
<jui tient à des caufes politiques fupérieures aux
cfprits ordinaires, & étrangères à cette difcu ffion, eft
plus qu’on ne f-uroit dire, la caufe de l’aftbibiifle-
ment des arts du génie & de ceux du deiTin. Dès
,que l’efprit de mode le porte dans les arts, il en tue
le principe; car les arts, en fa ns de la nature , ne
veulent reconnoître d’autres lois que celles de ce
tnodèle immuable & éternel. Tout devroit tendre
a rendre fixes les principes des arts ; tout devroit
tendre à confacrer par un refpeâ religieux les mc-
mimens où ces principes font écrits. Ce fut par l’invariabilité
dans certaines maximes du vrai, du fimple
& du beau , que les anciens & les Grecs furtout ont
acquis cette prééminence dans les arts imitateurs. I
On le perfuade en lifant & comparant i’hiftoire de
leurs arts avec les relies de leurs monumens, qu’ils
furent doués d’une grande perfévérance dans leur
manière. Une ferie non interrompue pendant plu-
fîeurs ^fiècles, de maîtres & d’élèves travaillant dans
les memes données & fidçls aux mêmes erremens,
conduifit leurs ouvrages-àcette haute perfection. Ce
feroit avoir une idée faufl’e de leur manière de procéder,
que de croire que leurs chefs-d’oeuvre furent
dus aux éclairs de quelques génies indépendans,
créateurs & inventeurs de leur ftyle. Rien n’alla
ainfî chez eux ; tout fut le fruit d’une méthode lentement
perfectionnée ; ce fut plus le pouvoir de l ’art
que celui de l ’artifte. Cette répétition fi confiante
du même genre, du même ftyle & prefque du même
programme dans leurs édifices, & furtout dans les
temples doriques parvenus jufqu’à nous , dépofe en
faveur de cette théorie, & porteront cette afferrion
au plus haut degré d’évidence , fi l’ on avoit befoin
de prouver une chofe que lesilatues antiques ont
déjà furabondamment prouvée. On eft obligé de
franchir l’intervalle de piufieurs-Üêcles & de pays
divers, pour apercevoir dans le goût des anciens, les
variations qu’on obferve en France, par exemple
dans l ’efpace feul de dix années.
On a obfervé ailleurs que l ’églife de S1.-Pierre ,
par exemple, dont la conftruclion avoit duré près
d’un fiècle, offroit dans les modifications auxquelles
elle fut fou mile, des changemens de goût mille fois
plus notables qu’on n’en découvre dans tôute l’antiquité,
à réunir dans les douze fiècles que nous en
connoiftons, les deux points les plus extrêmes de
cette période. Il fuffit de dire que , commencé par
Bramante , S1.-Pierre manqua d’être terminé par
Boromini. Ces viciflïtudes font devenues bien plus
notables depuis que l’on ne met plus darfs l'es édifices
publics & particuliers ni la même dépehfe, ni
Ja même importance. Il réfulte de la légèreté qu’on
apporte dans toutes les confiai étions, que tous les
vingt ans au moins le goût de bâtir change , comme
on voit tous les ans au moins changer celui de fe
vêtir,
Depuis dix ans on voit régner à Paris beaucoup
moins le goût que la mode du dorique grec. C’eft
en vain que vous demanderiez aux architeéles français
de l’ionique ou du corinthien, ils rfm tiennent
plus. On ne confulte en ce genre, comme en celm
des parures, ni convenance, ni propriété , ni accord
nicaraél jre On vit un architecte chargé dans une fête
publique,d’élever contre le pavillon des Tuileries
où l ’ordonnance ionique eft prefque bizarre , on ne
fait quelle décoration pc ftiche, qui devoit fe raccorder
avec l’ordre chargé de riche fies fuperflues qui
comme on fait, décore cette façade : & cet archi!
te d e , maître de faire telle compofition qu’il |uj
plaifoit, affocia , fans aucun égard aux colonnes
guillochées de Phil bert Delorme, des colonnes doriques
fans baie du caraétère le plus maffif <$t le p!us
auftère , & perfonne ne s’aperçut de ce te difparate
vraiment rebutante. La même chofe vient de fe répéter
dans les corps-de- garde placés en avant de la
façade des Tuileries, du côté du Carroufel. Enfin
c’eft une vérité que dans tous les plans les plus magnifiques
des architeéles du jour, & dans toutes les
baraques qu’ils font ( car ils en font réduits à ne
plus faire que des plans fur le papier où des baraques
en réalité ) on ne trouve plus que du dorique grec
fans bafe.
