quoique tout cet enfemble foit une conception
grande & fi ni pie, les dé.'a ls n’ont pas une valeur
qui y réponde. Il eft toujours tâchëux qu’un
grand- tout ait de petites partit s. Bramante au
relie ne paroit point avoir été feul ordonnateur de
cette entreprife. Vafari nous dit qu’elle fut le résultat
de pîufieurs talens réunis. Le conllruéteur
fut un certain Antonio Monte Cavallo.
Une facilité d’invention qui ne pouvoit fe comparer
qu’à une promptitude plus extraordinaire
encore dans l’exécution, fut le caractère diftinêlif
du talent de Bramante. Ces qualités le firent rechercher
par tout ce qu’il y avoit de grand dans
Rome, & tous les travaux importuns fembloient
venir au devant de lui.
Cependant ce génie, fait pour exécuter de grandes
choies, avoit befoin qu’il fe rencontrât un
autre génie pour les vouloir & les commander.*
Jules II manquoit encore à Bramante. Ce pontife
parut , & monta fur le liège de Saint-Pierre : à
l’inllant le Vatican fortit de terre.
Jules II conçut l’idée de faire un vafte enfemble
des,parties détachées & incohérentes de l ’ancien
palais pontifical & du belvédère. L’efpace qui les
fépai'oit étoit un terrain montueux & des plus irréguliers.
Il falloit un projet qui fît de ces parties
un tout. Celui que Jules II fit exécuter par Bramante,
fuffiroit feul à la gloire de cet arckileéte.
Il réunit les deux édifices, par deux ailes de galeries
qui conduifent de l’un à l ’autrei L ’une de ces
ailes regarde la ville; l’autre eft du côté des jardins
du Vatican.L’entre-deux, dans le plan primitif,
formoit une cour de quatre cents pas de
longueur. A une des extrémités de la cour il éleva,
entre deux petits corps de bâtiment, cette grande
niche couronnée d’une galerie circulaire que l’on
aperçoit de toutes les parties de Rome, 8c qui
porte le nom de belvédère. A l’autre extrémité,
c ’eft-à-dire, contre les murs du palais vieux, il
bâtit en gradins de pierre un théâtre circulaire ,
d’où un grand nombre de fpeêlateurspouvoient voir
les jeux qui fe donnoient dans la cour. L ’aire de
celte cour préfentoit deux plans, l’un plus bas du
côté du théâtre , l ’autre plus élevé du côté de la
grande ruche dont on a parlé, Unefcalier à double
'rampe, avec deux étages de colonnes, conduifoit
de la cour inférieure à la fupérieure.-
Les deux ailes de galerie formant la longueur
d e là cour, étoient à trois rangs de portiques en
hauteur, dans la partie inférieure de l’aire, c’eft-
à-dire, depuis le palais jufqu’à la montée qu’on
vient de décrire. L ’élévation du fol réduifoit la
galerie à un feul étage. Rien n’étoit plus pittoref-
que & plusingénieufement penfé que cet enfemble.
La variété des plans yompoit la monotonie de
cette longueur extrême dans la cour. D’un côté
la grande niche , de l’autre l’amphithéâtre, &
dans le milieu les rampes d’efcalier produifoient
par ces divifions autant d’afpeêls riches & variés.
|VIais la partie la plus admirable de cette coippor
fition étoit fans contredit l’architeêlure des deux
ailes, c’eft-à-dire, des deux galeries dans l’inté-
rieur de la cour. Bramante n’acheva que celle
qui donne du côté de la ville , & encore à l’exception
du troiGème ordre ; l’autre, dont il jeta feulement
les fondations, fut continuée & terminée
félon fes deffins après fa mort. Il avoit choifi pour
modèle dans la compofilion de fes ordres, les proportions
du théâtre de Màrcellus. Le premier éta°-e
étoit, comme dans cet antique monument, en arcades
dont les pieds-droits étoient ornés d’un ordre
dorique, excepté que l ’ordre étoit en pilaftres au
lieu a être en colonnes engagées. L’étage au-deflus
fe formoit d’un fécond rang de portiques dont
l’ordre étoit ionique , aufïi en pilaftres. Le troi-
fième étage, formant loge continue, étoit en colonnes
corinthiennes. Toute cette architeêWe, à
peu près femblable à la cour du Vatican, que Raphaël
exécuta d’après fes délîins, étoit du meilleur
caraêlère & du plus beau ftylé, & il ne s’eft
rien fait de plus approchant de l’antique pour la
pureté & la correction.
