
)es ufages d’une nation fe compliquent & fe mc-
diiient, par les élémens divers, & tous les âge.ns de
la fociété, du-luxe, du plaifir & de tous Tes befoins;
plus aufii, on perd de vue ce type primitif, que la
main de la nature imprime aux premiers ouvrages
de l’art. De la multiplication .des befoins naît la combina
ifon des moyens , & la perte de l’unité
morale. .
Les fyrmcs compoféçs. font plus du fait de l ’ar-
chite&e ; mais le vice de leur emploi réfui te auffi
de l ’habitude du plaifir que le peuple contraire,,
par l ’épuifement des piaifirs fimples, dans toutçe,
qui tient à la variété , & au renouvellement fuç-
ceffif de toutes les formes que le caprice fubordopne:
U fon goût. Ce belpin de changement dans tout
les arts qui le lient aux ufages comme aux piaifirs
de la fociété , eft un des caradères 'bien diftin&ifs
dés peuples modernes ; tant que Jes çaufes qui
produifent ce Kefoin exigeront, il faudra fe relbudre
à voiries arts d’imitation fubordonnés au pouvoir
de la mode , paffer indiftinftement du bien au
m a l, du faux au vrai, fans aucune autre raifon
que celle de la néceffité & de l ’empire aveugle
quifoumet tout à l ’opinion irréfléchie de la multitude.
•Par-tout où le peuple aura contradé l’habitude
de changer quatre fois par an les formes de fes
habits ,. de fes coiffures , de fes mèublps, de tous
les Objets enfin qui entrent dans le commerce
habituel de la vie ; par-tout où l’induijrie, fondée
fur ce renouvellement continuel, calculera fes ref-
fources d’après le fond inépuisable des inventions'
du caprice, il faudra s’attendre à rencontrer jufque
dans les arts du génie l’empreinte de cette mobilité
dégoût. Mais de quelle manière ces arts peuyeiit-
ils fiervir dans ceux qui les emploient , cette
étrange manie d’ineonftance & de changement. C ’eft
en allant quelquefois graduellement, quelquefois
aufii fubitement, des formes fimples aux formes
compofées , c’eft- en combinant leurs ouvrages
d ’élémens divers, & fouvent contradidoir.es, c’eft
en mêlant les principes, en confondant les types
& les caradères ; ainfi l’architedure crut avoir
inventé quelque choie de nouveau, Pôrfqu’après ,
avoir combiné les formes & les ornemens de deux
chapiteaux, elle en eut formé celui qu’on apelle
eompofé. ( Voyeç es mot. )
De cette manie, poufiee au plus ridicule excès
chez les modernes,font nés tous ces plans mixtilignes
aflemblages .bizarres de. formes ovales y oftogones y
de parties rentrantes & faillantes; ces combinaifons
grotefques , qui femblent n^être qu’une réunion
fortuite de fragmens d’édifices. De-là font fortis
tous ces produits monftrueux d’ornemens fans fujets,
de partis de décorations fans motif, & dont le
feul but était de préferitër aux y eu x , quelque..
chofe d’infolite & de nouveau; de-là eft né ce
mélange indiscret de tous les caractères confondus .
& appliqués indiftindement à tous les genres d’édifices,
uniquement pour en varier l’afped & préfenîef
aux yeux des fpedacles d’un nouveau genre.
Lorfqu’une telle complaifaifce de la, part des arts
a habitué le peuple à tous ces changement de
rcènes, on ne fauroit défefpérer de voir la laflitude
r du mauvais , reproduire quelquefois le bon , il
s*opère périodiquement une réadlon qui du eompofé
ramène l ’àrt an fimple ; mais peut-on compter fur
la fiabilité des effets qui réfultent d’une caufe
aufii mobile.
