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«référés, d’expreffions ; en effet, rien ff’eft parfaite- I
ment femblable. C ’eft par des diffimulitudes contt-
mielles & infinies que tout fe diftingüe , & c’eft ,
cette prodigieufe variété q u i, outre qu’elle fait discerner
les objets, donne encore à ce qu’on appelle •.
rame, le plaifir qu’elle éprouve à voir. Si tout étoit I
femblable, l’ame ne feroit plus attirée par le befoin !
de juger, de comparer, de difcerner, & elle tombe- 1
roit bientôt dans cet état de langueur & de parai y fie, !
qu’on appelle ennui.'Cet état on l’éprouve partiel- j
lement, foit en entendant des Tons monotones & J
prolongés fans changemens d’intervalles ou de me- ■
fure, l'oit en ayant la vue continuellement fixée
fur des objets uniformes ou d’une teinte égale j
comme l ’horizon d’une mer tranquille, ou d’une !
plaine de fable. S’il étoit poffible de compofer à ]
un homme un état de chofes qui fe combineroit de
tous les genres d’uniformité phyfiqne & morale, on
peut affirmer que cet état feroit celui d’une maladie
de langueur.
Je ne dirai pas que la natute a produit cette
variété , ces ©ppofiticns, ces contraflcs dont elle fe
compofe , pour le plaifir de notre ame ; cette idée
feroit vide de fens ; mais je dirai que tout ce qui
eft dans Penfemble de la nature eft en harmonie
avec chacune de fes parties ; cet état de chofes eft
comme l ’élément moral dans lequel chaque être
eft obligé de vivre ; fi ce qui eft hors de l’homme
n’exiftoit pas comme il exifte, l’homme feroit lui- 1
même différent ; il me fuffit de favoir que l’homme
ne peut pas plus fe paffer des variétés de la nature
qu’il ne peut fe paffer de l’air qu’il refpire.
Les arts qui veulent rivalifer en quelque
forte avec la nature, dans les images, des chofes
qu’ils préfentent à l'appétit que l ’homme a de voir,
de juger & de difcerner , doivent donc bien con-
noître deux chofes, la manière dont la nature procède
dans les diffemblances des objets, & le degré
comme .la nature du befoin que l’ame a de ces diffemblances.
La nature a-t-elle des règles fixes dans fa manière
de varier les objets ? On peut dire que fi elle n’a
pas- de règles invariables, cela vient du fyftême
même de variété ou de mouvement auquel il fem-
ble que ces lois auffi font affujeties ; mais on ne
fauroit douter que des obfervations confiantes ne
nous conduifent à reconnoître des- principes généraux
dont elle ne s’écarte point.
Si l’on remarque de quelle manière la nature
procède, dans quelqu’ordre de chofes qu’on veuille
épier fa marche, on verra que c’eft par progreffions
, c*eft-à-dire, par une fucceffion d’intervalles
doux & plus ou moins légers. Ainfi, comme rien
n’eft femblable dans la nature, rien auffi n’eft fixe
ni ftationnaire ; un mouvement inaperçu jufques
dans les chofes les plus durables en déplace incef-
famment les parties & les fait changer de formes.
Si on examine la nature dans l’ordre moral , dans
les facultés de l’ame , dans les impreffions qu’elle
jeco it, on la voit fubordonnée à cette même mar-
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che graduelle & progreffive; L ’ame a befoin de
mouvement, elle veut changer de fituations ; mais
en général lorfqu’elle eft lailïée à elle-même, elle
répugne à ces changemens brufques qui la fatiguent.
Si la nature procède en général par nuance, elle
éprouve auffi par fois de ces tranfitions fubites qui
ont Pair d’être des exceptions aux loix ordinaires
qui règlent fon cours ; fi ces tranfttions font rares,
à plus forte raifon les arts d’imitation doivent-ils
s’en .montrer économes.
Ils devront mettre une bien plus grande réferve
encore dans l’emploi des contraflcs , fi comme on
l’a dit, le contraflt prélente toujours un grand intervalle
à franchir, l’on ne fauroit dire fi l’homme
a plus befoin de repos que de mouvement; c’eft à
étudier la difpofition de l’a me que l’artifte. doit
apporter fes foins, & comme par fes ouvrages' il
produit, dirigé ou maîîrife cette difpofition , c’eft
à lui de la rendre telle que l’ame défire le
contraflt.
