avoit perdue depuis bien des fiècles. Rnfin
la proximité de Naples détermina beaucoup d’ar-
tiftes à entreprendre ce voyage , & il n’y pas d’antiquités
mieux connues aujourd’hui que celles-là.
Le voyage de M. Le Roy en Grèce donna un
nouvel elïor au zèle des voyag.'urs, & ç’eft à renvt
l’une de l’autre que depuis trente années les diverfes
nations de l’Europe ont exploité les ruines d’une.in-
finité de ville grecques..
Cependant la découverte des ruinés de Pæltuni
ayant précédé de fort long-temps toutes les autres,
le dorique de fes temples, a été un fujet de controverle
& de conjectures allez bizarres, jufqu’à ce que de
plus nombreufes découvertes dansJe- même genre,
euffent mis le plus grand nombre des artiftes à portée
de faire des parallèles & de généraliser les idées.
Nous avons déjà parlé du fyftème erroné du Père
Paoli,. précédé par M. d’Hancarvilie dansl’opinion
que les temples de Pæftum étoient d’ordre tofean.
Cela vint du défaut de notions générales fur cette
matière. I l eft réfulté de même beaucoup d’erreurs
de goût, de préjugés & d’opinions hafardées fur le
dorique de Pæftum- Toutes-furent l’effet de cette découverte
ifolée & partielle , mais eiles-n’en ont pas
moins contribué à jeter quelque.défaveur.fur la renovation
du véritable dorique.
On ne fauroit dire encore que ce dorique ait
pris dans, i ’archjteéiure moderne la place qui | |
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. A peine .cite-t-on en Europe de fflonu-
C0"V “ n peu^importans oit l’on ait ofé 1 employer.
If U B i eut jamais d'époque plus ftér.le
adifices & en monumens que celle des vmgt-
; e“ odetnières années de ce fiècle. Peut-être faut-,1
H le dorique grec s’accrédite encore pendant
ouelque temps, & devienne claffiqne ou élemen-
W t m les écoles, pour qu'on en vienne a le re-
! tarder comme l’ordre par excellence, & a lut accordej
’tgntreTin’onCpemciter hors delaFrancedesédi-
f ficesconftruits félon fies principes, autres que 1 Ecole
de botanique à Palerme, pat Leon Dufourny ,& u n e
imitation des Propylées à Berhn Ma,s H
dans ces quinze dernières années l ordre en queftton
prendre dans une foule de petits bat,mens, non-feule-
! ment la place du moderne dorique, mais meme celle
de tous les autres ordres. Une forte de courant de
I mode, fruit ordinaire de cet efprit qui accueille as
chofes nouvelles parce quelles, font nouvelles, & les
abandonne lesquelles ont celle de l’etre, a applique
le doriq ue fans bafe indift in dénient à tout.
D’abord on vit le préjugé que firent naître laforme
pyramidale & la courte proportion de. cette ordonnance
, en reftreipdre l’application à des édifices que
l’opinion rangeoit ou dans une claffe vulgaire, ou
dans, un ordre de chofes oppofé à l’idée de nobleffe.
Le premier emploi qu’il me fou vienne en avoir vu
faire', fut à l’entrée de l’hôpital de la.Charité, dans
un petit périftyle qui eft peut-être encore le meilleur.
ouvrage de ce genre. Les hommes qui raifonnent
fur l'architedure , pardonnoient alors cette nouveauté
en faveur du monument auquel s’adaptoit
cet ordre. Un hôpital, difoit-on, ne méritoit pas
une ordonnance riche y 8c la rufticite de ce dorique y
convenoit affez. Quelque temps après le couvent
des Capucins de. la Chauffée d’Antin fut conftruit ôr
Ion cloître eut une ordonnance dorique.Ians bafe.
On approuva encore que l’ordre religieux le plus
pauvre eût dans fa conftru&ion l’ordre d’ architeéture
le plus pauvre j on trouva même de l’analogie entre
la manière d’être fans bafe à une colonne , & la méthode
des Capucins d’être fans fouliers. he dorique
grec dans ce temps étoit réputé n’être que l’ebauche
du dorique, un effai groflier que l’art n’aVoit pas encore
eu le temps de polir. On l ’admetcoit donc a
trouver place dans les édifices , mais feulement
comme moyen d’exprimer & de caraéïérifer des
idées baffes &• des bâtimens d’une efpèce triviale.
