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Lorfqu’on ignore les motifs dont on vient de I
rendre compte, on peut trouver étrange qu’on ait
bâti dan s un lieu fi défer t un édifice auflifomptueux.
Mais le but du fondateurétoit d’offrir à Dieu un monument
de reconnoiffanee qui fût digne.du bienfait
& de fon auteur. L’élévation feule du lieu le plus
élevé des coteaux qui bordent le Pô , parut devoir
être un fujet d’admiration de plus, & un moyen
de manifelter les intentions religieufes du fondateur.
Ivara forma donc un plan qui dut réunir à
l ’éçlife votive , une maifon de congrégation pour
dcffervir ce temple, & deflinée encore à fervir
de féannaire. On ne peut que donner des éloges
à ce plan, qui comprend un-enfemble de près de
DOO pieds de long fur ooo de large, & forme un
carré-long, régulier & fymétrique dans toutes
fes .parties. Le bâtiment du monallère eft très-
habilement réuni à l ’égliiej fon intérieur offre
un magnifique cortile de 15o pieds de long, à deux
rangs de portiques l’un au-deiîûs de l’autre , avec
des corps de bâiimens alentour , le tout environné
d’un mur d’enceinte qui vient fe réunir à l’enceinte
même , laquelle eft pratiquée autour &. en avant
de l’églife.
Mais l’objet le plus important & le plus impo-
fant de cette compofilion, eft l ’églife & la coupole
qui la furmonte.
L ’églife eft formée au dehors d’un demi-cercle.
XJn polygone mfcrit dans ce demi-cercle forme
l ’églife intérieure , accompagnée de chapelles en
renfoncement, & c ’eft fur tous les points du
demi-cercle' extérieur & du polygone intérieur
que s’élève une coupole circulaire dont la hauteur
en dedans eft de i 5o pieds, en dehors de i 65
pieds , 8c avec la lanterne de près de 200 pieds.
Son diamètre intérieur a 56 pieds 5 l’extérieur eft
de 80 pieds.
La façade de l ’églife fe compofe d’un périftyle
ifolé en avant de la partie circulaire d e . cette
partie, formant de chaque côté un quart de cercle
en faillie, qui va fe raccorder avec un arrière-
corps, fur lequel , de chaque côté , s’élève un cam-
pamlle prefque jufqu’à la hauteur du dôme.
Le périftyle , dont on a parlé, a quatre colonnes
de face fur trois de profondeur ; l’entre-colon-
nement du milieu , tant à la face antérieure
qu’aux faces latérales, a une largeur double de la
largeur des autres; ce qui prodiuroit dans cette
ordonnance une grave irvéguiaaité, fi le ftyle de
la compofilion générale étoit plus févère. Mais
alors le goût régnant permeltoil de badiner avec
les principes de la lymélrie & de l ’u in for mi té. On
cherchoit les difficultés dans la çombinaifon des
plans. Le tout fimpie auroitpaffé pour un manque
de génie, & il faut encore fa voir gré à Ivara de fa
modération en ce genre.
On doit reconnoîlre auffi que fa poupole, tant
dans la maffe extérieure que dans la déçora*-
Ûm intérieure, eft beaucoup plus fage qu’on eût
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dû l’attendre de cette manie qui tourmentoitl
alors tous les efpri ts , pour chercher à dire, riôïïpaïj
mieux, mais autrement que les autres. La courbe!
du dôme & l’ajuftement de fon tambour doivent!
faire ranger cet ouvrage an nombre des meilleur«!
qu’il y ait. La folidilé y eft réunie à un pai.(;j
fimple, & qui n’eft pas fans élégance, & la voûte!
intérieure eft ornée de caillons de bon goût. lJ
conftruêKon y peut aufli trouver des leçons, dont
on a profité dans des ouvrages poftérieurs.
Le ftyle général de la décoration de toute celle!
architecture y eft infecté des détails vicieux., des!
ornemens par alites que la mode avoit alors accréJ
dites ; rell'auts inutiles , frontons b ri fés , formes!
bâtardes, on trouve de tout cela dans les portes |
les fenêirës, & dans les élévations du dedans comme!
du dehors.
Cependant il y a tant de fortes de mérites en!
architecture, dont un feul efface ou fait pardonner!
les erreurs de détail, que l’on doit dire, qu’un fof.|
fiage affez général s’accorde à reconnoîlre dans!
le monument de la Superga., un effet pitto-l
refque, un enfemble harmonieux, un beau plaal
&. une grande habileté de conftruêtion.