Il faut dire , au refte , que tout eft relatif dans
la théorie du contraflt ,* on ne fauroit tellement le
définir, que ce qui eft un contraflt dans un ouvrage
le foit nécessairement dans un autre. Quel eft
l ’homme fenfible aux effets de la nature & des arts ,
qui n’a pas obfervé que fon ame éprouvoit fou-
vent entre deux nuances voifines une impreffion de
■ contrafle auffi. puiffante qu’entre deux teintes très-
oppofees. Un feul fon même confonant, s’élevant
tout-à-coup de quelques degrés, au milieu d’un
chant jufque là contenu dans le cercle des cordés
les plus voifines, peut produire en mufique un
effet a uffi faillant, auffi contra fié , que l’emploi des
modulations les plus hardies ou des intervalles les
plus étendues.
L’effet du contrafle tient donc Beaucoup à la
difpofition aâuelle de l’ame, à l’état où elle fe
trouve au moment où l’arrivée d’une impreffion
nouvelle la faifit, le contrafle lui offrant un déplacement
violent, il lui fera pénible fi elle fe trouve
trop engourdie, il fera nul, fi elle eft dans une trop
grande agitation.
L’art de produire un contrafle n’eft aùtrfê que
celui de donner à l’ame une impreffion qui excite
en elle un mouvement, un changement d’é ta t, un
déplacement fenfible. Avide de mouvemens , elle
fe plaît à ces déplacemens , mais il eft des précautions
à prendre pour les lui faire fubir fans qu’elle
en murmure. Le but des arts eft non-feulement
d’émouvoir mais de plaire, & ils ne réuffiffent à
faire l’un & l’autre qu’autant qu’ils fubordonnent
les moyens qui peuvent y fervir, aux vraifemblan-
ces & aux convenances fans lefquelles l’ame fe refu-
feroit bientôt à fuivre l’artifte, dans des routes
trop éloignées de la convention qu’elle a bien voulu
faire avec lui. Loin de l’émouvoir, & à plus forte
Taifoh de lui plaire , une trop grande diftance à
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franchir, fefoit pour elle une diftraSion , qui pro-
duiroit à l ’inftant même l ’indifférence ou le de-
plaifir. Il lui fembleroit entendre tout-a-coup une
langue étrangère inconnue , & fourde à ce nouvel
idiome , elle fecoueroit avec impatience le joug
même des impreffions qu’elle auroit déjà reçues.
Pour lui conferver fa docilité , l’art ne fauroit trop
careiTer fes défirs, fes craintes, fes répugnances , &
'îufqu’à fes caprices. Aux prifes avec la nature ,
il faut bien qu’elle, cède aux impreffions fortuites,
aux contraflcs tranchans que celle-ci lui fait fubir ;
mais l’art n’exifte que pour elle & que par elle ; elle
a le droit d’exiger de lui qu’il ne lui imprime d’autres
impulfions que celles quelle voudra lui permettre
, d’autres mouvemens que ceux qu’il lui
plaira de recevoir.
La raifon & îe fentiment de la convenance , ou
fi l ’on veut la connoiffance éclairée & réfléchie des
vraifemblances , des befoins & des limites du fujet à
traiter, eft ce que l’artifte doit le plus étudier pour
la sûreté des effets qu’il veut produire ; malheur
au fujet lui-même, fi l ’art pour le traiter avoir
befoin de trop braver la raifon & la vraifem-
felance. Ainfi, le contrafle, pour être heureux, a
befoin d’être également d’accord & avec la raifon
& avec le fentiment. Les règles préeifes fur de tels
fujets font hors de toute théorie, comme elles ex-
céderoient beaucoup trop l’étendue que j’ai ré-
folu de donner à cet article. Chaque art, au reste ,
pourroit avoir en ce genre fa théorie particulière;
parce que chacun agiffant fur l’ame par des inftru-
mens particuliers, & s’adreffant à elle parle moyen
d’organes différens, il feroit poffible que les principes
généraux, vrais, à l’égard de tous, fouffrif-
fent beaucoup de diverfité dans leurs applications.