Cet ordre fe trouve ainfi proftitué de toutes les
manières ; c’eft le lieu commun de tous les archi-
teéles, & toutes les boutiques en ont. Cette mode
pafTera avant que dans un monument de quelqu’im-
portance ont ait pu voir réalifé cet ordre fous fes
véritables proportions, & avec les attributs de gran*
deur & de majefté qui lui appartiennent.
Au milieu de tous ces écarts du caprice , & de
l’emploi vraiment abufif de cet ordre , s’élève la
queftiôn de la mefure & de la place qu’il convient
de lui a ffignér dans l’état a élue! de l ’architeélure.
On ne fau roit fe diftimuier que l’efprit des modernes
dans tous les arts a conftament tendu à varier
& à compliquer leurs produirions. Nous fournies
tellement loin de cette unité, de cette fimplicité de
motif & d’effet qui caraétérife les plus beaux ouvrages
antiques, qu’opérer d’après ce fyftème, paf-
feroit aujourd’hui pour manque de reffources &
défaut de génie. La fimplicité d’une tragédie de
Sophocle, d’un difeours de Démcfthère , d’une
épigramme d’Anacréon , d’une fable d’Efope, feroit
regardée de nos jours comme une pauvreté de plan,
une ftérilité de moyens, une froideur de penlée &
une infipidité de narration. Il n’y a plus même pof-
fibilité de récourir à de fi {impies élémens. Notre
goût eft devenu plus exigeant; nous n’aurions plus
d’appétit pour d’aufli {impies mers. Ajoutons qu'habitués
à opérer par des moyens plus comp< fés,ries
artiftes ne (aurotent pas faire avec peu l’effet qu’on
trouve encore dans les anciens. Le moindre avocat
emploie aujourd’hui pour la moindre caufe plus de
figures, plus de déveîoppemens , plus de moyens
oratoires , que Démoli Irène & Cicéron n’en employèrent
jamais dans les plus grandes occafions,
II n’y a pas n mince ftatuaire qui ne fâche1 grouper
enfemblé plus défigurés, que ne l’euffent fu faire
Lyfippe ou Praxitèles. C ’eft furtout dans les plan«
d’architecture que le génie moderne s’eft le plu*
tourmenté pbur trouver du nouveau, de peur de ]
faire du fimple. Combien de temps n’a-t-on pas cru
au’une ligne droite étoit indigne d’un architeéle,
parce qu’un enfant étoit capable de la tracer. Les
«lus beaux plans étant les plus fymétriques, on a
cru long-temps que ce que tout le monde pouvoir
trouver ne devoit pas occuper l’attention d’ un
favant, & que l ’art de dire étoit de dire autrement
que tout le monde. ! ,,
Lés befoins plus compotes auxquels rarchitec-
ture dut aufîi dans beaucoup d’édifices fe prêter &
fe fubordonner, ne permettent pas toujours à l’ar-
chitefte d’employer ces plans fi m pi es, ces difpofi-
tious d’ordonnance régulières, qu’exige la compo-
fition de l’ordre dorique grec. Les temples des Grecs
fembloient faits exprès pour l’architeélure ; tout y
étoit difpofé pour la fymétrie de la décoration &
d’une décoration plus extérieure qu’intérieure. On
conçoit encore difficilement comment leurs intérieurs
étoient éclairés, à moins qu’ils ne le fuffent
par des lampes, ou par des jours pris dans la toiture,
ce que rien ne nous autorife à affirmer. C ’eft le contraire
dans nos ufages ; tout le luxe &. toute la pompe
de l’architeélure fe portent à L’intérieur, & c’eft ordinairement
la décoration extérieure qui fe trouve
facrifiée aux befoins & aux données très-compliquées
du dedans. De forte qu’ une églife d’ordon
nance dorique à la manière grecque, feroit chez
nous un objet d’une dëpenfe &. d’une difficulté dont
on conçoit à peine l’ idée.
Tous les autres genres d’édifices font moins ïuf-
ceptibles encore d’admettre la difpofition periptère
des temples doriques, parce que fans des intérieurs
très-fimples & fouvent obfcurs, une femblable difpofition
ne fauroit fe préfumer. Il faut donc fe réfoudre
ou à rejeter l’ordonnance dorique des Grecs, ou à la
mutiler, la tourmenter, la décompofer ; & dans ce
cas il n’eft pas. d’homme de goût qui ne préfère
d’employer un autre ordre, à la néceifité d’abâtardir
le dorique.