Nous ne parlerons pas ici de la magnificence!
des marbres employés dans les colonnes, dans
les payés &. dans toutes les parties de-cet édifice.]
Nous n’avons pas eu même la prétention de le j
décriré , mais feulement de fixer l’attention fur|
le plus grand ouvrage à? Ivara, &Je plus proprel
à donner l’idée de fon talent & la mefure de fon j
goût. , .
Sa réputation ne s étoitpas concentrée à Turin.
Tous les ans, Ivara alloil. paffer à Rome la faifonj
de l’h iver, pendant laquelle les travaux étoientl
fufpendus dans le Piémont. Rome eut toujours fa I
prédilection, &. il auroit deûré que quelque com-1
mande d’ouvrage l’y fixât. , .
Il y donna le defïin , &. y fit le modèle d’une
facriftie & d’une fa lie de chapitre pour l’églife j
Saint-Pierre. On confervë ce plan avec plufieurs
autres de différens auteurs. Le projet à’Ivara annonce
un édifice également valte & magnifique;
la facriftie, déformé elliptique, n’eft pas exempte I
de défauts. Le rez-de-chaulfée de la façade du
chapitre, forme un {011b afferme nifur lequel s’t.lè-
vent des pilaftr.es' corinthiens qui embralfeiit (leux
étages. Les fenêtres, ornées de colonnes engagées,
font d’une proportion peu agréable. Quelques
obfervations critiques qu’on puiffe faire fur lé pr.od
jet d’un édifice deftiné à fe trouver, par fon em-l
placement, mis en parallèle avec Saint-Pierre, oq
ne lauroit douter que fon avchiteêlure n’eut ete
beaucoup plus conforme à celle de ce vafte
temple, dont il nous paroît qu’Ivara avoit étudie
le ftyle & le caraêlère. Le fort voulut que l’entra
prife de la facriftie de Saint-Pierre fat retardée,
& les amateurs d’architeclure penfent que ce
tard n’a pas tourné au profil du bon goût. ( V o^
SACRIST IE. )
1 V O
Ivara Atoit à.Rome., le roi de Portugal
r[a iuftammentle roi de Sardaigne de permettre
P . cet arohitefle fe rendit à Lisbonne. On ra-
Bb H aùlmraïe dilpofant au départ 8t faifant fes
t 11 s le provincial des Minimes français vint
H demander le plan qu’il devoit donner d’un
I f lier pour la grande montée du couvent de la
Trinité-du-Mont. Ce plan étoit promis depuis
w-temps. Ivara , prêt à partir prit une plume
& împrovifa fur l’heure un deiïm dont Lexe-
cation auroit furpaffé de beaucoup le projet
de François de Sanûis, qui fut depuis réali é.
Telles font, en effet, les variations du goût chez les
Modernes, que le fort entre.pour beaucoup dans
le mérite des édiiïbes. Combien d’artiftes au talent
defquels il n’a manqué qu’un meilleur goût ! com-
bien de inonumens , auxquels il n’a manqué que
d’avoir été ou projetés ou exécutés dans d autres
temps !• ' ■ ' #
Ivara, pendant fon féjour à Lisbonne, donna les
plans de l’églife patriarchale, & d’un palais, pour
le Roi. On vante la magnificence de ces ouvrages.
L’architefte éprouva celle du Prince, qui le nomma
chevalier de l’ordre de Chrift , avec-une
penfioû de quinze mille livres., &• le combla de
préfens. „ ,
Avant de retourner à Turin, il voulut voir
Londres & Paris. A peine arrivé en Piémont, il
fat appelé à Mantoue, pour bâtir la coupole de
Saint-André , & à Milan, pour élever la façade de.
la fameufe églife de Saint-Ambroife.
On voit peu de maifons particulières, bâties, fur
I les deffins d'Ivara y peut-être fut-il détourne de
i ces travaux par les grandes entreprifes qui l’occu-
j pèrent ; peut-être l’habitude de magnificence
qu’il y portoit, faifoit-elle redouter aux partieu-
1 liersun talent difpendieux. Cependant il conftrui-
| fit, à Turin, un palais pour le comte Birago di
Borghe, lieutenant-général, & on le cite comme
modèle-de diftrihution & de goût.