Par exemple, l’architeâure eft un art qui s’a-
-dreffe à l’entendement, ou à la partie intelligente
de l’ame, beaucoup plus qu’à fa partie fenfitive ;
c’eft fur-tout par le moyen des rapports & de leur
combinaifon qu'elle parle à . l’entendement ; or ,
cette partie de notre ame, eft celle qui fe prête
le moins aux contraflcs. Les rapports que l’art lui.
préfente, font auffi de ces objets dans lefquels le
plaifir du contrafle entre pour très-peu. Les pallions
& les affe&ions qui fe plaifent dans les autres arts
à être remuées par des effets ou des fituations inattendues
, ne font prefque pour rien dans les jouif-
fances de l’architeéfure ; cet art eft trop tributaire
de la raifon , pour fe permettre de badiner avec
elle. Tout contrafle, proprement d it, & tel qu’on
l’a défini, me paroît même ne pouvoir s’y intro- ’
duirb.
Je n’appelerai pas en effet des contraflcs, mais
feulement des oppofitions, tous les moyens de
variétés que l’architedlure emploie pour donner
de la valeur aux rapports dont fe compofent fes
ouvrages. Il eft bien vrai que la richefte de quelques
parties ne brille qu’aux dépens de la fimplicité
ffe certaines autres 5 qu!un fond fimple & fans or-
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nemens reçoive un périftyle orné, celui-ci par-
roîtra plus riche que li fon fonds eût difputé avec
lui l’attention du fpeftateur.
Que je veuille vous frapper par l ’éclat & la
magnificence d’un riche falon, j’aurai foin que fes
veftibules & avant-pièces, lui foient très-inférieures
en ornemens ; mais ces graduations, on auroit tort
de les appeler des contraflcs ; un contrafle en ar-
chite&ure, feroit le paffage fubit & brulque d’un
fouterrain taillé dans les formes les plus nmiqües Sc
les plus gigantefques, à un temple d’ordre ionique,
décoré des marbres les plus gais, où toutes les
couleurs les plus riantes , tireroient encore d’un
jour brillant un éclat nouveau ; mais comme on
le v o it , de telles combinaifons appartiennent beaucoup
plutôt à l ’art de la décoration de théâtre
qu’à celui de l’architeélure ; & comme on a obfervé
que l ’ame vouloit de la vraifemblance dans
les contraflcs, l’on peut affirmer que fi de pareils
effets fe trouvoient produits par une architeélure
réelle , fans que le befoin en motivât l’obligation ;
la raifon feroit là , pour s’opjrofer à J’efpèce de
plaifir que de femblables jeux optiques pourroient
procurer à des yeux ignorans.
Si fortant de Ges données capricieufes, on veut
examiner l’architecture procédant avec les moyens
qui lui font propres, c’eft-à-dire, les ordres qui
font comme les tons, on la verra beaucoup plus
impuiffante qu’aucun autre art, à produire des
contraflcs. En effet, la mufique qu’on lui compare,
habituellement, comme bornée à un petit nombre
de moyens, a cependant & de bien plus grands
intervalles & de beaucoup plus fenfibies extrêmes,
entre le piano le plus doux, ôt le plus grand fortcy
il exifte un fi grand intervalle, que le rapproche-,
ment fubit de l ’un à l’autre, peut produire de vio-
lens contraflcs ; il y aura toujours celui qui ré-
fulte d’un paffage rapide du filence au bruit ; mais
je ne vois pas que du dorique grec au corinthien ,
par exemple , il y ait de quoi former un contrafle p
pour un ceil non-verfé dans ces fortes de conventions.
Il y a mieux, c’eft que les ordres ne font
pas oppofés entre eux, mais différens. Si le corinthien
lignifie richeffe , lé dorique fignifie force y
ÔC en mettant l ’idée de force en pendant avec
celle de richeffe , vous pouvez opérer une drffon-
nance, mais non pas un contrafle.
Que la nature me faffe paffer fubitement dans les
fcèri es que le payfage me préfente d’un fite aride & fau-
vage, à un point de vue riant & fertile ; d’un afpeéfe
refieré entre des rochers à un horizon étendu , il y
a là contrafle ; c’eft-à-dire, rapprochement d’extrêmes
; que l’archite&ure veuille produire de
femblables effets, d’abord elle ne le fera qu’im-
parfaitement avec les moyens qui lui font propres ,
parce que du plus pauvre, qui eft rabfer.ee d’or-
nemens, au plus riche qui fuppofe une furcharee
de décoration, il n’y a pas pour l’oeil la valeur
de deux extrêmes» attendu que le plus pauvre n«