On en faifoit le rebut de l’architeélure, fans fonger
qu’autrefois les monumens les plus relevés dans
l’opinion ,, les temples des plus grands dieux, mon-
troient avec orgueil dans leurs fomptueux perif-
tyles ,.la mâle & fière] ordonnance de ce dorique,
l’ainé des autres ordres, le père & le créateur de
l’archiieélure.
Si l’inHabilité des chofes humaines le fit décheoir
à ce point, que d’abord il n’èut d’ accès que par
grâce dans un hôpital & un couvent de Capucins ,
bientôt, çp y jt} gar un çagrice du fort non
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moins fata l, devenir à Paris l ’ordre exclufif &
Lors de la formation des nouvelles barrières de
cette ville , l’auteur ingénieux de ces monumens-
‘antaftiques fe plut à y reproduire cet ordre qu i
crut propre à fervir l’idée qu'il s'étoit faite du carac.
tère convenable à des barrières. On a vu au mot
ba rrière de combien de manières« dorique, des
renaiflTance, s’eft vu tourmenté, décompole, ç-oupe
par des boffages, altéré dans fes types, ot détourné
de fon véritable fens. Cependant le caraftere împo-
fiant & gtandiofe que l’auteur de ces monumens lut
tirer de l’emploi de cet ordre, la fie, te de a mo 1
nature , la hardieffe des profils , & l afpett ma)el*
tueui de quelques-unes de ces compofitions r parmi
lefquelles on retrouve quelques ruines , K des
imitations des maffes des anciens temples doriques,
l’étrangeté même de ce ftyle . contribuèrent a: tarai--
liarifer les yeux avec le goût & les proportions du
dorique grec fans bafe- Il eut été fans doute a souhaiter
que des caprices dignes de B'orromin, & de la decre-
pitude de fa r t , ne fuffent pas venus fe nieler avec la
mâle auftêrité d’un ordre, qui repoufle plus qu aucun
autre tous-ces j eux d’imagination , dans lelquels
les modernes ont fi fouvent placé le mente de-Lm-
vention , & qui n’en dénotent que l’impuiltairce.
C ’eft une chofe affei fingulière que cet ordre du-
«buefans bafe, dont le caraélere feul fembioit comj;
mander aux architeâes plus de fimphette dans le*
: plans .plus de refpeftpour les formes conltttutiveï
de l'a rt,foit devenu préeifément l'objet & meme la1-
, caufe d’une nouvelle férié de licences julqu alors inconnues.
Par exemple, on a vu des architectes conclure
de l’abfence de la bafe dans cet ordre, a la
fuppreflion de fon tailloir. De W a tlly , non-feulement
d'ans fa mat fon bâtie faubourg S L -Ign o re ,,
niais encore dans un monument public , lé Théâtre
Français , a employé ce dorique fans tailloir : & non-
Content decette fùppreflion totalement monllrueufe,.
il a fait- tailler l’ëchibe du chapiteau en oves ou fleurons
. de forte que l’ entablement repofe, contre-
toute crab e de fens , de vérité & de vraisemblance ,
fur une forme molle, arrondie , foible & altoiblie,
encore par les découpures dont on a parlé-
On ne finiroit point fi l’on vouioit nombrer toutes!
les irrégularités , les inconféquences & les "bizarreries.
auxquelles on s’eft livré dan» l’emploi die ce doriqne-
fàns bafe qui femble n’avoir reparu à l'a fin d’ un
fiècle' ufé par tous les abus qu’èngendre là manie'
d’innover, que pour fervir d’aliment à ce befoin in-
fatiable' de changer & de modifier toutes lés formes ,,
befoin devenu impérieuxcheztes peuples modernes,,
ou un mouvement commercial ufe'tout promptement,
pour tout' renouveler fouvent, & chez lefquels-
i’habitude devoir ainfi changer tout ce qui entre dans'
le1 commerce de la vie, fe porte aux’ chofes même’
qui ne peuvent fé pèrfeélionner que par une lente St
infenfible progreflion.
Cet efprit de nouveauté, devenu depuis-un dèmt-
fièçle le caradérifliqpe dominant de l ’Europ.ey. f c