On ne fauroit nier cependant qu’il ne puiffe heu-
ieufement trouver place dans les périftyles ou dans
des intérieurs de cours formant galerie, enfin dans
tous les plans qui comportent de la févérité , de la
régularité & de la fymétrie. II eft à fouhaiter qu’il fe
trouve quelqu’occafion un peu grande de reftituer à
cet ordre la place qui lui'convient.
Mais, autant on doit défirer de voir le dorique grec
rendu a fa primitive deftination, autant on penle
qu’on doit s’abftenir de le faire entrer comme on l’a
pratiqué depuis peu dans toutes les compofitions les
plus tourmentées & les plus variées de l’architecture.
Là où les ordres font appliqués comme
acceffoires de la décoration,, ainfi que dans les
piédroits des arcades , il convient beaucoup mieux
employer \t dorique romain ou moderne, comme
on le voit au théâtre de Marcellus , au Colifée &. à
d autres édifices;.
Là où l’on fe croit obligé d’accoupler ou de
®.rouper *^es ct'içQoes iL eft totalement abfurde
d’employer le dorique fans bafe. Les chapiteaux fi?
failians de cet ordre font incompatibles avec i ’ac-
couplement.
i l y aplus, la belle difpofition de fa fri fe répugne
à cet abus de l’architeélure moderne. Il en eft de même
d e ‘tous les plans mixtilignes ou poligônes dans lef-
quels on introduit le dorique , & dans lefquels on
ne fait qu’offrir un amas de toutes forres de contra-
diélions , avec l’intention fondamentale & le caractère
natif de l’ordre.
Le bizarre & le capricieux doivent toujours choquer
, mais ils révoltent bien davantage lorfque c’eft
avec les élémens du fimple qu’on prétend faire de
tels badinages. Cela devient alors une véritable parodie
q u i, comme telle,feroit rire, fi une parodie
en architeélure pouvoit jamais acquérir ce caraélère
léger & temporaire de badinages, que d’autres arts
favent donner à de telles produirions.
L ’ordre dorique eft trop férieux , trop grave pour
être employé autrement que férieufement & avec
gravité.
Püifque le hafard a procuré à i’architeiriire moderne
deux genres de dorique, dont l’un n’eft qu’ une
dérivation & une déviation de l ’autre, il femble
que dans l’état de notre architeélure il feroit poffible
de les employer tous les deux. Le premier ou le dorique
grec fans bafe, dans tous les monumens où l ’ont
jugeroit néçeflairede rendre fenfible un grand caractère
de force & d’auflérité , mais uniquement dans
Thypothèfe d’un plan fimple & de données régulières
, là feulement où le motif & la difpofition de
l’édifice exigeroit l’idée de force, & fe prêteroit à \x
fimplicité de l’ordonnance. Le fécond ou le dorique
moderne , quoique bien moins fignificattf, bien
moins expreflif que l’autre, trouveront fon emploi
naturel dans tous ces plans compofés ou compliqués
qui excluent la néceffité d’un caraélère grave, Sc
qui admettent les combinaifons variées.
Le dorique moderne feroit une nuance, un ton
. intermédiaire entre Le dorique & l’ionique.
Ce feroit par l ’obfervance de ces convenances que
l’architeâure reprendroit fa place dans les arts d’imitation
, & recouvreront le droit qu’elle a drêfre'
un langage par formes &„par lignes,. une mufique
oculaire dont les tons divers auroient une propriété
fenfible pour tout oeil un peu exercé;
La réintégration du dorique grec fans bafe me pa-
roîit néceflaire, pour redonner à l’architeélure ce ton:
grave qui manquoit à fon harmonie , & dont le vide
a plus qu’on né per.ffi contribué à la confufion de
fes moyens d’expreffion. Mais il faut que ce ton fondamental
, régulateur de tous les autres foit remis1
à fa vraie place. Il faut que les architeéles, par l’emploi
défordonné qu’ils en feront à toutes fortes de
fujets , ne foient pas les préïr.ters à en rompre la»
gravité par leurs inutiles diéjtr. ï l faut que, refpec-
tant dans cet ordre le type de l ’ordre, ils y voyent
une règle q u i, loin de fléchir au gré de tous- ies;caprices
, fa (Te au contraire fléchir tout devant elle ,, ÔC
Cerve à pedrefler. tqus Les écarts delà fautaifie,; aw