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C’eft là-une des caufes qui accélèrent le fentinrent
d’indiffeireace, 8c quelquefois de dégoût, que
l ’on conçoit dans certains temps pour les. ouvrages;
marqués au coindu génie, 8c où brille le plus [’intention.
Alors ceux qui cherchent à plaire par l ’origi-*
«alité, s’efforcent de découvrir des manières nour
velles. Mais l’originalité qu’on cherche, eft ^ kur
jours une manière faclice qui devient bientôt de
la bizarrerie. Le goût du public, avide de ch an ge-
mens, fe laiffe prendre à l’appas de la. nouveauté ;
il proclame inventeur celui qui lui paroit fortir
des routes battues ; il appelle invention ce qui n’efl
qu’innovation. Bientôt tout refpeêl pour les jfègles
8c pour les convenances pafle pour timidité & fer-
vilité, 8c le champ de l’imitation eft livïé aux
déréglemens du caprice 8c de la fantaifie. G’eft à
peu près là l’hiffoire de tous les arts dans les; temps
modernes.
Il faut dire que ce doit être là , plus pu moins,
le fort, de inventiony partout, où. le génie ne
trouve pas le degré de contrainte dont il a befoin,
fagement combiné avec lamefure d’indépendance,
qui ne lui eft pas moins néceffaire.
Ainfi, nous voyons en Egypte 8c chez tous les
peuples de l’Afie, que le génie étant comprimé ,
l'oit par le fyttème politique des caftes , qui établit
l’efprit de routine , l’oit par la puiffaoce religieufe,
qui retient dans un état perpétuel d’enfance l ’art
des lignes, foit par l’influence immodérée du.pou-
voir de l’habitude fur l’homme, l’art ne put trouver
la liberté nécefl’aire aux cfiangemeus qu’exige le
développement de lafaculté imitative. L à , où il n’y
eut pas de liberté , il ne put pas y avoir invention
: car on n’appelléra jamais ainfi, ces affocia,-
lions monftrueufes d’élémens difcordans , dont on
remarque que fe forma un, certain goût d’ornement
dans l ’Inde 8c; daps.la Perle. En fait d’art,,
il n’y a, pas ^invention où il n’y a pas .imitation de
la natjire, 8t cette imitation ne fauroit avoir lieu
là, où iL eft défendu.de fortir des formes, des conventions
8c. des méthodes confucrées pan une mutine
ignorante : c a r , daps ces pays , l’idée d’inter-^
elle-la connoiffancc des règles qui doivent
de frein à la liberté d’inventer. Ces règles qj
prêtent la nature, 8c qui s’identifient à l’imitation]
trouvèrent heureufement une puoteftion., dans lj
f combinaifon même des inllitutions qui avoieq]
créé la liberté des. arts : car , fi l ’artille fe trouva
libre de communiquer, dans fes oeuvres,lesimpreiv
lions que lui;faifpieut éprouver celles de la naiave
il fut tenu de refpeâer un certain nombre de-
types, de caraôl.ères., de formes 8c de fyftèmJ
confaçrés d’abord par l’ufage 8c enfui te par y
génie de l ’obfervatiou. Ces conventions, tx'acèrentl
le cercle ,. dans lequel l’imagination avoit loutl
l ’effor néceflaire pour inventer, fans avoir cettel
indépendance abiolue qui , trop fouvent, égaie]
le génie : 8c comme, en politique, il n’y a point dJ
liberté fans l’obéillance aux lois ,, en fait d’art i[|
n’y eut pas à’invention} fans l’obfervance desl
règles.
roger la nature, ne; le préfente pas à qui ne fauroit
que faire, de. fes réponfes.
Des circonftances, heureufes , ainfi qu’on Ta dit
plufieurs fois, émancipèrent le génie, des Grecs ,
aflervis-, d’abord eux-mêmes à la tyrannie de la
routine; 8c un concovtrs.de. caufes très-partiqulier^
donna l’effor à l'imitation. dans, tous- les- genres,
d’art. Dès qu’il fut permis de modifier ^es • figues,
religieux ,. dès que le langage., .moins entravé par
une écriture f^crée , put devemr .l’cxpreifipn des
fentimens 8c de,s paffions ,. l’effet de c.e.tte liberté
fut de chercher des-modèles., deles-eonfulter,. de
les. étudier; 8c peuà,peula natuçe-, fi près 8ç forn-
vent fi loin ded’homm.e , révélatàf;l’imi.tajteur des
beautés pour lefqnelles le relie du;genre. humain j
n’avoit pas. eu d’yeux. \j invention,uà.^\.ùt y mais 1
4e ce principe meme de limatalion r naquit avec \
Les Modernes, en héritant des arts d e s Grecs!