Pour moi, j e ,p.enfe qu’ il n’appartiendroit qu’à
une révolution dans les moeurs de l’Europe aélueüe ,
dans fon induftrie & fon commerce dé ramener les ^
peuples à un état de chofes , où le luxe changeant
de direction, d’agens & de principes, le goût du
beau , l’amour du v rai, fondé fur la fimplicité
des befoins & des convenances, deviendroit la règle
des ouvrages, où la perfévérance des ufages deviendroit
une v e r tu o ù l ’idée de la mode s appuieroit
non fur la facilité de changer, mais:fur la difficulté
de perfectionner.' :
C ’eft alors que dans tous Igs mônumens, ou
verroit s’établir un caraéïerê fixe , . hors du quel
il ne feroit pas permis d’inventer , alors tous les-,
édifices rentreroient dans Tencéinte, naturelle du
■ type eflentiel qui leur donna l’être ; tout mélange
d’idée, d’emploi, de defti nation répugneroit .à l ’in-
telhgençe comme au goût, du peuple ; toute idée:
toute forme compofée , biefferoit les fens d’hommes.
! dont toqtes les habitudes feroient fimples. ,
Les arts font les copiftes de l’homme , il n’appartient
qu’aux originaux de changer et de modifier
leurs copies. -
C o m p o s é ôu C o m p o s i t e , ( Ordre )
Cet ouvrage eft probablement le dernier où l ’on-,
verra paroître, comme doué d’une exiftence particulière,
le foi-difant ordre auquel les préjugés
modernes ont donné îe .nom jdô! eompofé ou comporte
; le préfent article a doricLpSour objet de
prouver qu’il nhxïÜQ- pmnt d^rdre ç'^mpofé'^ ^ de=
faire voir la foiirce dès erreurs & : des méprifes qui
ont pu donner à ce prétendu ordre-une confiftan.ee-
i imaginaire.
Ce n’eft peint chez les Romains où l’on pré-,
tend ciécouvrir l ’origine dé qe:' nouvel ordre, qu’il
faut efpérer de rencontrer des autôtifes capables '
' d’en juftifier la formation ; je’ ferai voir d’une manière
péremptoire qu’un examen plus approfondi
des inventions romainés dans 1 es ordres d’architecture
r prouve la nullité complète de. celui. dont il’
eft queftion, & que jamais-les.Romains qu’on donne
pour en être les inventeurs n’en foupçonèrent chez
eux l’exift.ence.. . .
L ’ordre , appeléjcompofé, ne doit celle dont il
a joui qu’aux modernes ; mais il faut dire à quel
genre de méprife on doit l ’attribuer.
J’en vois deux principales, Tune que j’apélle
erreur » de raifonnement, & qui refulte de 1 ignorance
des véritables principes fur lefquels fe fonde
l’invention en architedure, & l’autre que je nommé
erreur de fait, & qui a fa fource dans l’ignorance
■ même des mônumens, & un équivoque d’exem-
j>Ies :très-facile à détruire.
J’ai dit que la première erreur fur laquelle fe
fonde l’exiftence coateftée dé l ’ordre en queftion eft
tmé erreur de raifonnement. L ’orgueil a contribué
autant que l’ignorance à la produire & à l ’accréditer.
Depuis la renainance des arts, il n’ eft point
d’efforts que les peuples modernes n’aient tentés
pour faire ce qu’ils apellent des conquêtes en
invention dans Farchltedure. Les ouvrages de ceux
qui ont écrit fur la nature, & lés principes de
•cet art ne retenti fient. que dés regrets de n’ar
voir plus rien à inventer , Ou des javances d’une
folle préfomption fur la facilité de faire de nouvelles
découvertes. Rien de plus ridicule que le
défeipoix des uns, & l’ambition des autres; il eft
•confiant qu’ils ne diffèrent ainfi d’opinion, que
parce q u ’ils placent l’invention où elle n’eft pas.
•( Voye^ Invention. )
Ceux qui croient que tout eft dit dans cet a r t, en
jugent ainfi d’après toutes les tentatives infructueu-
ies qu’on a faites, pour ajouter de nouveaux ordres .
à ceux que les Greçs nous ont tranfmis ; & ceux
qui penfent qu’en fait d’ordres, on peut dire des
chofes toujours nouvelles , fe perfuadent qu’il fuffit
■ de changer pour inventer , & que l ’on eompofé
du nouveau quand on décompofe l’antique.
Je prouve ailleurs, avec plus de détail, que les
ordres font à l ’architeélure ce que font les tons
■ à. la mufique, ou les proportions du corps humain
aux ,arts du defîin, & qu’il feroit aufii ridicule de
chercher de nouveaux modes d’ architeêlure, que
de nouvelles proportions dans la ftruâure de
l ’homme. Je me contenterai de faire voir ici que
cette faufie idée de l ’invention qui a ufé fi gratuitement
le génie de certains architeéles , eft la
véritable origine de l’ordre foi-difant compofite.