Malheureufement on ne peut plus guère fe former,
que par l’imagination , une idée précife tant
de la compofition générale que des détails & des
proportions de cette architecture. Les nombreufes
reftaurataons qu’elle a foufferles l’ont rendue pref-
que méconnoifiable aux yeux c|u connoiffeur. Quoique
toutes les parties en exiftént encore, ces parties,
renforcées & appuyées de nouveaux maflifs,
ont perdu précisément ce qui en conftituoil l’effet
& la grâce. L’impatience de Jules II fut caufe du
peu de folidité avec laquelle toute cette conltruc-
lion fut fondée. Ce pontife auroit eu befoin d’un enchanteur
pour architecte; il lui auroit fallu qu’à
fon ordre les édifices fortifient de terre tout
formés. Bramante ne fe prêta que trop à cet em-
preflement inconfidéré. Ilfaifoit travailler de nuit
aux fondations. Ses a gens-le trompoient, il le fit
des malfaçons de tout genre, & la bâlifl’e à peine
achevée éprouva de toute part des léizardes. Sous
Clément V II, c ’eft-à-dire, à peine vingt ans après,
il s’en écroula quelques, parties. Il fallut, au temps
du pape Paul III (Farnèfe) , reprendre le tout
fous-oeuvre, & fortifier les parties aux dépens de
leurs proportions. Depuis encore , fous les papes
Benoît XIII & Benoît X IV , toute la conftrudlioa
a été remaniée, renforcée, & l ’archileêlure a toujours
été perdant en proportion, ce que la ba-
tiflë gagnoit en folidité.
Quant au plan & à l’effet vraiment théâtral de
l’intérieur de cette vafte cour, tout cela a difparu
par les changemens qu’y opéra Sixte-Quint. Un
peu en avant de la belle montée-qui divifoit l’el-
pace en deux plans,. l’un Supérieur, l’autre iule*
rieur, il éleva un corps de bâtiment pour y placer
la bibliothèque du Vatican, & il coupa ainfi
cette belle enceinte en deux parties, dont l ’une eft
une cour allez trille , & l ’autre une forte de jardin
ou de parterre d’où la grande &ç belle niche du
Rfilvédèrene peut que paroître difpropor donnée.
l/honneur de tout ce qu’il y a de grand & de
beau dans le Vatican n’en appartient pas moins à
jbramante, quels que fuient les changemens que
fes conceptions & fes ouvrages y ont fubis. On
peut cependant y en,ci 1er,un qui nous eft parvenu ’
|nïa£t > ç ’eftle bel efcaller en fpirale qu’on y ad-
mire, fufpendu fur des colonnes doriques, ioni-
ques& corinthiennes, dont les ordres fe fuccè-
dent dans les révolutions de la montée, tenue
d’ailleurs d’une pente fi douce, que les chevaux la
parcourent facilement. Cette production, eft réputée
une des plus heureufes de Bramante, quoiqu’il
n’y ait pas eu le mérite de l’iuvention. Ni-
! colas de Pife avoit conftruit un efcalier femblable
dans le campanile de Saint-Nicolas des Auguftins
à Pife, au milieu du treizième fièole. (On en retrouve
la defcription faite par Vafari, à la vie de
| Nicolas & Jean Pilàns. )
L Jules II combla de faveurs l’artifte qui fervoit
fi bien fon goût favori. Tl accorda à Bramante
[l’office del piombo, ou de directeur du fceau à la
l 'cbaueellerie. Il le conduifit avec lui dans la güerre
qu’il avoit alors à foulenir, & l ’employa comme fn-
génienr. Bramante enfin lui étoit devenu nécef-
' faire,, & fembloit être, moins fon architeêle que
fon favori.
On a foupçonné Bramante d’avoir abufé de fon
crédit auprès duPàpe, pour s’approprier toutes les
entreprifes, 8c même d’avoir tenté de décréditer
dans fon efprit Michel Ange, le feul rival qu’il
[pût avoir, Vafari & Condivi font allez d’accord
fur ce point. 11 paroît confiant que Bramante, qui
venoit de produire Raphaël, 8c qui avoit le def-
l'fin de terminer la décoration du Vatican ,
cherehoit à détourner Jules II dès grands pro-
| jets de fculpture déjà confiés à Michel Ange.