8c de leurs, règles^, ne trouvèrent, toutefois.d’aiiirel
contrainte pour, les obferver , que celles du.goût,]
arbitre abfolu, mais fouvent dominateur très-va-I
riable. Les ouvrages qui parvinrent en grandi
nombre à leur connoiffance , ne furent pas les]
modèles les plus parfaits. Le laps des a n n é e s , les!
viciflitudes qu éprouvent tous les tr a v a u x d el
l’homme , fa dégénération d e s principes, k
mille caufes diverfes avoient produit dans les]
productions de tous, les genres d’a r t,. à Rome I
furtout, une décadence feufible. De-là une ex—1
trême incertitude 8c de continuelles variations]
chez les artiftçs modernes,. Des moeurs diflé-H
rentes, une a u t r e r e l i g i o n la diverfité des cli- I
mats , rendirent très-difficile, l’application exadej
des formes,, des.principes;, dos méthodes & des]
manières, de voir antiques.,, à tous les genres]
d’ouvrages, Le feizième f i é e le , en I t a lie , ve- Il
produifit,. autant qu’il fut poffible , les .principe* I
de l'antiquité dansv tous les arts, 8c. fu r to u t dans!
l-’arehiteâure;. Les règles 8c les-combinaifons d eI
çet a r t , les caractères, des ordres , le bon goût I
des ornemens,.tout fut appliqué avec beaucoupI
fie fupcès aux édifices civils. 8c religieux , & l’on-1
vit Léon-yBaptifte Alber.ti:,, Bramante., Baltbazar |
Eeruzzi, Sangaflo,.Balladio, Serlio,-Scamozzi., &Ç* ]
rivfilifer entr’eux ,.foit dans-leurs monuxnens, toit 1
dans leurs traités,,pour fixer de nouveau, le génie-
moderne', dansle. cerçle- où,le génie de l’antiquité;
s’étpit. exercé pendant douze, fiècles , fans |M|j
épuifé le»i Qombinaifo.ns des .élémeps. toujours le-
cpnds ,., qui font lai, matière des inventions de.cfi.
art, Mais rjen^,. ni dansées tQ p i nions -, ni-dans les-
ufages-: exiftans , ni dapsv aucune inftilution , ne
fervpiç. de fa.üve-garde à»4 l’emploi), des f°rmes H
aux. caractères diTïérens; dçs. édifices , aux con-
vepa«c.e.s refpêâiveS i- que, lé: goût, de concert
avec les moeurs , doit faire.-refpeCter. , J
I l . faut- dire encore, que l'architecture, ain I
que. les.,autres arts ,, n’éloient plus, des promue |
! N V
«nfîves des pays où ils s’établiffbiènt. L ar- i
T^ltire füccédmt à un goût de bâtir, qui s’étoit
r l . avec beaucoup d’habitudes étrangères a I
ï T & auxquelles il fallut faire plus d’un facri-
p*Cet a rt, au lieu d,ctro le réfultat lent 8c lue-
K flîf de formes , de proportions &. de cctmbinai-
W d’aocord avec les befoms , qm réçi-
Lauement s'y étoient lubordonnes , reparmüoit
E,-à-ooup tout formé , avec des réglés pmiées ,
h , unes dans la nature , Si les autres dans les
(conventions variables du goût.
| Bientôt on confondit les unes ayeoles autres ;
L comme les Anciens eux-mêmes n’àvoient jamais
Etétendu qua. l’architeaure pût être affujettiè à
Ees utefures géométriques ; comme au contraire ,
k nature leur avoit enfeignë dans l’imitation
H M i de fes oeuvres , de quel genre devolt être
[limitation idéale qui convient à l'architecture,
an crut que, parce qu’il n’y avoit pas de modèles
d’édifices dans la nature, il ny. avoit pas
d'imitation dans l’archileaure , & que parce
Itu’il y a des variétés dans les rapports de toutes
lits parties qui conftituent le fyftème de cet
[art, il n’y avoit ni principes, ni règles, ni
taifons. Dès-lors f l’imagination fe crut libre de
[tout enfreindre Si de tout ofer, de tout détruire
ê de tout produire , 8t l’on donna le nom d’an-
«nfwra à tout ce qui étoit déréglé , comme fi
l'intention ne pouvoit avoir lieu avec des règles.
[ G’eft pourtant cela qui caraQérife Xinvehtion
propre des beaux-arts, là feule dont il pùilfe être
|aci quéftiom _ .
Nous avons vu que Xinvention cdnfiftoit dans
j une cotnbmaifon nouvelle d’élemens préexiftans.