La principale méprife de ceux qui croient à
l’invention de nouveaux ordres, repofe fur une
illufiô'n bièn facile à difîiper ; ils s’imaginent dans
leur manie inventive, qu’il fuffit de compofer un
chapiteau dans un goût d’ajùftement nouveau pour
produire un nouvel ordre; ils croient qu’il fuffit
de changer les profils d’une b afe, de mettre un
quart de rond à la placé d^une feotie, ou d’adapter à
la colonne quelques fymboles, & emblèmes allégoriques
a leur pays, pour, lui faire honneur d’ une
decouverte nouvelle en archité&ure, & pour attacher
fa gloire a celle de l’ordre nouveau né dont ils
fe croient les créateurs.
On a lieu de s’ étonner qu’un des hommes qui
ont écrit le plus judicieufement fur l’architefture,
après avoir reconnu une partie de ces -111 ufions,
fe foit laifie prendre encore à cette puérile amorce
de gloire. Laugier reconnoît que l’invention d’un
ordre ne confifle pas uniquement dans la colonne,
mais dans toutes les parties conftituantes de l'ordonnance
; cela eft une grande vérité ; mais on
riroit de voir comment Laugier croit changer toutes
les parties de l’ordonnance , lorfqu’il ne fait que
les tranfpofer ; tout fon fecret eft de tranfporter à
l’ordonnance le faux principe d’ invention que des
efprits plus étroits n’avoient appliqué qu’à la
colonne , ou à fon chapiteau.
Une feule réflexion auroit épargné bien de la
dépenfe en ce genre d’invention , bien des tour-
mens & bien des regrets ; c’eft que les ordres
d’architeÉlure repofent fur l’expreflion des qualités
que cet art peut rendre fenfibles , & que ces
qualités premières , qui font comme les couleurs
primitives de l’ârchiteélure , fe réduifent néceflai-
rement à un très-petit nombre , qu’au-delà de ce
petit nombre il peut bien exifter une multitude de
nuances ; mais que ces teintes h’exiftent que par
le mélange des couleurs entières.
« Les ordres , dit Galiani , ne font que les
» moyens d’exécution qu’emploient l’architeélure,
» & dans le fond il ne peut y en avoir que trois,
» q u i , tous enfemble, expriment les divers degrés
» de richesse dont elle eft fufceptible, & comme
33 rien ne peut être plus riche que ce qui l’eft au
» fuperlatif, & rie peut l ’être moins que ce qui
» l’eft au pofitif, aucun ordre ne peut mériter ce
» nom , s’il pafleou l’un ou l ’autre de ces deux
» termes ; car tout ce que l’on feroit de plus
» feroit trop , & ce que l’on mettroit de moins ne ^
» feroit pas aflez. Quant aux termes de coxnpa-
» raifon que l’on peut placer entre la plus grande
33 & la moindre richefle qui convienne à l’archi-
»- te&ure , ils ne rendent tous que l’idée d’une
33 chofe moins riche que celle qui i’eft le plus ,
» ÔC plus riche que celle qui l’eft le moins 33.
Si l’on applique cette réflexion très-fine de Galiani
aux autres qualités eflèntielles de l’architeélure 9
on en tirera la même conféquence ; que chaque
ordre, grec étant l ’exprefîion la plus jufte de la
qualité qui lui eft propre , on ne peut aller au-
delà ou refter en deçà qu’en outrant ou en atténuant
le caraâère. Ainfi l’ordre , foi-difant tofean,
que les modernes ont cru être un fuperlatif du
dorique , n’a réellement été qu’un diminutif du.
cara&ère de force attaché à cet ordre ; ainfi le
foi-difant eompofé fe plaçant par fa conformation
.entre l ’ïonique & le corinthien n’ a fu avoir ni la
délicatefle de l ’u n , ni la richefle de l’antre. C ’eft
ainfi que pour prendre un point de comparaifon
dans un autre ordre de chofes , rien n’eft plus éloigné
de toutes les vertus morales que toutes ces
qualités qui femblent limitrophes , mais qui manquent
d’autant plus fûrement le but, qu’elles l’ou-
trepaffent.
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