Le palais royal ayant été brûlé & Madrid, le
. roi d’Efpagne s’empreffa de faire venir Ivara , qui
fe rendit à l’invitation de ce Prince. Mais à peine
eut-il commencé à mettre au net fes projets, qu il
fut furpvis par une violente fièvre dont il mourut
àlage de cinquante ans.
^ Ce qu’on fait du moral de cet arlifte , c eft qu il
étoit d’un caractère g a i, ami du plaifir, agréable
dans lafociété, & qn’il portoit l’économie au-delà
de ce que ce terme figniîie.
IVOIRE, f. m. On auroit beaucoup plutôt fait
de nombrer, parmi les ouvrages d’art, de goût
& d’induftrie des Anciens, ceux où Xivoire n’entra
point, que de rendre compte de ceux dont cette
matière faifoit le prix ou lhigrément.
L ivoire paroît avoir tenu lieu jadis dans la décoration
des édifices, &. de marbres & de bois
précieux. On l’employa, dès les temps les plus
Diâtion. d’_jtirchit. Tome II.
I V O 5 8 5
anciens, ^ former ce que nous appelons
d’hui revêtement 8t marqueterie, foit dans 1 a ic n -
teOure , fok dans l’ameublement. David parle OS
palais & ivoire, domibus ebumeis ( .P f - 44, v. 9 J-
Nous trouvons cette épithète donnée p a r l e s
poètes à quelques temples, ce qui ne peut s entendre
que de l’application faite de lames à. ivoire
aux revetemens intérieurs. D a n sT p ^ T ^ le palai
de Menelaus eft tout brillant d o r , datgent &
à! ivoire.
Depuis que les bois rares eurent trouvé place
dans l’ornement des palais, l’ ivoire fut employé
pour y briller par le contrafte de fa couleur. Ou
Fv incruftoit en compartimens : lignumque ebore
diftingui, moocoperiri, dit Pliue . & c efta cetufage.
que fait allufion la comparaifon de Virgile.
per art,;m indufum bux,o aut oneiajerebiMho.
lue et ebur. .
L’ivoire conftitua les ornemens diftinôlifs de la
dignité royale, cbea les plus anciens peuçles.
L’antiquité ne parle que. de feeptres & de tl0H;es
d’ivoire. Tels étaient, félon Denis d Halicarnaffe ,
lies attributs da laroyanté chez les Etrufques. A
leur exemple, Tarquin eut le tiione. & le. feep ie
ÿivoire, & de cette matière étaient encore les
» fîéges, dont les. magiftrats de Rome ufoient au
temps des ro is .. .
Vivoire fervit à faire les ly res , les ceintarons ,
lés chars, les harnois de chevaux, les lits, tes
pieds de table & tous les genres de nreubles. Les
portes des temples étaient ornées, de fculptuies
en ivoire, comme Cicéron nous 1 appren es
portes du temple de Minerve à Syracufe, dont le
préteur Verrès avoit arraché les bas-reliers.
Pline a embraffé en deux mots toute l’étendup
desufages auxquels les Anciens avoient applique
Y ivoire A diis nato jure lu xu n a , eodem ebore
numinum ara fpeâlantur & menfarum pedes. La
mênje matière fervoit à. faire St, les. pieds des tables
, St les figures des dieux.
L ’emploi ieVivoire eu ftatués fe propagea St
s’étendit progreffivement en Grece. Ce ne fut que
par fueceffion de temps, que les artiftes fii-ent paffer
cette matière, du travail des objets ufuels ou
de luxe aux travaux de la fculpture. Le. goût
pour l’union de l’or St de Vivoire , devenu général
dans les fujets d’omemens de tout genre, le communiqua
au bas-relief, St l’art de fubordonner
les morceaux bornés de Yivotre , au travail par
compartimens, fut bientôt appliqué aux ftatues.
Cè fut toutefois après de longs effais par luite
de circonftances particulières, 8t d un long exercice
dans le travail du bojs , que la r t ofa appliquer
l'ivoire an nu des colofles.révélas de dra-
ppries d’o r , genre de ftatuaire. qui eut la plus
grande vogue en Grèce., St dont le fouvemr ainfi
lu e la pratique fe perdit tout-a-falt. ^ “ oun oufvrage
de ce genre n’ayant pu furvtvre a 1a det
truSion des idoles St aux ravages du temps, i
E e e e