Mais quels font les élémens que L’inventeur ,
. digne de ce nom, doit combiner i Sans doute ,
on ne doit l ’eutendve que dès élémens qui en-
ftïent dans l’enfemble d’un Ordre didées, de rapports
, d’objets , de parties, ayant déjà une con-
|nexioii de genre entr’eux : car , rapprocher dès
êiresde nature différente, c’eft créei4 des monftres,
c’eft faire des rêves. Ainfi, dans tout a r t , il ne
I peut être queftion que des élémens ou des etres
| qui peuvent former le domaine de cet art. La pein-
I tiire combine des couleurs, mais il nè peut s agir
» que des couleurs qui font appropriées aux etres
qu’elle imite; ainfi de fuite des formes des corps,
de l’efpèce de créatures foumifes à telle ou telle
dfpèce d’imitation. Toute autre manière d’entendre
les combinaifons qui font du reffort de Vinvention ,
lemit une âbfurdité du genre de celle qu Horace
a exprimée par ces vers :
Mmaûb capiti ctrvictm piftor equinam ,
Jungere f i v è l i t , &c.
Ce principe n’a befoin que d’être énoncé pour
etre prouvé, 81 fes conféquencès direôlés font :
que chaque efpèce d’art eft borné à un certain
ordre d’imitations , que chaque imitation l’eft à un
certain ordré d’objets déterminés , au-dela desquels
fi ne fe donne que ffiss* combinaifons hé té-
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rogènes, comme lorfqtfe l’on mole enfecible les
élémens de la comédie & delà Iragédie, de l hillon-e
& de la poéfie, de la peinture & de la icuLp- _
ture, 8tc. . . . ,
Ainfi, la théorie des effets de l’imitation & du
plaiflr qu’elle piuouro , ta appri. que lès bornes
impolües à chaque art, Si les chaînes qui captivent
l’artille , dans le reffort qui lui oïl alhgne, font
la caufe la plus attivo des impreffions qu il produit
, parce que , li ces lieus font rompus ,-d art
lui-même elt diffous : & comme ces obrervaüons
l’e fondent, non-feulement fur l’analyfe de chaque
a r t , mais fur la nature même de notre ame , qui ,
étant une , ne jouit que dans l’unité , ne voit que
p a r i unité j & nefaurèit le plaire dans des lenla-
tions divergentes on incohérentes : de-là font nées
les règles élémentaires des différeûs arts, & toutes
les maximes de détail & d'application particulière
qui forment la théorie de chacun. , .
O r , ces tègl'es n’ont véritablement été inventées
parperfonne; 81 fi elles paroiffent avoir été
le réfultat des chefs-d’oeüvré des grands hommes,
il faut bien Te garder dé croire qu elles n exiltoreiit
pas auparavant. Seulement c'ês grands hommes &
feiirs ouvrages ont manifeflé les règles qui les ont
conduits ; ils les ont rendues fenfiblés par leurs
exemples , & ont mis leurs fùècêffe'urs à meme de
les énfeigner plus clairement. Des règles lie font
que des obfervations faites fut là nature; elles
exillént avant quon les apërçoive ; l’homme
ne lès fait pas, il les découvre. Dés plus beaux ouvrâmes
fô'nfce'ùx où ellés brillént avecleplus d éclat.
ifoin donc que les règles nnifent à l ’innen-
tioii y Xinvention n’èxifte point hors des réglés 5
& le mérite dé l'invention feroit n u l, s il pouvoit
n’y avoir pas de rè g le , bar il n’y âuroit aucun
moyen d’eh juger. _ .
Si l’on rapproche ces principes , des tentatives
que beaucoup de novateurs ont faites en arcnitec—
ture , & des efforts multipliés d’ün grand nombre
d’hommes , pour nier ou pour détruire les règles
de tët ar t, pour prouver que tout y étoit né du
hafard, que tout, dès-lors , pouvoit y êfi'ë frifior-
donné au caprice de chacun, on fe convaincra
qu’aucun art n’à plus befoin de règle , 81 que ,
dans aucun, l'invention où le don des combinaifons
nouvelles., n’a plus befoin d’être renfermé dans
un cërcle déterminé d’élémens préexiftans.
Des élémens de l’architeÛure ne font pas toutes
lès formés pôffibles que l'imàgination peut emprunter
à la nature , pour les appliqueraux plans ,
aiii élévations & à l'ornement des batimens. Si
cela é toit, ces formes fans nombrè, fans rapport
entr’elles , fans liaifori, & dès-lors fans fignificaiion
quelconque, fëroient dë l’art dé 1 architefïure
l ’image du chaos & le modèle du défordre & de la
déraifon . Il eft fenfible qu’àne confidérer les formes
imitables par l ’a r t, que dans le fens le plus abf-
trait, l'oeil ne peut avoir du plaifir à leur réunion,
qo’attttât qu’une vail'an apparente en devient la.
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