I Le fait eft qu’il réunit à le dégoûter de l ’entfe-
1 prife du grand tombeau dont les modèles s’exé-
[ tutoient; 8c. cela fous prétexte que cet ouvrage
étoit d’un fâcheux augure. Après avoir réufli à
le faire avorter, il infinua au Pape d’employer
Michel Ange à peindre la chapelle Sixtine. Il
! efpéroit, difent les deux hiftoriens qu’on vient de
citer, ou que Michel Ange, qui n’a voit pas la
| pratique de la frefque , éclioueroit dans cette
enlrèprife, 8c que ce parallèle releveroit d’autant
le mérite de Raphaël, fon parent 8c fon protégé,
ou que le refus que feroit Michel Ange dé
fe prêter aux vues du Pape, lui en attireroit la
[ (grâce.'
Quoique tout cela ne manque pas de yraifem-
blance, on peut croire encore, fans prêter k Bra-
mante des intentions peu honorables, qu’il voyoit
avec peine le Pape engagé dans des dépenfes
| exorbitantes pour le maufoiée dont il avoit conçu
1 idée, & qu’il prévoyoit bien que cette entreprife
üuiroitau. fuccès des fiennes. Au fait, raifonnant
cornue architecte du Vatican, Bramante de voit
mieux aimer faire employer Michel Ange à la décoration
de cetédifice, qu’à la fculpture d’un tombeau
qui n’avoit pour le moment aucune deftinatiou.
Ce fut cependant ce fameux tombeau, objet de
tant de conleftations, qui occafionna l’éreêlion
de la bafilique de Saint-Pierre. Condivi nous l ’apprend
, 8c les détails qu’il nous donne à ce fujet, il
les tenôit de Michel Ange lui-même', dont il fut
l’élève 8c le confident.
Ce vafte tombeau, qui de voi t fe compofer de quarante
lia tu e s , avoit été projeté, deffinc 8c commencé,
fans qu’on fût encore où l’on devoit le
placer. Jules II chargea enfin de ce foin Michel
Ange. |
La vieille églife de Saint-Pierre menaçoit ruine
depuis long-temps. Le projet de la reconftruire
avoit déjà occupé le pape Nicolas V , homme à
grandes entreprifes , fa vaut en architecture,, 8c. du
génie le plus élevé. Il avoit même fait plus que
projeter. Au chevet de l’anciènne bafilique , il
avoit commencé de faire élever ce que les Italiens
appellent la tribuna, ce que nous appellerions le
rond-point, ou l’hémicycle du nouveau temple ,
dont Bernard Roffellini avoit donné des deffins.
La conltruêtion étoit déjà de quatre ou cinq pieds
hors de terre, quand Nicolas V mourut. Bientôt
8c le projet 8c la conftruêtion tombèrent dans
l’oubli. Michel Ange cherchant un emplacement
pour fon tombeau, retrouva la tribuna de Nicolas
V , 8c propofa au Pape de terminer"cette conf-
tr action & de là couvrir, moyennant une femme
de cent mille écus ( romains ). Deux cent mille
s’ i l le fa u t , répond le Pape enchanté, 8c fur-le-
champ il mande Julien de San G allô. 8c Bramante
pour examiner le local 8c faire les deffins.
Une idée fouvent conduit à une autre. Celle-ci
réveilla dans l’efprit de Jules II le grand projet
de reconftruction de Saint-Pierre. Il ne fut plus
queftion de la tribune de Nicolas V que pour reprendre
dans fon entier le plan dont elle étoit une
petite partie. Jules II confulta les plus habiles architectes
du temps; mais , au v ra i, le combat fut
entre Julien de San CaWo&L Bramante. Ce' dernier
l ’emporta, 8c d’un grand nombre de projets qu’il
f it , le Pape choifit celui fur lequel Saint-Pierre fut
enfin commencé,
Le véritable projet de Bramante fe retrouve à
peine dans le plan aêtuel delà bafilique du Vatican.
Il ne s’y en eft confervë qu’une idée générale , 8c
fimplement que ce qu’on doit appeler la conception
première. Les nombreufes viciffitudes qu’a
éprouvées ce mouument , font conLignées dans
l’biftoire qu’en a faite le. j©fuite Bonnani ; il faut
avouer qu’il y a peud’hiftoires qui offrent autant de
révolutions. Bramante mort, fes projets 8c fes deffins
furent difperfés. Ce que nous en connqifibns,
nous le devons aux foins que prit Raphaël de recueillir
les penfées , 8c de remettre au jour les
plans, que Serlio configna depuis dans fon ouvrage
d’architeêlure. C’en donc d’après ces deffins
, plus que fur le monument aêluel de S ai ni